Septembre 2014 /236

Le poids des mots

Etudier le discours des ados pour améliorer les traitements

Un adolescent bien dans sa tête s’exprimera-t-il différemment qu’un jeune dépressif ou obèse ? En étudiant textuellement leurs récits de vie, Aurore Boulard, assistante en faculté de Psychologie, a pu l’affirmer. L’analyse des divergences qu’elle a observées doit servir à améliorer la prise en charge thérapeutique des patients. Dis-moi comment tu te racontes, je te dirai comment te soigner…

Dis-moi

« Qu’est-ce qui fait que tu es devenu ce que tu es aujourd’hui ? » La question aurait pu être le thème d’une dissertation. Les 268 adolescents qui y ont répondu n’avaient pourtant aucun test à réussir. Loin de se montrer taciturnes comme on pourrait l’imaginer lorsqu’on est âgé de 12 à 18 ans, ils se sont prêtés à l’exercice que leur proposait Aurore Boulard.

BoulardAuroreCette psychologue clinicienne s’était donné pour mission d’analyser le récit de vie de jeunes “tout venants” pour les comparer à ceux de condisciples dépressifs. Avec une originalité méthodologique : celle d’utiliser un outil informatique d’analyse textuelle (habituellement exploité par les linguistes) capable de repérer les mots les plus prononcés, d’identifier à quels termes ils sont associés, etc. « Un des objectifs de ma thèse était d’analyser les témoignages de jeunes dépressifs hospitalisés, raconte-t-elle. Mais pour cela, je devais d’abord savoir comment une personne de 12, 14 ou 16 ans s’exprime quand elle va bien, qu’elle a des copains, qu’elle va à l’école, etc. »

Sans surprise, les thématiques majoritairement évoquées par les ados bien dans leur peau sont la famille, les amis, l’école et les activités extrascolaires. Des discours présentés positivement, même lorsqu’ils sont traversés par des événements a priori négatifs (comme le divorce des parents, par exemple), avec des divergences significatives entre les filles (qui parlent davantage de la sphère familiale) et les garçons (qui mettent surtout en avant leurs hobbys).

Les témoignages des adolescents dépressifs révèlent par contre des réalités différentes, selon qu’ils sont encore scolarisés ou hospitalisés. Les premiers se focalisent sur la réussite scolaire et se montrent anxieux vis-à-vis de leurs résultats et des relations avec les professeurs tandis que les seconds s’expriment principalement au passé et à la première personne. « Ils ont tendance à s’auto-attribuer les événements, explique la chercheuse. Ils ne disent pas “il y a des jours où” mais “j’ai des jours où”. Les histoires négatives dominent dans leurs récits, les phrases sont courtes et les termes graves : “la maladie de ma mère”, “mon viol”, “la mort de ma petite soeur”… »

Nous, je, on

Après la publication des résultats de cette première recherche, Aurore Boulard et son directeur de thèse le Pr Jean-Marie Gauthier ont décidé d’appliquer la même méthodologie à des groupes d’adolescents hémophiles et diabétiques. Une étude a également été publiée en juin à propos des jeunes obèses. Là encore, l’analyse textuelle a permis de dégager des différences : les jeunes présentant un surpoids privilégient le “on” et parlent d’eux de manière plus impersonnelle. L’alimentation occupe une place importante dans leurs récits. « Nous pensions qu’il s’agissait d’un stéréotype, mais il s’est vérifié, souligne Jean-Marie Gauthier. La nourriture n’est pas le seul sujet de préoccupation, mais ils l’évoquent beaucoup plus que les autres. »

Toutes ces observations poursuivent un unique but : améliorer la prise en charge thérapeutique des patients. « Non seulement l’alimentation occupe une place extrêmement importante dans les discours de ces jeunes mais on se rend compte qu’ils se sentent très seuls, même lorsqu’ils sont en groupe. Il faudrait donc parvenir à remplacer la nourriture par du lien social », poursuit Jean-Marie Gauthier. La difficulté des adolescents dépressifs à parler de l’avenir indiquerait qu’il faut précisément les aider à se projeter dans le futur, en planifiant d’abord des activités à court terme.

« Ces travaux s’avèrent riches d’enseignements, conclut Aurore Boulard. Nous avons à présent l’ambition de recueillir les récits de vie de patientes anorexiques, car chaque trouble se dévoile un peu par la parole. »


Mélanie Geelkens
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