Juin 2013 /225

A qui profite l’entreprise?

Economie sociale : conférence internationale à l’ULg du 1er au 4 juillet

CES1Les fondamentaux

Entreprise sociale ? Le mot est lâché… au sein même de la business school qu’est HEC-UL g. Depuis la fin des années 90, on assiste en fait à la percée de trois notions qui n’étaient jusque-là pratiquement jamais utilisées : entrepreneuriat social, entrepreneur social et entreprise sociale. On reconnaît à ces concepts une filiation très nette avec les différentes approches qui, depuis les années 70, visent à souligner l’existence d’un véritable “troisième secteur” dans nos économies, distinct du secteur privé de type capitaliste et du secteur public. Ce troisième secteur, souvent dénommé “non-profit” aux Etats-Unis, est plutôt appelé “économie sociale” ou “économie sociale et solidaire” dans le monde latin (en Belgique, il représente 450 000 emplois salariés et un million et demi de bénévoles). En fait, souligne le Pr Defourny, « loin de se substituer au concept d’économie sociale, l’entrepreneuriat social et l’entreprise sociale peuvent être vus comme des éclairages nouveaux sur certaines dynamiques, précisément entrepreneuriales, au sein du troisième secteur. »

Dans certains contextes, notamment américains, ces dynamiques nouvelles sont surtout des stratégies et des activités économiques marchandes développées par des organisations sans but lucratif et mises au service d’un objectif social ou sociétal. « D’autres, indique Sybille Mertens, chargée de cours et titulaire de la chaire Cera en entrepreneuriat social, voient surtout dans l’entrepreneuriat social une capacité d’innovation sociale susceptible d’apporter des réponses inédites à des besoins sociétaux, comme l’a fait avec le microcrédit Mohammed Yunus, entrepreneur social emblématique ». D’aucuns enfin mettent l’accent sur le défi qui consiste à équilibrer des objectifs sociaux et un impératif de viabilité économique et sur les avantages, pour cela, d’une gouvernance participative impliquant au mieux les différents stakeholders de l’entreprise sociale (usagers, travailleurs salariés, dirigeants, bénévoles, communauté locale, etc.). Cette thématique de la gouvernance est au centre des préoccupations de Benjamin Huybrechts, troisième pilier académique du CES et titulaire de la chaire SRIW-Sowecsom en management de l’économie sociale.

En Europe, un réseau de 12 centres de recherche universitaires, initié en 1996 par le Pr Defourny, a joué un véritable rôle de pionnier. Analysant et comparant l’émergence des entreprises sociales (d’où son nom EMES) dans toute l’Union, l’EMES European Research Network – ASBL de droit belge hébergée par le CES – a ainsi développé une approche de l’entreprise sociale aujourd’hui reconnue dans le monde entier ainsi que des travaux empiriques dans différentes parties du monde.

Le CES a 20 ans

Créé par le Pr Jacques Defourny, qui menait des recherches sur ce secteur depuis une dizaine d’années déjà, le CES est né en 1993 au sein du département d’économie à l’ULg. Ce centre, unique en Belgique, a grandi jusqu’à devenir une équipe de 20 personnes, dont une dizaine de doctorants en gestion, économie et sciences sociales. Il coordonne une spécialisation en management des entreprises sociales dans le master en sciences de gestion d’HEC-ULg et il a mis sur pied un certificat d’université destiné aux professionnels du secteur.

Fort de sa renommée internationale, le CES s’est vu confier, depuis octobre 2012 et pour cinq ans, la coordination d’un pôle d’attraction interuniversitaire (PAI) intitulé “If not for profit, for what? and how?”, thème d’ailleurs repris comme titre de la grande conférence du réseau européen EMES. « Avec cette conférence d’une envergure jamais atteinte sur la thématique encore récente de l’entreprise sociale, se réjouit Jacques Defourny, nous allons faire d’une pierre trois coups puisque ce grand rendez-vous sera aussi l’occasion de mettre en évidence les 45 chercheurs du PAI (mené en collaboration avec l’ULB, l’UCL et la VUB)… et de fêter les 20 ans du CES. » Une manifestation qui s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la logique du “pôle d’attraction interuniversitaire” puisqu’il va attirer à l’ULg des chercheurs des quatre coins de la planète.

Originalité de ce grand rendez-vous, la première journée sera ouverte aux acteurs de l’économie sociale et au monde économique, social et politique en général. Elle s’intitulera “From research to practice, and back”. Les sujets de ces forums ? Le premier portera sur l’enseignement universitaire de l’entrepreneuriat social (déjà au programme de nombreuses universités américaines et anglaises). Un autre sur les nouveaux statuts légaux qui ont été conçus dans une quinzaine de pays pour promouvoir l’entreprise sociale : l’une des meilleures spécialistes américaines, le Pr Dana Brakman Reiser de la Brooklyn Law School, et un expert européen, le Pr Antonio Fici de l’université de Molise en Italie, compareront les législations américaines et européennes. Un autre forum encore, coordonné par Sybille Mertens, se penchera sur l’investissement social et la philanthropie, thèmes de la chaire Baillet-Latour nouvellement créée à HEC-ULg. Benjamin Huybrechts, quant à lui, animera un forum sur le développement de coopératives citoyennes pour la production d’énergies renouvelables.

Cette première journée sera ponctuée par la séance plénière d’ouverture de la conférence consacrée à “l’entreprise sociale au croisement des grandes traditions”, sous le triple regard du Pr Dennis Young (université Georgia State), du Pr Helen Haugh (université de Cambridge) et du Pr Jean-Louis Laville (CNRS et Conservatoire national des arts et des métiers à Paris).

Les trois jours suivants réuniront les chercheurs autour de dix grandes problématiques. « On ne va pas les détailler toutes ici mais l’économie sociale est partout dans le quotidien : culture, loisirs, services aux personnes, éducation, lutte contre la pauvreté, insertion professionnelle, préservation de l’environnement, etc., commente Jacques Defourny. Elle est tellement liée à des besoins essentiels qu’elle n’a guère besoin de techniques marketing sophistiquées pour convaincre de sa nécessité. Tout autre est bien sûr le besoin impérieux de communiquer sur ce que l’on fait, notamment avec les deniers publics ou les dons. »

Variations sur un même thème

CES2L’esprit et la capacité d’entreprendre seront aussi au coeur des débats, car ils sont tout aussi essentiels que dans le reste de l’économie. Savoir percevoir en finesse les défis du temps et saisir des opportunités pour proposer des réponses novatrices : beaucoup de communications évoqueront des initiatives dans des domaines comme l’agriculture biologique et les circuits courts d’alimentation, l’énergie renouvelable, le maintien des personnes âgées à domicile, l’épargne et le crédit (New B en Belgique), ou encore les entreprises sociales d’insertion. La question du financement sera également centrale. La gestion des ressources humaines est une autre particularité du secteur, caractérisé par la coexistence de salariés et de bénévoles ainsi que par une diversité de statuts. Quelle qualité d’emploi l’entreprise sociale peut-elle réellement offrir ? Et puis, « comment passe-t-on d’expérimentations souvent fragiles à des formules d’entreprise sociale plus solides, susceptibles d’apporter des solutions plus structurelles ? Là aussi, les chercheurs ont un rôle à jouer », note Benjamin Huybrechts. Au cours de son histoire d’ailleurs, le CES a plusieurs fois joué un rôle décisif pour orienter des politiques publiques. « Dès 1994, rappelle Jacques Defourny, il a fait des proposions précises pour la remise à l’emploi de travailleurs peu qualifiés. Nous avions ensuite suivi sept projets-pilotes pendant trois ans, puis défini un modèle d’entreprise d’insertion qui a été pratiquement repris tel quel dans des décrets des Régions wallonne et flamande à la fin des années 90. Et je pourrais donner divers autres exemples. »

La clôture du colloque évoquera les “nouvelles frontières de la recherche” grâce à l’apport des Prs Isabelle Hillenkamp (université de Genève), Chan Kam Tong (université polytechnique de Hong Kong), Carlo Borzaga (université de Trente) et Marilla Veronese (Unisinos au Brésil), soit un panel d’experts international qui démontre une fois encore l’engouement mondial pour le sujet.

« La recherche sur l’entreprise sociale et l’économie sociale a le vent en poupe, constate le Pr Defourny. Nous avons dès lors décidé d’ouvrir l’affiliation au réseau européen EMES aux chercheurs extra-européens et de parler désormais de l’EMES Network. D’autre part, à la fin de la conférence, nous allons officiellement lancer un projet de recherche mondial que nous préparons depuis un an, baptisé “International Comparative Social Enterprise Models” (ICSEM) ». Avec plus de 50 chercheurs des cinq continents, l’objectif est de faire un inventaire des modèles d’entreprise sociale qui émergent et qui s’institutionnalisent progressivement à travers le monde, dans des cultures et des contextes politiques extrêmement variés. Quels sont les invariants, les leçons qui transcendent la diversité des contextes ? Et quelles sont les forces et contraintes locales ? Voilà un angle original et enthousiasmant pour cerner et montrer “une autre mondialisation” !

Patricia Janssens
Photos en “une“ : A. Janssens, Impulcera.be, Saw-b.be

If not for profit, for what? and how?

4e conférence internationale EMES sur l’entreprise sociale, du 1er au 4 juillet 2013, à HEC-ULg, rue Louvrex 14, 4000 Liège (le 1er juillet) et aux amphithéâtres de l’Europe, campus du Sart- Tilman, 4000 Liège (les 2, 3 et 4 juillet).

Programme et informations sur le site www.ifnot4profit.be

 

Voir aussi la vidéo ULgtv sur le Centre d’économie sociale : www.ulg.ac.be/webtv/cese

CES 

 

 

En haut : le Pr J. Defourny et B. Huybrechts.
En bas : au centre, S. Mertens entourée du Pr D. R. Young et de son épouse

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