Juin 2013 /225
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Annick Wilmotte

Le Traité sur l’Antarctique

WilmotteAnnickDocteur en sciences, Annick Wilmotte, chercheuse qualifiée FNRS au département des sciences de la vie de l’ULg, est une spécialiste de la biodiversité des micro-organismes, en particulier des cyanobactéries. Elle a réalisé plusieurs missions en Antarctique, la dernière – en 2009 – à la station de recherche Princess Elisabeth.

En raison de son rôle pionnier dans la découverte de l’Antarctique (en 1897, Adrien de Gerlache y séjourne sur le Belgica et, en 1957, son fils, Gaston de Gerlache, fonde la Base roi Baudouin), la Belgique a fait partie des 12 premiers pays signataires du Traité sur l’Antarctique. C’était en 1959, à Washington. C’est sans doute le premier traité qui soumet un territoire à un régime spécifique : il s’agit de protéger la zone qui s’étend en-dessous du 60e parallèle de l’hémisphère sud, soit une zone continentale et marine à la fois. Toutes les puissances ayant reconnu que “le continent blanc” était une réserve immense en ressources naturelles, il est désormais, grâce au traité, consacré exclusivement à l’activité scientifique et protégé de toute activité militaire. Les informations et observations scientifiques doivent être échangées librement.

Au cours des années 80, l’idée de protéger l’environnement dans cette région polaire se propage et, en 1991, à l’instigation de Michel Rocard, alors Premier ministre français, et de ses homologues australien Bob Hawke et espagnol Felipe Gonzalez, une annexe, le Protocole de Madrid (ou “Protocole de protection environnementale”) fut joint au traité. Ce protocole, entré en vigueur en 1998, consacre l’Antarctique comme “une réserve naturelle dédiée à la science et à la paix”. Il a pour but de protéger ses biotopes uniques et fragiles et d’interdire l’exploitation de ses ressources minérales. Ainsi, outre les activités militaires, sont prohibés les essais nucléaires, les dépôts d’éléments radioactifs, etc. C’est le Protocole de Madrid qui élabora le Comité pour la protection de l’environnement (CPE), un organisme consultatif qui formule des recommandations à la réunion des Etats membres du traité (l’ATCM), laquelle a lieu chaque année. A la fin du mois de mai dernier, elle s’est tenue à Bruxelles. Désignée par la Politique scientifique belge (Belspo), Annick Wilmotte était pour la sixième année consécutive l’un des deux représentants de la Belgique à la table du CPE. L’occasion d’évoquer avec elle l’actualité du Traité sur l’Antarctique et ses enjeux.

Le 15e jour du mois : Des pressions diverses tentent d’assouplir le Protocole de Madrid. Pour quelles raisons ?

Annick Wilmotte : La richesse du continent est telle que cela pousse certains pays – la Russie par exemple – à vouloir transgresser les accords. Les explorations scientifiques menées depuis plusieurs dizaines d’années ont montré qu’il y avait là des gisements d’uranium, de fer, de cuivre, de zinc, de cobalt, de méthane, de pétrole et même d’or et d’argent ! Bref, suffisamment de ressources pour attirer les convoitises. Pour le moment, les conditions climatiques rendent une exploitation peu probable. Mais les pressions risquent d’augmenter dans le futur. Les demandes de forages, notamment, se multiplient. En février 2012, les Russes ont pénétré le lac Vostok, à 4000 m sous la glace…

Le Protocole de Madrid gêne aussi les pêcheurs de krills, du moins dans les zones spécialement protégées et créés par le CPE. Ces petites crevettes – indispensables dans la chaîne alimentaire en Antarctique – sont très appréciées pour leur concentré en oméga3 : elles sont utilisées dans les crèmes de beauté et comme compléments alimentaires. Alors que le changement climatique a déjà une incidence négative sur les populations de krills, plus de 200 000 tonnes sont pêchées chaque année. Cependant, une autre annexe du traité, la Convention sur la conservation des espèces antarctiques marines vivantes, a la responsabilité d’une gestion durable de la pêche, et la création de zones marines protégées y est discutée. Enfin, le protocole tente de mettre des limites à l’impact du tourisme dans la région, cependant que des croisières sont organisées à partir de l’Argentine ou du Chili, menaçant à l’évidence l’environnement du continent par l’introduction d’espèces inconnues sur son sol…

Le 15e jour : Quelle fut l’attitude de la Belgique lors de la réunion de ce dernier CPE ?

A.W. : La Belgique a continué à défendre le principe de la protection totale des écosystèmes de l’Antarctique. Il s’agit d’une réserve naturelle particulière, d’un cadre de référence scientifique unique au monde. Nous avons (encore) insisté sur l’intérêt de la “bioprospection”, c’est-à-dire la recherche scientifique dont les retombées économiques sont prometteuses. Trouver de nouvelles molécules, par exemple, peut constituer un enjeu de première importance pour les secteurs de la pharmacie, de la médecine ou de l’alimentation. Si aujourd’hui certaines de nos crèmes glacées conservent leur onctuosité, c’est grâce à une molécule antigel distinguée en Antarctique… Il faut dès lors veiller à ce que ces découvertes restent dans le domaine scientifique et que les brevets n’interdisent pas les échanges d’informations, lesquelles sont une des bases du traité. Par ailleurs, dans l’optique de la préservation de l’environnement, la Belgique a clairement soutenu l’idée de la création d’aires marines protégées.

Le 15e jour : Quel a été votre cheval de bataille ?

A.W. : Pour ma part (je reste dans ma spécialité !), j’ai plaidé pour que justice soit rendue aux micro-organismes – à la base de tout métabolisme – présents depuis des millions d’années sans interruption sur ce sol gelé. Toute la lumière n’a pas encore été faite sur ces bactéries; or nous disposons maintenant de techniques très performantes pour les étudier finement. C’est une des raisons pour laquelle j’ai plaidé en faveur de la constitution de zones inviolables afin de conserver, pour les générations futures, un endroit peuplé d’organismes autochtones. On peut encore en découvrir ! Et leur étude, in situ, est facilitée par le fait qu’ils vivent dans un écosystème rudimentaire, avec peu de composants. Limiter drastiquement la pollution dans ce lieu est essentiel. La simple présence de l’homme sur la banquise constitue déjà une souillure…

Plus globalement, la réhabilitation des bases délaissées – et construites sans préoccupation écologique – était aussi à l’ordre du jour.

Propos recueillis par Patricia Janssens

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