Avril 2014 /233

Ça va fourmiller à Gembloux

Insectopolis, le festival qui célèbre les “6 pattes”

Insectopolis-AfficheC’est parti pour deux semaines de folie à pattes et à mandibules. A partir du 29 avril, les insectes envahiront les moindres recoins de Gembloux Agro-Bio Tech (ULg). Du palais abbatial à l’Espace Senghor, en passant par divers auditoires du site universitaire, les termites, pucerons, coccinelles et autres abeilles ou libellules, connus ou inconnus, minuscules ou géants, seront mis à l’honneur. Un an de travail et près de 60 personnes impliquées dans la préparation : professeurs, assistants et étudiants de l’unité d’entomologie fonctionnelle et évolutive du Pr Frédéric Francis. Fameuse entreprise.

C’est qu’il s’agit, ni plus ni moins, de casser l’image encore trop négative des petits arthropodes auprès du grand public. « Un insecte, c’est avant tout de la beauté pure. Dans ce monde-là, infini, pas un seul être ne joue le même rôle dans la nature ni n’occupe la même fonction », s’enthousiasme le Dr François Verheggen, chef de travaux à l’unité. Bien sûr, c’est un passionné qui le dit... Mais on le suit volontiers si l’on pense à ses travaux et ceux de ses collègues qui ont réussi, ces dernières années, à intervenir dans les débats publics (déclin des abeilles, prolifération d’espèces invasives, etc.) et à populariser des animaux aussi sympathiques que les coccinelles. Et puis, vu de près, l’insecte n’est pas seulement un assemblage mécanique de pattes, mandibules et antennes. Il est aussi une véritable oeuvre d’art, surtout lorsqu’il est photographié en gros plan avec un matériel de pointe.

Science et art

L’art, parlons-en… Ce troisième festival de l’insecte de Gembloux ne se contentera pas de faire découvrir le gigantesque conservatoire d’espèces locales et étrangères (deux millions de pièces !) formé au fil des pérégrinations des chercheurs et des étudiants. Ni de reconstituer le milieu de vie d’une centaine d’espèces – vivantes ! – évoluant en toute liberté (en vivarium, tout de même). Il fera, aussi, la part belle aux créations artistiques : celles de la nature à l’état pur d’abord, puisqu’une exposition des plus belles photos d’insectes d’ici et d’ailleurs (amateurs et professionnels confondus) sera présentée au public1. Celui-ci, invité dès le plus jeune âge2, pourra également assister à la projection des films relatifs à l’entomofaune visionnés lors du dernier festival du film Nature de Namur.

L’art qui sommeille dans les cerveaux de demain sera, lui aussi, mis en évidence : la section design industriel de l’Ecole supérieure des arts Saint-Luc de Liège y exposera les oeuvres d’étudiants directement inspirés par le monde des insectes. L’art culinaire, enfin : près de 600 personnes seront invitées à découvrir, par le regard et les papilles, ce qui constitue depuis deux ou trois ans le nouveau centre d’intérêt de l’unité d’entomologie fonctionnelle, à savoir l’entomophagie. Concrètement, une dizaine de chefs d’atelier issus de diverses écoles hôtelières réaliseront en live, avec leurs étudiants, des préparations à base d’insectes élevés à Gembloux pour l’occasion. L’inscription à ces séances de dégustation est vivement conseillée.

Un monde à nourrir

Insecte1C’est que l’idée de s’alimenter régulièrement à base d’insectes, et pas seulement lors d’un voyage touristique, ne semble plus susciter chez nous la même répulsion qu’il y a un an ou deux. « Pas une semaine ne se passe sans qu’un retraité me demande comment se lancer dans l’élevage d’insectes, commente Rudy Caparros, doctorant dans la même unité d’entomologie. Jusqu’il y a peu, c’était plutôt l’apiculture qui les intéressait… » Et c’est sans compter les marques d’intérêt pour l’entomophagie manifestées par les étudiants de l’enseignement supérieur et secondaire, lesquels contactent les experts gembloutois pour les aider dans leur travail de fin d’études (TFE).

Evidemment, les sceptiques diront qu’élever un insecte, ou lui consacrer son TFE, n’est pas encore l’ingurgiter. Il n’empêche : réalisé en aveugle auprès de 90 étudiants cobayes, un tout récent test d’acceptabilité alimentaire de burgers à base de vers de farine (mélangés à des lentilles ou de la viande) a livré des résultats prometteurs. Si les préparations à base de boeuf (à 100%) ont gardé leur position de tête sans trop de surprise, les mélanges boeuf/vers de farine sont arrivés, eux, en deuxième position dans le classement. Soit devant les burgers à base d’insectes/lentilles et les burgers à base de lentilles exclusivement !

Il faut dire que le projet de Gembloux Agro-Bio Tech de créer une spin-off spécialisée dans la production de masse d’insectes à des fins alimentaires n’est pas passé inaperçu. Il a même suscité, dans le courant 2013, un grand intérêt médiatique et politique. « Face à l’entomophagie, il y a parfois une forme de curiosité, voire de snobisme chez certains consommateurs », avance Rudy Caparros. Le jeune chercheur en veut pour preuve le prix exorbitant que des curieux sont prêts à payer pour quatre minuscules grillons enrobés d’un nuage d’épices… « Notre projet, précise-t-il, est d’une nature bien différente : il s’agit de produire des protéines à moindre coût dans un monde en pleine explosion démographique – particulièrement dans les pays émergents – qui consomme de plus en plus de viande et qui ne peut plus se permettre d’ignorer les impacts environnementaux dramatiques de ce besoin gigantesque de protéines animales. »

La spin-off, baptisée Entomofood, est sur de bons rails. « Fin de l’année, elle aura son statut juridique, annonce le Dr Taofic Alabi, l’une de ses chevilles ouvrières. Et fin 2015, elle volera probablement de ses propres ailes. » Production estimée : une cinquantaine de tonnes d’insectes par an, principalement à destination de l’alimentation animale (le feed). Mais l’alimentation humaine (le food) ne sera pas négligée. Le site d’implantation de l’entreprise n’est pas encore connu : il sera, en tout cas, choisi en fonction de la proximité avec les matières premières retenues pour l’alimentation des insectes, proximité et durabilité obligent.

Insecte2En décembre dernier, la décision de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) a ravi les concepteurs de la spin-off. Elle a en effet autorisé la commercialisation en Belgique de dix espèces d’insectes, dont les deux visées par Entomofood : le ver de farine et le grillon domestique3. En attendant, les travaux scientifiques ne sont pas terminés. Il s’agit, notamment, de s’assurer que le risque de développer des allergies croisées – par exemple si l’on consomme des insectes préparés tout en occupant un logement où vivent d’autres insectes (blattes) ou en mangeant d’autres animaux (crustacés) – n’est pas plus important que lors d’une consommation alimentaire ordinaire. « La littérature est très pauvre dans ce domaine », regrette Rudy Caparros qui consacre sa thèse à ce sujet. Autre obstacle à lever : un véritable éclaircissement législatif européen quant au statut de la nourriture fabriquée à partir d’insectes. S’agit-il d’un aliment classique ou d’un “novel food” ?

Des experts sur la balle

VerheggenFrancoisL’entomophagie n’occupera pas toute la place, loin s’en faut, au festival de l’insecte. « Depuis 15 à 20 ans, l’intégralité des travaux de l’unité vise à mettre en place des méthodes de production agricole et de lutte contre les ravageurs à moindre impact sur le consommateur, l’environnement et la biodiversité, commente François Verheggen. En complément direct à cette ligne directrice, nous nous intéressons à des problématiques émergentes, comme l’impact des espèces invasives sur l’entomofaune locale ou l’influence du réchauffement climatique sur les interactions entre insectes basées sur les phéromones. »

Les entomologistes gembloutois ont notamment mis en évidence les dégâts causés à la pomme de terre – jusqu’ici strictement en laboratoire – par un petit lépidoptère invasif arrivé accidentellement d’Amérique du Sud. Ils étudient également les substances sémiochimiques qui interviennent comme médiatrices dans les interactions entre organismes, par exemple entre les coccinelles et les pucerons. Une des hypothèses en cours : dans certaines conditions liées au réchauffement de l’atmosphère, la lutte biologique contre les pucerons au moyen de coccinelles pourrait être rendue plus difficile. C’est, précisément, ce genre de travaux qui seront présentés en long et en large lors du festival, notamment au cours de quatre conférences grand public4.

1 Yvan Barbier, agronome et macrophotographe amateur, exposera également ses oeuvres.
2 Des séances de grimage seront organisées pour les enfants.
3 L’unité d’entomologie est par ailleurs, depuis fin 2013, le laboratoire de référence “entomophagie” de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation en France.
4 Programme complet sur www.events.gembloux.ulg.ac.be/festival-insecte/

Philippe Lamotte
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