April 2014 /233

Fleuve Congo

Une énigme à bien des égards

FleuveCongo2Le périple était inédit : 1700 km parcourus (l’équivalent d’un trajet Liège-Madrid en voiture !) en deux semaines, à bord d’un bateau qui n’a certes pas des allures de barque mais à bord duquel on n’organiserait sans doute pas de croisière… Il a été réalisé en décembre dernier par Alberto Vieira Borges et François Darchambeau, chercheurs au sein de l’unité d’océanographie chimique de l’ULg, accompagnés de Bruno Leporcq de l’université de Namur, dans le cadre d’un projet financé par le FNRS et le Conseil européen de la recherche.

Première scientifique

Même si la mission qui devait initialement durer cinq semaines a dû être écourtée – par suite d’un retard de l’embarcation –, ce voyage de 15 jours marque la première exploration scientifique au monde de la biogéochimie aquatique sur les voies navigables du fleuve Congo.

Car ce fleuve a beau être le deuxième plus important au monde du point de vue du débit (le cinquième par sa longueur), drainant la seconde forêt humide au monde, il reste encore largement méconnu des spécialistes, contrairement à l’Amazone en Amérique du Sud. « Des données existent pour la forêt qui peut être observée par satellite, et la faune autant que la flore avaient été largement décrites à l’époque coloniale. On connaît aussi la systématique des poissons du fleuve, mais sur les aspects biochimiques de l’eau, par contre, rien n’avait jamais été réalisé », racontent les deux Liégeois. Monter une telle exploration ne fut pas une mince affaire et a demandé des mois de préparation (rien ne peut être laissé au hasard, tout problème doit être anticipé). Une fois sur place, leur travail fut de réaliser des prélèvements à différents endroits, depuis les berges ultra-polluées de Kinshasa jusqu’aux chutes qui empêchent la navigation en amont de Kisangani. Alberto Vieira Borges et François Darchambeau en ont ramené de nombreuses données : mesures de la quantité d’oxygène et de la dégradation de matières organiques, concentration de dioxyde de carbone, de méthane, de protoxyde d’azote, analyse du pH, de la conductivité, caractérisation du phytoplancton et du zooplancton, etc.

Les analyses effectuées depuis le retour des explorateurs révèlent déjà des résultats surprenants. « Certaines rivières présentent des taux nuls d’oxygène en surface, alors que normalement ce n’est observable que dans les profondeurs de certains lacs ou dans des égouts ! C’est bien simple : si on me l’avait raconté, je ne l’aurais pas cru, s’exclame Alberto Vieira Borges. Pourtant, la forêt qui borde le fleuve amène une énorme quantité de matière organique. Cela signifie qu’il y a dans cette eau pure l’équivalent de l’activité bactérienne d’un égout. »

Les chercheurs ont également prélevé de l’eau présentant un pH en-dessous de 4, alors qu’un pH neutre équivaut à… 7. Mais aussi des échantillons d’eau complètement désionisée, où aucune trace de calcaire n’est observée, ce qui n’est le cas que dans l’eau de pluie. « C’est inimaginable, abonde François Darchambeau. Surtout à une très grande échelle, dans des rivières aussi grandes que la Meuse ! »

FleuveCongo1Ces analyses permettront de mieux comprendre le phénomène global de stockage du carbone par la forêt, ainsi que les transformations de carbone dans le fleuve. « Nous pourrons les comparer au système bien mieux connu de l’Amazone », observent les réalisateurs du périple. Une étude d’autant plus intéressante à réaliser à l’heure actuelle que la déforestation est encore artisanale et que peu de barrages ont été construits pour bénéficier du potentiel hydro-électrique du Congo.

Deuxième mission

Les spécialistes liégeois présenteront pour la première fois leurs données lors du congrès de l’European Geophysical Union organisé à Vienne le 2 mai prochain. Ils prépareront ensuite à nouveau leurs bagages pour un deuxième voyage sur le fleuve Congo. Même parcours, mêmes objectifs, mais cette fois en période d’eaux basses et non de crue. Pour ramener à nouveau des échantillons qui défient la compréhension ?

Mélanie Geelkens
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