June 2014 /235

Conteur avant d’être journaliste

A l’occasion de la Coupe du monde de football, rencontre avec Thierry Luthers (historien, 1983)

Voici près de 30 ans, Thierry Luthers fréquentait les auditoires de la faculté de Philosophie et Lettres avec une certaine assiduité, même s’il avoue avoir (aussi) appris, à l’époque, les règles de la plupart des jeux de cartes. Aujourd’hui, ce fan de Johnny Halliday est une des voix… du sport à la RTBF, avec une prédilection pour le football et l’athlétisme. Il est l’un des envoyés spéciaux de la RTBF au Brésil d’où il commente sa deuxième Coupe du monde de football. Rencontre avec celui qui parvient à faire passer l’image en radio.

LuthersThierry-Philippe BuissinLe 15e jour du mois : Vous êtes historien de formation. Pourquoi avoir choisi cette discipline ?

Thierry Luthers : En fait, je voulais faire des études de journalisme à Tournai ou à Lille. Or, comme mes parents n’étaient pas enthousiastes à l’idée de me voir partir en kot, je suis resté à Liège. J’ai alors hésité entre la philologie romane et l’histoire, pour finalement choisir cette dernière car j’aimais déjà cette branche en secondaire. Je ne regrette absolument pas ce choix parce qu’il m’a beaucoup apporté d’un point de vue méthodologique et en culture générale. J’ai beaucoup apprécié certains cours, notamment ceux donnés par le Pr Francis Balace, dont la faconde est réellement captivante. Je dis d’ailleurs souvent que l’historien est le journaliste du passé et le journaliste, l’historien du présent.

Le 15e jour du mois : Quel genre d’étudiant étiez-vous ?

Th.L. : A vrai dire, j’étais assez guindailleur : j’ai passé pas mal de temps dans les cafés et je connais les règles de presque tous les jeux de cartes ! J’ai aussi pris un peu de temps pour réaliser le cursus normal et tout cela sans regret aucun car c’étaient des années d’insouciance, en particulier en candidatures, quand la bride parentale est un peu lâchée. Cependant, en licence, j’étais assez assidu. Quoi qu’il en soit, je garde vraiment un souvenir extraordinaire de mes années à l’université, d’autant que tous les cours se donnaient, à l’époque en ville. Je n’aurais pas voulu me retrouver au Sart-Tilman.

Le 15e jour : Et c’est toujours étudiant que vous avez commencé à travailler…

Th.L. : Oui, c’était l’année du mémoire que j’ai d’ailleurs consacré aux radios privées de l’entre-deux guerres. A cette époque, je travaillais déjà à la RTBF et à La Dernière Heure où j’ai été littéralement pris sous l’aile de Raymond Arets, mon parrain professionnel. Cela dit, je savais depuis tout petit que je voulais être journaliste sportif et de préférence à la radio. Pourquoi cette condition ? Je n’en sais rien… ou alors cela remonte-t-il à mon enfance lorsque dans mon lit je commentais des matches de foot alors que ma mère pensait que je faisais mes prières…

Le 15e jour : Dans un match de foot, l’historien que vous êtes découvret- il plus facilement qu’un autre la tactique d’un entraîneur ?

Th.L. : ll y a en effet un côté très stratégique dans le football. On l’a d’ailleurs vu voici deux ans quand le système des play-offs a été initié. La promotion de cette formule inédite trouvait son inspiration dans une campagne napoléonienne : quelques joueurs-phare incarnaient des généraux, d’autres des soldats. Cela dit, je sais que je ne suis pas le plus grand spécialiste de l’analyse d’un match. Je n’ai d’ailleurs pas envie d’abrutir mes auditeurs avec des détails tacticotechniques qui risquent de devenir très vite fatigants et a fortiori en radio où je suis plutôt là pour leur faire vivre des émotions et décrire ce qu’ils ne voient pas. C’est dans ces cas-là que je suis un conteur avant d’être un journaliste sportif.

Le 15e jour : Où réside la difficulté du commentaire en radio ?

Th.L. : J’ai un principe en or : dire à tout moment où se trouve le ballon et rappeler sans arrêt le résultat du match, ce qui peut paraître redondant pour celui qui écoute durant une heure mais il faut savoir qu’un auditeur peut prendre le match en cours de route et il n’y a rien de plus insupportable que de ne pas connaître le score. Il faut l’annoncer au moins toutes les minutes ou toutes les 90 secondes. Une fois cela maîtrisé, l’affaire est dans le sac et on peut tout faire !

Le 15e jour : Comment faites-vous pour retenir les noms, les résultats, les lieux des rencontres de tous les matches auxquels vous avez assisté depuis des années ?

Th.L. : J’ai une excellente mémoire. Sans fausse modestie, je crois que je possède une véritable culture encyclopédique en sport.

Au sein de la profession de journaliste, il est important d’avoir une excellente méthodologie et une rigueur car je ressens souvent un mépris à l’égard des journalistes sportifs alors que nous sommes amenés à suivre les mêmes règles que nos confrères. Notre boulot ne se résume pas à donner des résultats d’une rencontre. J’aurais presque tendance à dire que la matière est plus complexe. Je m’explique : le journaliste politique passe son temps à la rue de la Loi, le journaliste économique commente l’actualité économico-financière et le chroniqueur scientifique les progrès de la science, alors que le journaliste sportif passe du dopage au match truqué, des droits de retransmission télévisuelle au tribunal arbitral du sport. Chaque jour, je lis la presse et rédige des petites fiches. C’est une méthode de travail. Je ne dis pas que c’est la bonne, mais c’est la mienne.

Le 15e jour : C’est parfois difficile d’interroger un footballeur à l’issue d’un match, non ?

Th. L. : Il y a deux éléments : d’abord, l’accessibilité. Aujourd’hui, le journaliste est parfois face à un mur constitué par des attachés de presse, par exemple, et à des joueurs qui ont la grosse tête. Ensuite, l’émotion, la colère ou l’enthousiasme qui n’invitent pas toujours à un discours structuré et intéressant. C’est donc à nous d’anticiper en posant des questions les plus ouvertes possible. De plus, le temps est compté : on parle en secondes… Par ailleurs, je préfère entendre un sportif connu qui s’exprime moyennement qu’un inconnu qui pérore.

Le 15e jour : Le foot a aussi ce côté fédérateur. On l’a vu avec l’enthousiasme suscité par les Diables rouges…

Th.L. : Complètement. Et à deux titres : sociologique, d’abord. Dans un stade, tous les spectateurs, qu’ils soient ouvriers, cadres ou professeurs d’université, deviennent tous fous, agressifs, de mauvaise foi… Ce basculement est parfois inquiétant, mais c’est comme ça. Communautaire, ensuite. Et cela se marque tout particulièrement en Belgique où le supporter n’est ni wallon ni flamand ni bruxellois, ce qui rend certains malades. Marc Wilmots incarne d’ailleurs cette belgitude en remettant au goût du jour – sportivement, j’entends – des expressions comme “nation”ou “patrie”. C’est d’ailleurs fou le nombre de drapeaux qui virevoltent dans un stade. C’est aussi lui qui a invité les Diables rouges à entamer La Brabançonne à chaque match. D’ailleurs, entendre l’hymne national dans les deux langues et chanté par 45 000 personnes est tellement inattendu de nos jours !

Le 15e jour : Qui sera de la partie au Brésil ?

Th.L. : Au sein de la RTBF, il y a une hiérarchie qualitative. Les meilleurs s’envoleront là-bas, exactement comme dans toutes les rédactions. Cela dit, pour la RTBF, cette Coupe du monde représente un très gros effort financier car elle sera sur tous les fronts : radio, télé et internet. Au-delà du Mondial 2014, la RTBF reprend la main sur la diffusion des matches qualificatifs des Diables rouges, en déplacement et à domicile, pour l’Euro 2016. Elle a aussi obtenu les droits pour la diffusion des prochaines Coupes du monde en Russie (2018) et au Qatar (2022).

Le 15e jour : 800 000 euros, voire un million, pour l’entraîneur des Diables rouges, c’est choquant ?

Th.L. : Aujourd’hui, je ne regarde plus dans l’assiette du voisin. Pour moi, cela ne veut rien dire. Certains entraineurs ont un salaire dix fois plus élevé que Marc Wilmots. Il faut contextualiser, même si cette somme est importante. Il ne faut pas oublier que son objectif premier était de qualifier l’équipe nationale, ce qu’il a réussi à faire avec 26 points sur 30. Il n’est donc pas anormal qu’il en soit récompensé.

Le 15e jour : La Coupe de monde de football, c’est un peu le retour “du pain et des jeux”, non ?

Th.L. : Qu’on le veuille ou non, le foot est le sport-roi. Avec les Jeux olympiques, la Coupe du monde de football est le plus grand événement sportif mondial. Maintenant, c’est presque inévitable, et je suis le premier à le déplorer, les dérives sont nombreuses. Je suis, par exemple, heurté que l’on dépense des sommes astronomiques pour la construction de stades un peu partout au Brésil (tout comme je ne comprends pas le choix du Qatar pour 2022). Pour moi, le foot reste imprévisible en ce sens que sur les millions de matches joués, on n’en trouve pas deux identiques. Il existe une variété infinie de mouvements sur une base qui reste immuable : les règles du jeu.

Le 15e jour : Stromae qui prend la place du Grand Jojo : un parjure ?

Th.L. : Je trouve que Stromae a beaucoup de talent. Je regrette une chose : cette chanson, Ta Fête, est sur un album qui est déjà sorti depuis plusieurs semaines et n’a rien à voir avec le football.

Le 15e jour : Selon un professeur de l’université de Paris, les Diables rouges vont terminer en troisième position.

Th.L. : Impossible ! Essayons d’abord de sortir du premier tour qui est notre objectif, sinon, ce sera un échec. Notre groupe est abordable mais en huitième de finale, la Belgique sera opposée à l’Allemagne ou au Portugal. Et là, ça peut faire mal…

Le 15e jour : Outre le décalage horaire, le fait de jouer dans plusieurs villes posera-t-il un problème aux Diables rouges ?

Th.L. : Pour ce qui les concerne, ils ont énormément de chance. Tous les stades sont dans un mouchoir de poche, à l’échelle du Brésil bien entendu : Sao Paulo, Rio de Janeiro et Belo Horizonte. Le tout avec des conditions climatiques parfaites. Tout le monde voulait être là où les Belges seront. Ce qui sera excitant, c’est le match à Rio, au mythique stade de Maracana, contre la Russie. Autre moment exaltant : on sait quand on part sans savoir quand on revient…

Le 15e jour : Un pronostic ?

Th.L. : Le Brésil, sans hésiter ! Et la Belgique, en étant optimiste, je la vois en quarts de finale, si on n’a plus de blessés d’ici là…

Le 15e jour : Journaliste sportif, un métier d’homme ?

Th. L. : Pas du tout. D’ailleurs, le service des sports en radio est dirigé par une femme. Elles sont d’ailleurs trois dans la rédaction qui compte 15 journalistes. Je trouve que l’approche féminine est très enrichissante car leur style est différent.

Le 15e jour : Hors le foot, quelles ont été vos grandes émotions ?

Th. L. : Il y en a eu beaucoup … j’ai pas mal commenté l’athlétisme et les victoires de Tia Hellebaut, Kim Gevaert et des frères Borlée font partie de mes meilleurs souvenirs. Ce sont des moments très prenants et émouvants. Par ailleurs, ces athlètes sont dix fois plus accessibles que les footballeurs et ont pourtant une vie beaucoup plus difficile.

Page réalisée par Pierre Demoitié
Photo : Philippe Buissin
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