September 2014 /236

Regards sur le monde

Portrait de Jean-Marie Piemme à l’affiche du Théâtre de Liège cet automne

En décembre prochain, trois pièces de Jean-Marie Piemme, L’Ami des Belges, J’habitais une maison sans grâce, j’aimais le boudin et Café des patriotes, seront présentées au Théâtre de Liège. L’occasion de faire le portrait de ce diplômé de l’ULg, ancien dramaturge devenu l’auteur d’une oeuvre importante et qui enseigne l’histoire des textes dramatiques à l’Insas.

PiemmeJeanMarie« Je suis du pays de l’usine », constate Jean-Marie Piemme dans Spoutnik, magnifique texte autobiographique paru en 2008 et qui a fait partie des cinq finalistes pour le prix Rossel. Et dont le spectacle J’habitais une maison sans grâce, j’aimais le boudin reprend des extraits. Partant de sa naissance le 16 novembre 1944 dans la cave de la maison pour cause de bombardements, l’auteur dramatique retrace son enfance dans un milieu ouvrier – ce qui n’empêche pas son père de jouer du piano – au coeur d’une ville de la banlieue liégeoise, où sont enfouies ses vraies racines. Et dont il est depuis peu citoyen d’honneur. « A Seraing, sourit-il, Bruxelles n’existait pas. C’était un endroit sur la route de la mer mais où on n’aurait pas eu l’idée de s’arrêter. La Belgique en tant qu’entité n’avait pour moi aucune réalité. Les Flamands, on les voyait sur la côte, les Wallons, c’étaient des Sérésiens et des Liégeois. C’est pourquoi je ne me sens en aucun cas Belge. Pas au sens où je refuserais la Belgique mais où je n’ai pas d’affectivité pour elle. »

S’il s’inscrit à l’Université, c’est contre son propre avis, contraint par son père. « Je n’étais pas un élève brillant et si j’ai réussi à traverser les études, c’est parce que mon père était derrière moi. Il me harcelait sans arrêt et j’ai cru que lorsque j’aurais fini l’athénée, il me ficherait la paix. Mes profs eux-mêmes lui disaient que je n’avais pas envie de poursuivre des études, qu’il allait perdre son argent. J’ai fait romanes par exclusion des autres filières. Médecine, je n’aimais pas ça, maths et sciences, je n’en étais pas capable, droit, on n’avait pas de contacts, sociologie et économie, on ne savait pas ce que c’était. Prof, par contre, on savait. Mais prof d’histoire, il n’en faut pas beaucoup, alors on a pris le français. Et j’y ai rapidement pris goût. »

A l’ULg, l’étudiant se trouve entraîné dans une dynamique qui le stimule. Ses seules résistances concernent la lecture. Et le théâtre ? Jusqu’alors, ses expériences de spectateur se résument aux pièces montées à l’athénée et à celles présentées par le Théâtre national à Seraing. « J’avais l’impression que ça me sortait de mon univers, précise-t-il. Quand on vit dans un milieu plutôt aphasique et que tout d’un coup, on entend Marivaux, on est quand même surpris d’entendre des gens parler comme ça. Au cours de français, on apprenait Corneille, Racine, je voyais la différence entre la langue que je pratiquais et celle-là, raffinée, travaillée. Le théâtre m’a sorti de ma grisaille même si je n’ai jamais pensé, adolescent, en écrire. » Si, pendant ses études universitaires, il n’envisage pas davantage s’impliquer dans l’art dramatique, il entreprend néanmoins de consacrer son mémoire à Pirandello, avant de se rabattre sur le théâtre au XVIe siècle. C’est pourquoi il s’inscrit à l’Institut d’études théâtrales de la Sorbonne avec l’intention de rédiger une thèse de doctorat sur les présentations de Voltaire au XVIe siècle à la Comédie française. Mais il “tombe” sur Bernard Dort, découvre que la pratique théâtrale est un langage et se met à lire Brecht avec frénésie. Tout en comprenant que son sujet de thèse n’a pas grand intérêt.

Revenu en Belgique, il consacre son doctorat aux feuilletons télévisés (qui sera publié chez 10/18 en 1975 sous le titre La propagande inavouée) avant d’être “embarqué” comme dramaturge dans le Nouveau Théâtre qui voit le jour au cours des années 1966-70. « Je me suis mis à lire les pièces, à réfléchir sur le théâtre, à aider les acteurs à comprendre ce qu’ils disent, sans pour autant jamais imaginer écrire moi-même », commente-t-il*. Avec Michèle Fabien, Jean Louvet et Marc Liebens, il fonde l’Ensemble théâtre mobile, puis collabore avec le théâtre Varia animé par un trio formé de Michel Dezoteux, Marcel Delval et Philippe Sireuil. Parallèlement, de 1983 à 1988, il épaule Gérard Mortier à l’Opéra national de Belgique.

Mais, en 1986, Jean-Marie Piemme opère un tournant décisif dans sa carrière en écrivant sa première pièce, Neige en décembre. Moment qu’il qualifiera a posteriori comme « le plus vrai » de sa vie. « Au terme d’une saison très compliquée à l’opéra, je me suis retrouvé en vacances et, pour m’occuper, je me suis mis à dactylographier des petites choses, se souvient-il. Petit à petit, j’ai senti que quelque chose se passait. Je me suis enfermé deux mois et cette première pièce est sortie. Je l’ai donnée à Sireuil, mais il travaillait sur un autre projet, puis à François Beukelaers qui l’a montée au Théâtre de la place à Liège dirigé par Jacques Deck. Au même moment, Actes Sud lançait sa collection théâtre et l’a prise. » D’autres pièces vont suivre, créées au Varia : Sans mentir, Commerce gourmand ou Le Badge de Lénine. Et, en 1990, il obtient deux prix importants : l’Eve du théâtre et le prix triennal de la Communauté française de Belgique. Il est ainsi lancé sur une voie qui fera de lui l’un des auteurs dramatiques de langue française les plus prolixes.

* Ces textes ont été réunis en 1984 dans un numéro d’Alternatives théâtrales avant d’être réédités, avec d’autres plus récents, en 2012 dans la collection “Espace Nord“.

Je décris des mouvements de révolte, de résistance

Le 15e jour du mois : A plusieurs reprises, vous avez dit que le théâtre était devenu minoritaire. Pourriez-vous préciser ?

Jean-Marie Piemme : Le théâtre a longtemps été le seul art collectif où des gens pouvaient se rassembler pour regarder une même chose. A la fin du XIXe siècle, on pouvait faire une pièce pour attirer l’attention sur les dangers de la syphilis. Aujourd’hui, un débat sur une quelconque question de société n’a plus lieu au théâtre. Mais s’il a perdu une forme de centralité en puissance de diffusion, le théâtre a peut-être gagné en liberté. Il s’y passe des choses qui ne se passent nulle part ailleurs. Ce sont de petits endroits de respiration démocratiques qui ne visent plus une audience de masse, mais des expériences plus singulières par rapport à des populations restreintes. Tout le théâtre n’est pas Shakespeare ; des expériences théâtrales peuvent être par exemple menées avec des groupes sociaux particuliers. C’est un mode de regard sur le monde qui continue à avoir sa légitimité. Sa chance, d’une certaine manière, est d’être lié au corps humain. Dans un monde où l’on a inventé des vitesses incommensurables, incompatibles avec le corps, le théâtre reste un peu archaïque, comme le corps est archaïque par rapport à la machine. Il est un art qui va bien au-delà de la littérature, c’est un art de la présence physique de quelqu’un sur scène face à quelqu’un qui le regarde. Et là, il se produit quelque chose d’indéfinissable.

Le 15e jour : Comment écrivez-vous vos pièces ?

J-M.P. : Je pars toujours de choses sans savoir où elles me mèneront. Je compare l’écriture de mes pièces à un puzzle dont je n’aurais pas le modèle. Je mets ensemble des petits bouts sans savoir comment ils vont se combiner entre eux et, tout à coup, je m’aperçois que certains se mettent à former quelque chose. Je commence alors à voir surgir une problématique. Et en fonction de celle-ci, je rejette certains éléments, j’en développe d’autres.

Le 15e jour : Vous dites ne pas écrire un théâtre politique. Mais, parler de l’extrême droite dans Café des Patriotes ou de la volonté de Bernard Arnault de devenir Belge dans L’Ami des Belges, n’est-ce pas politique?

J-M.P. : Je n’écris pas un théâtre où l’on parle de la prise de pouvoir ou de classes sociales en mouvement, mais mon regard est effectivement politique dans le sens où je décris des mouvements de révolte, de résistance. Et il y a quelque chose de politique dans le fait de déplacer le point de vue que l’on peut avoir sur le réel aujourd’hui. De raconter comment les gens vivent, d’aborder les rapports de pouvoir. Le théâtre met en jeu en permanence la relation de l’individu au monde. Et je ne fais pas la distinction entre le politique et le privé. Mais le théâtre n’est pas, pour moi, un lieu de dénonciation. Le mot lui-même est très ambigu. Ce qui m’intéresse, c’est de proposer des points de vue, des angles de vue, des possibles, des hypothèses mais pas de stigmatiser. Je ne crois pas beaucoup au théâtre comme bonne conscience, je veille à éviter les écueils de l’indignation morale et de la compassion.

Agenda

Mercredi 15 octobre à 14h : une table ronde intitulée “L’écriture dramatique comme mise en jeu du monde” se tiendra au Théâtre de Liège. Discussion dirigée par Nancy Delhalle (ULg), avec Antoine Laubin, Philippe Sireuil, Virginie Thirion, Mathias Simons et Jean-Marie Piemme.
Contacts : tél. 04.344.71.64, courriel j.mallamaci@theatredeliege.be

Lundi 17 novembre à 18h : Jean-Marie Piemme donnera une conférence intitulée “Mes trois vies de théâtre” à l’invitation de l’Alliance française de Liège. Au Théâtre de Liège, place du 20-Août 16, 4000 Liège.
Informations sur le site www.afliege.be

• Jean-Marie Piemme animera pour les étudiants du département des arts du spectacle de l’ULg un atelier intitulé “Mise en scène, dramaturgie et direction d’acteurs”.

La Cité Miroir et le Théâtre de Liège présentent en décembre trois spectacles tirés de l’oeuvre de l’auteur :
L’Ami des Belges, du 2 au 7 décembre, au Théâtre de Liège, place du 20-Août 16, 4000 Liège
Café des patriotes, du 4 au 12 décembre, au Théâtre de Liège
J’habitais une maison sans grâce, j’aimais le boudin, du 2 au 7 décembre, à La Cité miroir, place Xavier Neujean 22, 4000 Liège

Contacts : tél. 04.342.00.00, site www.theatredeliege.be

 

Page réalisée par Michel Paquot
Photo : Alice Piemme
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