Septembre 2014 /236

Participation active

 

La démocratie repose-t-elle uniquement sur le vote ? Certains pensent que cet acte ne suffit pas. Pour eux, la démocratie doit trouver sa légitimité dans la participation, et plus spécifiquement dans la délibération qui suppose l’échange libre d’arguments. Cette démarche de “démocratie participative” ambitionne de remettre le citoyen au coeur des débats et au principe de la prise de décisions. Sociologues et acteurs de terrain se réuniront autour de cette problématique le 1er octobre prochain.
Interview de Catherine Fallon, chargée de cours au département de science politique et directrice du Spiral, et de Gregor Stangherlin, docteur en sociologie (ISHS), actuellement chef de projet du “plan de cohésion sociale” à la ville de Liège.

FallonCatherineLe 15e jour du mois : Quelle est votre définition de la démocratie participative ?

Catherine Fallon : Elle est un peu différente de la démocratie représentative dans la mesure où elle renvoie aux processus qui visent à associer les citoyens lambda à l’élaboration des décisions. Dans un contexte très évolutif – notamment depuis que les technologies de l’information et de la communication permettent à tous de s’informer rapidement et directement –, la participation du large public aux décisions des mandataires publics devient une nécessité. Mais comment l’organiser ? Il y a de nombreuses expériences en cours, avec des processus de participation innovants et que beaucoup de gens ignorent, qu’ils soient responsables ou citoyens. Ces processus sont pourtant riches d’enseignement.

Le 15e jour : Quelle est l’expertise de Spiral en la matière ?

C.F. : Nous avons souligné l’importance de procédures transversales, interdisciplinaires et participatives pour gérer l’action publique dans le cadre de questions émergentes, par exemple. Prenons celle du traitement des déchets radioactifs. Demander aux bourgmestres s’ils accepteraient, dans leur commune, de stocker des déchets nucléaires suscite immédiatement un refus. Or les citoyens – comme les hommes politiques – méconnaissent les implications de ce stockage. Depuis des années, nous travaillons avec l’université d’Anvers à la mise en place d’une stratégie associant les personnes concernées à la construction du projet.

De la même manière, nous avons travaillé pour Electrabel sur le dossier des éoliennes. Leur implantation pose aussi problème car, même si les énergies douces sont plébiscitées, personne ne veut d’éoliennes dans son voisinage direct (ce que certains appellent le réflexe “Nimby”). Là aussi, nous avons organisé des entretiens et des focus groups pour savoir pourquoi des communes ont opposé un refus à leur implantation et pour quelles raisons d’autres agglomérations ont accepté. Nous avons ainsi mis en évidence une série d’éléments dont il faut tenir compte lors de la mise en oeuvre d’un projet si on veut maximiser ses chances d’acceptation par la population et les autorités.

Le 15e jour : L’idée est donc d’éviter les conflits ?

C.F. : Oui, éviter les conflits destructeurs et épauler des processus de communication pour favoriser la reconnaissance des groupes concernés et intégrer les différentes visions du monde. Nous pensons que ces formes de participation très en amont de la recherche ne peuvent qu’améliorer l’inscription de l’innovation dans la société. Nous travaillons pour l’instant, avec le département de philosophie, sur un nouveau projet en génomique. Les chercheurs progressent à pas de géant, mais comment ces nouveautés sont-elles perçues, comprises, acceptées dans l’espace public ? Comment transforment-elles notre approche en santé publique ? Nous allons accompagner les différentes phases d’un projet innovant avec des associations de patients, avec des chercheurs et des médecins. Pour organiser les échanges entre les parties, nous utilisons notamment un logiciel que nous avons développé – Mesydel – lequel organise des interactions en ligne suivant les principes de la méthode Delphi. Ce modus operandi a l’avantage d’aplanir les barrières liées aux statuts des intervenants.


Voir l’article “Quand le citoyen devient acteur” sur le site www.reflexion.ulg.ac.be (rubrique Société/sociologie).

StangherlinGregorLe 15e jour du mois : Pourquoi vous intéressez-vous à la “participation citoyenne” ?

Gregor Stangherlin : Les inégalités s’accentuent dangereusement dans notre société. C’est un constat amer que d’aucuns ont déjà dénoncé et dont Thomas Picketty, dans son ouvrage Le capital au XXIe siècle, analyse l’évolution à l’échelle planétaire. Le capitalisme produit des inégalités insoutenables qui remettent en cause les valeurs sur lesquelles nos sociétés démocratiques reposent. Ce processus constitue véritablement une dynamique explosive et menace, à terme, l’ensemble de la société. Au contraire, penser le “vivre ensemble” contribue, à mon avis, à construire une société plus juste et plus solidaire. Dans ce cadre, la participation des citoyens à la gestion de la ville est un enjeu d’importance.

Dans le cadre de l’élaboration de son plan stratégique, la ville de Liège a mené une enquête auprès de ses habitants. Parmi les améliorations demandées – plus de propreté, création d’espaces verts, renforcement de la sécurité, etc. –, on relève, de façon insistante, le souhait de dynamiser la vie des quartiers. La Ville a pris quelques initiatives en ce sens, celui de la végétalisation du quartier Saint-Léonard par exemple. L’idée était d’embellir l’espace public avec le concours des habitants, des services communaux et des experts de l’ULg. Mais en plus de réaliser un environnement plus agréable et donc de participer au bien-être général, l’objectif était de susciter des relations positives entre voisins, entre citoyens et autorités communales, etc. Susciter la cohésion sociale à travers différents projets concrets est aussi une façon de renforcer le sentiment de sécurité et de contribuer au bien-être de tous.

Le 15e jour : Pourquoi en parle-t-on autant aujourd’hui ?

G.S. : Parce que nous allons devoir modifier nos habitudes. Le modèle européen repose en effet en grande partie sur un service public organisé par l’Etat. Dès lors, le citoyen se contente (!) de payer ses impôts afin d’utiliser les services publics. Il se comporte de plus en plus comme un client de supermarché et non comme un citoyen. Mais force est de constater qu’à l’heure actuelle, l’Etat n’a plus les moyens de remplir toutes ses missions. Il faut trouver d’autres voies et la coresponsabilité, prônée notamment par le Conseil européen, est sans doute l’une d’elles.

Çà et là des initiatives se font jour, mais il faut en susciter davantage et veiller à ce que toutes les strates de la population y participent. En un mot, il faut amplifier la culture de l’engagement, du volontariat. Dans les pays anglo-saxons, cette culture est beaucoup plus développée : les parents participent à la vie des écoles, les gens s’investissent dans les clubs sportifs, des diplômés versent de l’argent à leur université, etc. En Europe, la culture institutionnelle, à l’évidence, ne favorise pas l’engagement spontané du public.

Le “plan de cohésion sociale” a l’ambition de favoriser le bien-être de tous les habitants. En s’investissant à l’égard des populations paupérisées (sans-abris, migrants, toxicomanes, sans-papiers), la Ville veut non seulement les aider à sortir de l’exclusion mais également diminuer les tensions qu’elles peuvent susciter.

Comment participer et faire participer ?

Le 1er octobre, de 14 à 17h, demi-journée de réflexion organisée par Spiral et la MSH (ULg), l’Iweps et l’UCL au Centre culturel de Chênée, rue de l’Eglise 1, 4032 Chênée.
Avec notamment la participation de Frédéric Claisse, Sébastien Brunet et Aline Goethals.

Inscription vivement souhaitée par courriel msh@ulg.ac.be.

Information sur le site www.msh.ulg.ac.be

Propos recueillis par Patricia Janssens
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