November 2014 /238

Un numéro pour la vie

Manifestation des étudiants en médecine contre les quotas

INAMI« Nous sommes vraiment stressés par ce problème. Il faut bien voir que des étudiants sont en train de faire six ou sept ans de médecine pour, peut-être, ne pas pouvoir exercer », peste l’un des 200 étudiants de master 3 et 4 en Médecine de l’ULg. Ils ont manifesté le 30 octobre devant le siège du PS liégeois pour réclamer la fin des quotas des numéros Inami délivrés aux diplômés de médecine et réclamer un financement supplémentaire ainsi qu’une sélection à l’entrée des études, sur base d’un cadastre de la profession.

Situation intenable

Entre 3 et 4000 étudiants des universités concernées s’étaient déjà déplacés une dizaine de jours auparavant, jusqu›au siège du MR, avenue de la Toison d’or, à Bruxelles (en bénéficiant de la gratuité du trajet en train), après la publication d’une carte blanche des trois Doyens des facultés de Médecine francophones dans Le Soir du 4 octobre. Dans un ultimatum au gouvernement, tout en demandant au monde politique la révision du système actuel, les Doyens menaçaient de diminuer dorénavant les attestations Inami délivrées aux étudiants diplômés, pour compenser le fait que les quotas des années à venir ont été entamés (le lissage). Ces dernières années, les quotas prévus étaient moins nombreux que les diplômés. En 2014, près de 600 médecins ont été diplômés en Communauté française. Or, en vertu du numerus clausus fédéral appliqué depuis 2004, les quotas actuels prévoient 400 numéros Inami disponibles seulement, répartis entre les universités. On a donc pris dans “le pot” des années suivantes. Selon la Fédération des étudiants francophones (FEF), on verra en 2017 plus de 1000 diplômés pour moins de 500 attestations. En tout état de cause, 50% des diplômés en médecine et 60% des dentistes ne recevraient pas le numéro Inami, indispensable sésame pour effectuer des prescriptions et garantir aux patients un remboursement des soins.

Le fameux lissage, appliqué depuis 2010 en raison de la forte augmentation du nombre d’étudiants en médecine, est autorisé jusqu’en 2018 (et jusqu’en 2020 pour les dentistes). Mais il a atteint son climax. « En 2018, le nombre total d’attestations délivrées devra correspondre à la somme de ce qui était réellement autorisé par année. Pourtant, nous avions la promesse, au niveau fédéral, que l’on ouvrirait, en 2014, les quotas des spécialités considérées en pénurie dont la médecine générale, la pédopsychiatrie, la gériatrie et la médecine d’urgence. Nous sommes actuellement en discussion avec les partis politiques des exécutifs communautaire et fédéral. Mais, à cette heure, nous n’avons donc d’autre choix que de “lisser à l’envers” et donc de limiter drastiquement le nombre d’attestations délivrées chaque année », déplore Vincent D’Orio, doyen de la faculté de Médecine.

En clair, la moitié des diplômés à l’été 2015 pourraient ne pas être autorisés à exercer une profession pour laquelle ils ont réussi (et payé) sept années d’études. « C’est d’autant plus inacceptable que tous les acteurs du monde médical s’accordent à reconnaître qu’il y a une pénurie de médecins en Belgique, grince Corinne Martin, présidente de la Fédération des étudiants francophones (FEF). Il ne leur resterait plus que la possibilité de professer dans la médecine du travail, la médecine légale, l’expertise médicale ou la recherche qui ne requièrent pas de numéro Inami. Ou de s’exiler pour entamer leur spécialisation ou pratiquer à l’étranger. Et ce n’est pas normal ! »

La planification médicale a été forgée en 1998 autour d’un constat mettant en lumière une pléthore de médecins avec, pour corollaire, une baisse quantitative de leurs patients et de leurs revenus. « A l’époque, on avait oublié que des médecins avaient obtenu un numéro Inami mais n’exerçaient pas dans les faits. Depuis, la situation a complètement changé, note Richard Duport, vice-président du comité interuniversitaire des étudiants en médecine et étudiant de 1er master en médecine à Liège. La génération du baby-boom arrive au terme de son temps de travail et libère de la place. De plus, la profession s’est féminisée. Or les femmes, plus enclines à opter pour le temps partiel pour des raisons familiales, représentent moins d’équivalent temps plein que les hommes. » Une pénurie de généralistes, urgentistes, gériatres, psychiatres et pédopsychiatres est clairement attendue.

Pénurie de médecins en vue

A l’heure actuelle, on observe une augmentation du nombre d’étudiants en médecine. Ils étaient 141 diplômés l’année passée, soit le contingent le plus important de ces 15 dernières années. Les études sont attirantes, dépourvues d’examen d’entrée et offrent une fiabilité d’emploi. De quoi combler la pénurie sur le marché du travail ? Pas si simple ! Depuis 2012, la durée des études de médecine est rabotée d’un an. Ce qui veut dire qu’en 2018, deux promotions recevront leur diplôme la même année (la double cohorte de ceux qui ont débuté leur cursus en 2012 et de ceux qui l’avaient entamé en 2011 sous le régime “sept ans”). Il s’agira, cette année-là, de gérer à la fois le problème des numéros Inami et celui des stages pour lesquels le financement est insuffisant.

Les associations étudiantes revendiquent donc un aggiornamento du système par un refinancement des stages et un assouplissement des conditions pour accéder au titre de maître de stage, sans altérer la qualité de la formation. Ils réclament également la fin des quotas (ou la poursuite du lissage) et la délivrance de numéros Inami à tous les diplômés. Des numéros pourraient également être récupérés auprès des diplômés étrangers – qui les ont parfois emportés avec eux – ou de ceux qui n’exercent pas réellement. « Nous attendons également un cadastre établissant le nombre effectif de médecins, leur localisation, leurs taux horaires et leurs spécialités », ajoute Richard Duport. Cela, afin de disposer d’éléments objectifs permettant de réfléchir à l’ensemble de la problématique et d’adapter les prochains décrets à l’offre médicale réelle.

Objectiver les choses

« A moyen terme, l’accord de gouvernement prévoit ce cadastre. Cela permettra aux commissions de planification de mieux faire concorder l’afflux dans les professions de santé. Un pacte clair concernant le contingentement est prévu dans l’accord de gouvernement. Cela demandera de la concertation avec les instances compétentes des Communautés. Soyez assurés qu’en tant que médecin généraliste, je suis particulièrement attentive à cette problématique et que je m’efforcerai de trouver un consensus sur cette question », répond la nouvelle ministre de la Santé, Maggie de Block.

Le ministre de l’Enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Jean-Claude Marcourt, relève, lui, que le texte de l’accord gouvernemental au niveau fédéral reconnaît la pénurie de médecins. Mais il souligne que, dans le contexte européen qui promeut la mobilité et l’ouverture des marchés, un système de planification reste nécessaire puisqu’un afflux d’étudiants non-résidents, disposant de numéros Inami hors quotas, est possible « et fait peser une menace sur notre santé publique ».


Fabrice Terlonge (le 4 novembre)
Photo : F.T.
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