Novembre 2014 /238
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Marc Bourgeois

L’accord gouvernemental sous l’angle de la fiscalité

BourgeoisMarcSpécialisé en droit fiscal et en finances publiques, le Pr Marc Bourgeois est le coprésident du Tax Institute (avec les Prs Alain Jousten et Isabelle Richelle de HEC-ULg). Ce centre de recherche, aujourd’hui “entité thématique” de l’ULg, regroupe de nombreux chercheurs – juristes, gestionnaires et économistes pour la plupart – ainsi que des praticiens soucieux de valoriser leur expertise en la soumettant à une réflexion académique désintéressée. Espace de rencontres et de dialogues, le centre offre une analyse, à vocation interdisciplinaire, sur la fiscalité belge, européenne et internationale, ainsi que sur l’évolution des finances publiques.

Porté sur les fonts baptismaux en 2012, le Tax Institute a déjà de nombreuses publications et recherches à son actif et son expertise est maintenant reconnue tant dans les trois Régions de notre pays qu’à l’extérieur des frontières de la Belgique. Le Pr Alain Jousten a fait partie de la commission de réforme des pensions. Les études sur la fiscalité immobilière des Prs Richelle et Bourgeois, les nombreuses publications consacrées à la nouvelle gouvernance budgétaire européenne, ou encore les articles scientifiques, publiés notamment dans des revues internationales sur l’abus de droit en matière fiscale, témoignent de la dynamique de recherche de ce jeune centre à qui Paul Furlan, ministre wallon du Logement, vient de confier une étude sur l’avenir de la fiscalité immobilière en Région wallonne. Si le Tax Institute se garde bien d’intervenir dans les décisions politiques, il entend néanmoins fournir une expertise scientifique à ses commanditaires. C’est dans cet esprit que nous avons rencontré le Pr Marc Bourgeois à propos de l’accord gouvernemental présenté par le Premier ministre Charles Michel.

Le 15e jour du mois : Que retenir, globalement, de cet accord, d’un point de vue fiscal ?

Marc Bourgeois : Alors que l’on s’attendait à une réforme fiscale de grande ampleur, cet accord manifeste une volonté de stabilisation. Cela peut paraître contradictoire, mais la stabilité en la matière est très importante pour les entreprises qui se plaignent souvent de l’inconstance des mesures fiscales. Charles Michel annonce néanmoins une baisse sensible du coût fiscal et parafiscal pesant sur le travail, conformément aux recommandations presque unanimes en la matière. Sous réserve de certaines exceptions, le nouveau gouvernement ne précise cependant pas comment cette diminution des charges fiscales sur le travail se concrétisera. Le volet “réduction des charges sociales” est, lui, davantage développé dans l’accord. Afin d’encourager l’emploi et de favoriser la compétitivité, notamment des PME, le gouvernement va réduire les cotisations sociales à charge des employeurs, ce qui correspond à une demande pressante des acteurs économiques. Au passage, une concession fiscale en faveur des PME mérite d’être soulignée : elles pourront chaque année mettre en réserve une partie de leur bénéfice imposable moyennant le paiement anticipé d’un impôt de 10% ; ce faisant, les actionnaires, en cas de liquidation, échapperont au taux de 25 % sur les boni de liquidation tel qu’introduit par le précédent gouvernement.

Le 15e jour : Dans ses grandes lignes, le régime fiscal reste donc en l’état ?

M.B. : Si l’on s’en tient à ce premier texte, effectivement, l’immobilisme est relativement de mise. Or, on le sait, notre système fiscal avantage le patrimoine au détriment du travail : c’est d’ailleurs la raison qui motive certains contribuables français à s’installer en Belgique, échappant ainsi à l’impôt sur la fortune et à la taxation sur les plus-values sur actions, notamment. En Belgique, les recettes de l’impôt sur le revenu proviennent essentiellement des revenus du travail. Certes, notre système prévoit aussi une imposition assez lourde du patrimoine immobilier – le précompte immobilier, les droits d’enregistrement, les droits de succession, l’impôt des personnes physiques – mais, malgré cela, la sur-taxation des revenus professionnels par rapport aux revenus du patrimoine est un fait.

Une première contribution concrète à la réduction de l’imposition sur le revenu du travail figure clairement dans l’accord de gouvernement : la revalorisation du forfait professionnel déductible par les salariés, laquelle apportera un peu d’oxygène aux ménages… qui devront faire face, en contrepartie, à une hausse des accises sur le diesel et le tabac.

Pour le reste, le principe du tax shift (transfert partiel de la charge fiscale sur le travail vers d’autres bases imposables) fait simplement l’objet d’une “annonce” sans plus. Les arbitrages à cet égard semblent ne pas encore avoir été faits au sein du nouveau gouvernement fédéral. Tout semble ouvert (ou fermé ?) à cet égard : taxation des plus-values sur actions, augmentation de la taxation de l’immobilier (même si le Premier s’est défendu au Parlement de vouloir taxer les revenus réels), augmentation de la TV A, nouvelles charges fiscales sur les produits nocifs à l’environnement et à la santé, etc. En ce qui concerne tout particulièrement la TV A, l’accord est maigre ; on peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence de taux réduits, comme celui qui concerne l’Horeca, mais ce point est passé sous silence. Quant à une augmentation générale du taux de TV A, tous secteurs confondus, il pourrait bien s’inscrire dans le fameux tax shift que je viens d’évoquer, mais aucun arbitrage n’a encore été fait.

En fin de compte, en termes de réforme fiscale à proprement parler, “beaucoup de bruit pour rien”, si l’on compare l’accord avec les programmes électoraux de certains partis composant aujourd’hui la nouvelle majorité.

Le 15e jour : Comment expliquer cette frilosité ?

M.B. : Pour parvenir à l’équilibre budgétaire imposé par la Commission européenne (et reporté en 2018), soit vous augmentez les recettes, soit vous diminuez les dépenses. C’est un choix politique. Le gouvernement Michel a préféré cette deuxième solution. Ce n’est sans doute pas très courageux, mais il faut dire que le contexte budgétaire est sous haute tension : toute modification, même infime, du régime fiscal peut avoir un impact sensible sur l’équilibre budgétaire recherché.

En outre, la régionalisation de compétences très importantes dans le cadre de la sixième réforme de l’Etat n’incite pas à la prise de risque. A partir de l’exercice d’imposition 2015 (revenus de 2014), une partie importante de l’impôt des personnes physiques (un quart à peu près) relèvera de la compétence des Régions. Les interactions et l’interdépendance en cette matière, entre l’autorité fédérale et les collectivités régionales, seront plus sensibles qu’auparavant. On s’avance là en territoire inconnu, ce qui est toujours anxiogène, d’autant qu’en matière de fiscalité on campe facilement sur ses “droits acquis”. Vu la situation difficile dans laquelle se trouve la Wallonie, des confrontations musclées sont à craindre entre le pouvoir fédéral et les Régions.

Le 15e jour : D’un point de vue fiscal, ces mesures sont donc cosmétiques et conservatrices ?

M.B. : Au vu de l’importance du chantier à mettre en oeuvre, on peut regretter, effectivement, que les modifications opérées le soient en mode mineur. Aucun grand arbitrage n’est en vue et l’objectif d’un rééquilibrage du système fiscal risque de disparaître à l’horizon. Le dossier des pensions est manifestement prioritaire pour le gouvernement et la réforme du travail également, laquelle passe par une plus grande flexibilité… et par un gel “intelligent” de l’indexation des salaires.

Les provisions comptables et fiscales – Principes généraux et cas pratiques

Après-midi d’étude organisée par le Tax Institute, le jeudi 20 novembre à 13h30, avec notamment la participation des Prs Marc Bourgeois et Wilfried Niessen (ULg), à l’amphithéâtre Durkheim, faculté de Droit (bât. B31), 4000 Liège.

Contacts : inscriptions, tél. 04.366.31.57, courriel taxinstitute@ulg.ac.be, site www.taxinstitute.ulg.ac.be



Propos recueillis par Patricia Janssens
Photos J.-L. Wertz
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