December 2014 /239

De mère en fille

Pourquoi les filles réussissent-elles mieux ?

Un constat, d’emblée : les filles réussissent mieux que les garçons au terme de leur première année à l’université – avec un écart de 11% à leur avantage. A quoi cette différence est-elle due ? Afin de mieux comprendre cette réalité, Dominique Lafontaine, professeure dans le département éducation et formation, a mené entre 2008 et 2012 une vaste étude en partenariat avec l’UCL et l’ULB. Se basant sur un échantillon de près de 3000 étudiants en Belgique francophone, les chercheurs ont exploré ce que cache cette meilleure réussite des filles.

Un projet émancipateur

MereFillePourquoi réussissent-elles mieux, au début de leurs études ? Puisque l’on sait, par d’autres travaux, qu’elles réussissent mieux à l’école primaire et secondaire, l’enquête menée ici – et c’est toute son originalité – avait pour objectif de faire émerger les autres facteurs qui entrent en jeu. A parcours scolaire antérieur comparable (mêmes filières et options suivies dans le secondaire, même nombre d’années redoublées), il subsiste un écart de 11 % de réussite à l’avantage des filles. Le diplôme dont sont porteurs les parents joue aussi un rôle déterminant. Sans surprise, les étudiants, garçons ou filles, réussissent mieux si leurs parents ont un diplôme universitaire. Un jeune dont les parents ont un diplôme universitaire a presque deux fois plus de chances de réussir son “bac” qu’un copain dont aucun des parents n’a ce type de diplôme.

Par ailleurs, des effets d’interaction entre le sexe et le niveau d’étude des parents sont observés. Ainsi, on constate que les écarts de réussite (dans tous les cas en faveur des filles) se creusent à mesure que le diplôme des parents s’élève. En d’autres termes, les filles dont les parents ne sont pas universitaires réussissent aussi bien que des garçons dont les parents le sont. Comme l’avaient déjà souligné d’autres études, la relative démocratisation de l’université passe donc essentiellement par les filles, tandis qu’un certain nombre de garçons, pourtant issus de milieux socialement privilégiés, réussissent moins bien qu’attendu.

Pourquoi un tel écart ? « Il apparaît que les filles accordent plus de valeur à la réussite des études supérieures, explique Dominique Lafontaine. Par ailleurs, elles s’estiment au départ moins capables de réussir. » La première année à l’université peut alors prendre les allures d’un défi, dans lequel elles s’investissent davantage. Ce constat rappelle que, pour beaucoup de filles encore, les études constituent un projet émancipateur, un précieux sésame pour décrocher des places majoritairement réservées aux hommes. « Cet ascenseur social est d’autant plus prégnant chez les filles issues de l’immigration ou chez celles dont la mère n’a pas fait d’études », observe la pédagogue.

Si le niveau d’études du père a un impact sur la réussite des étudiants en 1er bac, l’enquête pointe un autre phénomène : le niveau d’éducation de la mère a une influence positive supplémentaire sur la réussite de leur fille. Une façon “d’ouvrir la voie”, de lever des barrières, de rendre le parcours plus aisé – particulièrement dans les filières fortement masculines comme les sciences exactes ou d’ingénieur. « D’autant, note Dominique Lafontaine, qu’il existe un dialogue singulier mères-filles que l’on ne retrouve pas nécessairement entre les mères et leurs fils ou entre les pères et leurs filles. »

Ces observations précieuses (d’où l’importance de collecter ce type de données familiales !) offrent des leviers d’action sur le terrain. Que faire, concrètement ? « Il ne s’agit évidemment pas de saper la confiance parfois excessive qu’ont les garçons dans leurs capacités à réussir, au contraire, mais de les aider à mieux s’évaluer et appréhender les efforts à fournir, via des tests formatifs en cours d’année et des feedbacks pour mieux les accompagner », conclut Dominique Lafontaine. Quant à la valeur accordée aux études, si elle se forge au sein de la famille et de la vie sociale, elle peut être affinée encore lors des réflexions autour du choix d’un cursus. « Beaucoup d’initiatives d’orientation existent, mais ne sont pas toujours utilisées par ceux qui en auraient le plus besoin ! »

Booster la confiance

Tirer les garçons vers le haut en s’appuyant sur l’implication des filles, tout en boostant la confiance de ces dernières dans leurs capacités, en particulier par rapport aux études scientifiques : voilà le défi induit par l’investigation menée par le Pr Lafontaine. Attention toutefois, prévient-elle, à ne pas retomber dans les stéréotypes : au-delà des moyennes de réussite, il existe évidemment des garçons assidus et des filles qui mènent leur début de parcours universitaire en “touristes”… Une bonne orientation préalable, un travail régulier, une estime de soi correcte, des feedbacks formatifs et une capacité affinée d’évaluation : autant d’ingrédients propices à la bonne réussite des étudiants, filles comme garçons.

Dominique Lafontaine, Vincent Dupriez, Maud Van Campenhoudt et Catherine Vermandele (2012), “Le succès des “héritières” : un effet conjugué du genre et du niveau d’études des parents sur la réussite à l’université”, dans Revue française de pédagogie, 179.
L’étude financée par le FRFC est disponible en ligne : http://orbi.ulg.ac.be/

Marie Liégeois
Photo : ULg - Michel Houet
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