Décembre 2014 /239

Briser l’enfermement

Un nouvel outil pour débusquer la conscience

ConscienceClassiquement, l’évaluation clinique des patients gravement cérébrolésés se fonde sur l’examen de leurs réponses motrices à l’aide d’échelles comportementales. Le diagnostic ainsi posé est erroné dans quelque 40% des cas. Ainsi, il arrive fréquemment que soient déclarés en état végétatif/non répondant des patients en locked-in syndrome (LIS), dont la caractéristique est d’être parfaitement conscients dans un corps immobile, et des patients en état de conscience minimale (incapables de suivre de manière “consistante” des instructions simples, mais avec néanmoins une conscience fluctuante de leur environnement).

Potentiels évoqués cognitifs

Dans la récente thèse de doctorat qu’il a réalisée au sein du Coma Science Group, Damien Lesenfants, ingénieur civil spécialisé dans le biomédical, écrit : « Les échelles comportementales sont principalement basées sur les réponses motrices et sur la compréhension verbale du sujet. Ceci rend le diagnostic difficile dans cette population souffrant souvent de troubles moteurs, d’aphasie et d’une vigilance fluctuante. De plus, la fiabilité du diagnostic avec ces outils dépend de l’expérience de l’expérimentateur. »

Le recours systématique à une échelle comportementale standardisée et sensible ainsi qu’à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ou à la tomographie par émission de positons (PET-scan) permet de diminuer les taux d’erreurs de 20% environ dans le meilleur des cas. Depuis quelques années, l’intérêt s’est porté sur la conception d’outils sensibles mais, contrairement au PET-scan et à l’IRMf, peu coûteux et faciles d’emploi. De nombreux efforts ont été déployés en s’appuyant sur la technique de l’électro-encéphalographie (EEG) et des potentiels évoqués cognitifs. Un des projets les plus aboutis d’interface cerveau-ordinateur (BCI) est celui récemment élaboré par Damien Lesenfants.

LesenfantsDamienLe but poursuivi était « d’utiliser la technologie des interfaces cerveau-ordinateur afin de développer un outil de diagnostic indépendant du contrôle moteur et permettant d’évaluer objectivement la réponse à la commande chez des patients souffrant de locked-in syndrome et de troubles de la conscience ». Objectif complémentaire : établir une communication avec les patients conscients.

Damien Lesenfants a opté pour la technique des potentiels évoqués visuels en régime permanent (en anglais, Steady State Visually Evoked Potential-SSVE P). Un des écueils auxquels se heurtaient les SSVEP-BCI était qu’ils dépendaient du contrôle du regard, donc des nerfs périphériques et des muscles – les spécialistes parlent d’attention “overt”. Leur applicabilité à des patients dont le contrôle visuel est altéré ou inexistant est problématique. Aussi Damien Lesenfants a-t-il choisi de concevoir un système basé sur le concept alternatif d’attention “covert”, indépendant du contrôle moteur, où le sujet se concentre mentalement sur le stimulus cible sans devoir bouger les yeux.

Dans le système mis au point au sein du Coma Science Group, un panneau est placé à 30 cm de la tête du sujet. Il se présente sous la forme d’un damier de 7x7 cm² composé de diodes électroluminescentes carrées de 1x1 cm², les unes jaunes, les autres rouges. Les deux types de stimuli (diodes jaunes, diodes rouges) se trouvent ainsi en permanence dans le champ visuel du sujet. Selon leur couleur, les diodes émettent des flashes lumineux à des fréquences différentes. Si le sujet se concentre sur une couleur, l’activité des neurones de ses aires visuelles (cortex occipital) se synchronisera avec la fréquence de clignotement des carrés correspondants.

« Grâce à l’optimisation de différents paramètres, notre covert SSVEP-BCI a atteint un niveau de performances de 85% chez les sujets sains, ce qui nous permettait de le tester chez des patients LIS », rapporte Damien Lesenfants. Dans le locked-in syndrome, l’évaluation de l’interface s’opéra à deux niveaux : d’une part, la capacité du système à détecter la réponse à la commande et, d’autre part, son aptitude à servir de moyen de communication entre le patient et le monde extérieur. Hélas, les performances obtenues furent relativement décevantes.

Système hybride

Manifestement, il fallait encore améliorer le système. C’est pourquoi, parallèlement à la tâche initiale demandée (se concentrer sur les diodes rouges ou les diodes jaunes), le système fut aménagé pour étudier également l’attention focale, c’est-à-dire le degré de concentration du sujet sur la cible désignée. « Plus précisément, cette méthode alternative de détection de réponses volontaires reposait sur l’évaluation, par le biais de l’entropie spectrale, du niveau d’attention du sujet lors de la réalisation de la tâche demandée et, partant, de son investissement conscient dans l’accomplissement de cette tâche, explique Damien Lesenfants. Grâce à ce système hybride combinant deux méthodes d’évaluation, nous avons obtenu un niveau de performances de 95% chez les sujets sains et les patients LIS. »

Le nouveau système hybride SSVEP/Entropie a ensuite été testé chez des patients présentant des désordres de la conscience (DOC). Avec quels résultats ? Une réponse à la commande fut détectée chez la majorité des patients qui avaient préalablement été diagnostiqués en état de conscience minimale sur la base d’une évaluation comportementale. Le taux de faux négatifs se limita à 9%, tandis qu’aucun faux positif ne fut enregistré : personne au sein de l’échantillon de 16 patients en état végétatif/non répondant ne fut considéré par le système comme ayant répondu à la commande.


Philippe Lambert
Photo : Cyberpunk Symphony. Reproduite avec l'autorisation de Jan Dolezalek. © 2008 DakArt
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