Décembre 2014 /239

Ruée vers l’Afrique

Les pays émergents investissent le continent

Depuis une vingtaine d’années, les pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Russie, Afrique du Sud, Turquie) investissent massivement en Afrique, au grand dam des pays occidentaux. Un ouvrage*, écrit sous la direction de Sebastian Santander, responsable du Centre pour les relations internationales du l’ULg, analyse en profondeur cette évolution.

Sebastian Santander avance quatre raisons principales pour le rapprochement entre pays émergents et Afrique : la convoitise envers les ressources naturelles africaines (hydrocarbures, cobalt, cuivre, bois, etc.), l’appétit d’investisseurs envers les taux de croissance de certains pays africains (comme l’Angola, l’Ethiopie, le Mozambique et le Rwanda), la recherche d’appuis ou d’alliances dans les négociations internationales, et la nécessité pour les émergents d’accentuer leur périmètre d’influence, leur visibilité et leur reconnaissance internationales.

Relation Nord-Sud

La Chine est le pays émergent qui a le plus massivement investi en Afrique, au point de devenir le premier partenaire économique de ce continent. Quelque 2000 entreprises chinoises y sont implantées. L’investissement chinois suscite de nombreuses critiques, l’Empire du milieu étant souvent accusé d’attitudes néocolonialistes. « En RDC par exemple, de plus en plus de voix dénoncent les termes des contrats signés par les entreprises chinoises dans le secteur minier, note Sebastian Santander. Ils perpétuent une relation Nord-Sud traditionnelle : on extrait des ressources naturelles pour les exporter, mais on ne produit presque rien dans le pays. »

L’auteur relève une augmentation exponentielle des relations commerciales entre le Brésil et l’Afrique, passées de 3,5 milliards d’euros en 2003 à 21 milliards en 2012. « Le Brésil a analysé les erreurs commises par les Européens et les Chinois afin de ne pas les reproduire et ternir son image. Au lieu d’envoyer d’importantes sommes d’argent ou de se limiter à l’exploitation des matières premières, le Brésil se concentre sur la transmission de connaissances. L’un de ses objectifs est de développer un marché mondial de l’éthanol de canne à sucre, un biocarburant pour lequel il dispose d’un grand savoir-faire. Ce pays sait qu’il ne peut y arriver seul. Il fournit donc à plusieurs pays africains une expertise technique dans la production d’éthanol, espérant augmenter ainsi l’offre mondiale pour ce carburant. »

L’ouvrage L’Afrique, nouveau terrain de jeu des émergents analyse quelques stratégies communes mises en oeuvre par les puissances émergentes dans leur rapprochement avec le continent africain. Toutes ont une attitude de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays africains, à la différence des pays occidentaux qui abordent parfois des questions comme le respect des droits humains. Cette attitude aide les émergents à s’attirer les faveurs de certains dirigeants africains et facilite la conclusion de contrats.

Les émergents ont aussi en commun un renforcement de leurs relations diplomatiques avec les pays africains. Ils ouvrent de nouvelles représentations diplomatiques (la Turquie a triplé le nombre de ses ambassades en Afrique), multiplient les sommets réunissant les plus hautes autorités politiques. Sebastian Santander souligne que, depuis Ju Jintao, chaque nouveau président chinois réserve ses premiers voyages à l’étranger à l’Afrique, et non à l’Europe ou aux Etats-Unis.

Décentrage du pouvoir mondial

Les pays émergents accordent de plus en plus de bourses d’études aux étudiants africains. « Chaque émergent a pour logique d’attirer les futurs décideurs politiques d’Afrique, de les former dans leurs universités car ils auront ensuite une influence dans le domaine politique ou économique », note Sebastian Santander. Des investissements payants à long terme : lorsque la Russie a recommencé à s’intéresser de très près à l’Afrique, l’une de ses stratégies a consisté à réactiver ses réseaux d’anciens boursiers formés dans les universités soviétiques. Ils parlent encore le russe et ont facilité sa pénétration du continent.

L’ouvrage montre que l’expansion des pays émergents en Afrique est l’expression d’un décentrage progressif du pouvoir mondial. Sebastian Santander : « Les pays du Nord ont perdu des marchés au profit des pays émergents et leur poids relatif en Afrique diminue. On assiste à une évolution lente des rapports de force. Pour que ces rapports évoluent davantage, il faudrait que les pays africains adoptent des stratégies coordonnées à l’égard des pays émergents, de l’Europe et des Etats-Unis, ce qui est encore très rare. »

* L’Afrique, nouveau terrain de jeu des émergents. Sous la direction de Sebastian Santander, éditions Karthala, Paris, 2014. L’ouvrage réunit la collaboration d’une quinzaine de chercheurs et professeurs issu d’universités européennes, africaines et latino-américaines.

Samuel Grumiau
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