December 2014 /239

Les enjeux de la génétique

Lis-moi ton génome, je te dirai qui tu es

Sources de fantasmes et de scénarios de science-fiction en tout genre, les apports de la génétique et de l’épigénétique restent encore largement méconnus du grand public. Des lacunes qui pourront être palliées en partie entre le 2 février et le 23 mars prochains à l’Espace universitaire de l’ULg, à Verviers. Une conférence introductive sera donnée par le Pr Michel Georges – de réputation mondiale dans le domaine de la génétique animale – intitulée “Lis-moi ton génome, je te dirai qui tu es”. En effet, la génétique constitue notre identité profonde. On parle aussi de notre patrimoine génétique qui renvoie à l’idée que nous héritons et nous transmettons par la voie génétique.

Mieux cerner l’être humain

GeorgesMichelLe module de conférences est intitulé : “Les enjeux de la génétique et de l’épigénétique”. Du grec “γεννώ” (genno) qui signifie “donner naissance”, la génétique a pour objet l’étude des gènes et de l’hérédité. L’épigénétique, quant à elle, recouvre l’ensemble des changements d’activité des gènes qui sont transmis au fil des divisions cellulaires ou au fil des générations sans faire appel à des mutations de l’ADN. L’épigénétique est également reliée à l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes et à une hérédité non codée dans l’ADN.

L’origine vient d’Aristote qui, en précurseur, invente le terme d’“épigénèse” (de epi “au-dessus de” et genèse “génération”). Pourtant, l’épigénétique dans son acception moderne n’est venue que tard, dans les années 1980, détrôner le “tout génétique”. Ceci a permis d’apporter des explications là où la rage du séquençage du génome humain n’avait pas réussi à éclairer de manière satisfaisante certains points d’ombre. Par exemple, comment expliquer que les cellules d’un organisme ne soient pas toutes identiques alors même que les caractères d’un individu seraient déterminés par les gènes ?

A ce titre, l’intervention du Pr Michel Georges (coordinateur du réseau Belgian Medical Genomics Initiative) sera d’autant plus instructive qu’elle renvoie par son sujet à l’image utilisée par Thomas Jenuwein, spécialiste de biologie moléculaire et d’épigénétique, pour distinguer les deux sciences : « On peut sans doute comparer la distinction entre la génétique et l’épigénétique à la différence entre l’écriture d’un livre et sa lecture. Une fois que le livre est écrit, le texte (les gènes ou l’information stockée sous forme d’ADN) sera le même dans tous les exemplaires distribués au public. Cependant, chaque lecteur d’un livre donné aura une interprétation légèrement différente du contexte, qui suscitera en lui des émotions et des projections personnelles au fil des chapitres. D’une manière très comparable, l’épigénétique permettrait plusieurs lectures d’une matrice fixe (le livre ou le code génétique), donnant lieu à diverses interprétations, selon les conditions dans lesquelles on interroge cette matrice. »

On comprend dès lors que l’un des enjeux premiers entourant cette distinction est certainement une meilleure appréhension de l’être humain en particulier. Savoir que nous ne sommes pas seulement détenteurs d’un patrimoine génétique constitué par le biais de l’hérédité mais, qu’à cette fatalité au sens large du terme, s’ajouteraient des facteurs environnementaux, n’est pas anodin.

Certaines études menées sont d’ailleurs venues confirmer l’intuition géniale d’Aristote d’un dynamisme qui traverserait les générations en fonction de ce que nos ancêtres auraient vécu. Ainsi, en 2002, l’épidémiologiste suédois Gunnar Kaati s’est penché sur l’impact de l’alimentation d’hommes nés entre 1890 et 1920 sur leurs descendants. Les résultats obtenus sont tout à fait révélateurs : quand les grands-pères ont subi des restrictions alimentaires entre 8 et 12 ans, leurs petits-fils ont une mortalité cardio-vasculaire plus faible et une espérance de vie accrue. A l’inverse, ceux dont les ancêtres ont été bien nourris connaissent des problèmes de diabète et vivent moins vieux. Par conséquent, notre santé serait influencée jusqu’à un certain stade par des conditions de vie que nous n’avons pas connues mais dont notre organisme garde la mémoire !

Mieux contrer certaines pathologies

Les conférences à venir laisseront une large place aux enjeux thérapeutiques entourant la génétique et l’épigénétique. Car ce qui précède montre bien qu’ « il s’agit d’acquérir des connaissances fondamentales sur nous-mêmes, c’est-à-dire de déterminer d’où nous venons pour ensuite être en mesure de détecter nos prédispositions éventuelles à certaines pathologies », explique le Pr Michel Georges. Pour cela, « il faut tout d’abord parvenir à décrire le génome humain, à le caractériser à partir d’un individu de référence. Ceci a un impact déterminant sur notre place au sein du vivant. On touche à des sujets très délicats comme les conceptions religieuses mais aussi aux différences entre les origines des individus. Au niveau thérapeutique, cela va bouleverser l’acte médical et les outils de diagnostic des traitements ».

Ce point fera l’objet d’une intervention de Carole Charlier, maître de recherches FNRS, sous le titre de “Adam et son génome. ‘Le’ génome humain : qu’avons-nous appris, grâce aux essors de la génomique, quant à la structure, l’organisation et le mode de fonctionnement de notre génome ?”. Cette conférence servira de point de départ avant deux exposés du Pr Vincent Bours qui mettront l’accent sur certaines pathologies, héréditaires ou non. « Les pathologies dites héréditaires résultent de “mon” génome, tel que je le reçois de mes parents. En revanche, d’autres pathologies comme le cancer sont dues à des mutations somatiques [ndlr : mutations génétiques au niveau des cellules formant des tissus et ayant entraîné une maladie non héréditaire] qui s’accumulent dans nos tissus renvoyant à “mes” génomes. » D’où il résulte que toutes les maladies génétiques ne sont pas héréditaires mais que toutes les maladies héréditaires sont des maladies génétiques.

On le sait, la génomique a connu un essor spectaculaire. « La lecture du génome se démocratise au point que certaines sociétés offrent cela aux communs des mortels », note Michel Georges. En 2003, s’est d’ailleurs achevé avec succès le “Projet génome humain” initié en 1990 dont la mission était d’établir le séquençage complet de l’ADN du génome humain. Ce n’est pas pour autant que toutes les questions ont trouvé leur réponse. En effet, à l’issue de ce projet, la conclusion était qu’à peine 10% de l’ADN code pour des gènes. D’où le début d’un nouveau projet concentré sur l’ADN non codant humain. Là encore, les perspectives sont immenses.

Débat éthique

Enfin, “une meilleure connaissance de nous-mêmes” sur le plan génétique et épigénétique pourrait se traduire par la venue d’un nouvel eugénisme, thème qui fera l’objet de la dernière conférence. Ce terme, pour longtemps terni dans la mémoire collective par l’usage qu’en a fait le régime nazi, jouissait pourtant d’une perception positive avant la Seconde Guerre mondiale au sein de la bourgeoisie bien pensante. Il existait même un Journal de l’eugénisme en Belgique ! Or, à moins de pratiquer la politique de l’autruche, la réalité de la recherche scientifique impose aujourd’hui de revenir sur ce vocable.  « On est en train de lire ce qui différencie les individus à tout niveau. Comment va-t-on utiliser ces informations ? Va-t-on se retrouver dans une contradiction folle de refus de l’eugénisme et de financement de recherches qui par la force des choses vont dans ce sens ? », questionne le professeur.

On pense à la procréation médicalement assistée notamment, laquelle permet un diagnostic prénatal et préimplantatoire. La science avance donc à grands pas. C’est maintenant à la société de s’emparer des débats éthiques afin de préparer l’avenir.

Les enjeux de la génétique et de l’épigénétique

Module de l’Espace universitaire de l’ULg à Verviers :

  • lundi 2 février à 20h, “Lis-moi ton génome, je te dirai qui tu es”, conférence introductive du Pr Michel Georges à l’espace Duesberg, boulevard des Gérardchamps 7C, 4800 Verviers.
  • les lundis 9 et 23 février, 2, 9, 16 et 23 mars, à 14h, conférences, au musée des Beaux-Arts et de la céramique, rue Renier 17, 4800 Verviers.

Contacts : tél. 087.39.30.30, site www.ulg.ac.be/verviers-ulg

 

Ariane Luppens
Photos : J.-L. Wertz
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