Décembre 2014 /239

Ville verte

Quelles sont les vertus des espaces verts en ville ? Quelle est la place du citoyen dans la conception et l’appropriation de ces espaces ? La Maison des sciences de l’homme (MSH), dans le cadre des “Rendez-vous urbains”, propose une réflexion sur la place de la nature en ville. Christine Ruelle, ingénieur de recherches au Lema (faculté des Sciences appliquées), et Sophie Dawance, assistante à la faculté d’Architecture et membre du collectif “Ipé“, y prendront la parole.

RuelleChristineLe 15e jour du mois : Peut-on mesurer les effets de la végétalisation d’un quartier sur la santé ou le bien-être des habitants ?

Christine Ruelle : Des études menées principalement aux Etats-Unis et au Canada démontrent que la présence de la nature dans le cadre de vie proche contribue au bien-être psychologique des habitants. Plusieurs d’entre elles montrent aussi les effets positifs en termes de purification de l’air, notamment au niveau des particules fines.

Une augmentation de la couverture végétale aide à prévenir les inondations, en soulageant les égouts débordés en cas de pluie brutale. Elle est aussi une manière de réguler la température en milieu urbain, ce qui est particulièrement utile en cas de forte chaleur : les feuilles empêchent les rayons du soleil d’atteindre le sol ou les façades. Au-delà de la qualité de vie des citadins, favoriser la nature en ville permet de développer la biodiversité et de faciliter le déplacement des espèces animales.

Le 15e jour : Qu’est-ce qu’une ville peut faire concrètement ?

Ch.R. : A travers le monde, on constate que les villes développent des plans “verts et bleus”, lesquels permettent de planifier un véritable maillage d’espaces et de corridors verts et bleus à l’échelle du cadre urbain, remplissant des fonctions tant environnementales que sociales. Les infrastructures vertes sont par exemple souvent un support pour la mobilité active : on y retrouve des chemins cyclo-pédestres. L’intérêt d’un plan “vert et bleu” est de pouvoir s’y référer lors de réaménagements de l’espace public ou de projets urbains divers, et de mettre ainsi progressivement le réseau en oeuvre, au fur et à mesure des projets. Bruxelles s’est dotée d’un tel plan. En Wallonie, il n’existe pas encore de politique régionale forte en la matière, et très peu de financements pour les infrastructures vertes en milieu urbain. La ville de Liège réfléchit cependant à un tel plan pour son territoire, consciente des enjeux.

Le 15e jour : Le lien entre verdure et convivialité en ville est-il évident ?

Ch.R. : Le lien de cause à effet n’est pas aussi simple. Certains espaces verts peuvent avoir un effet plus négatif que positif sur la convivialité. Cela dépend notamment de la manière dont la population et les acteurs locaux sont associés ou non à la création et à la gestion de ces espaces. Si tout est conçu, réalisé et géré par l’administration communale, on rate une occasion en termes de cohésion sociale. On peut réellement favoriser le tissage de liens sociaux en donnant un rôle plus actif aux citoyens et aux acteurs associatifs dans l’aménagement et la gestion de ces espaces communs.

Nous l’avons observé dans le cadre de l’appel à projets “Végétaliz’action”, mis en oeuvre dans le quartier Saint-Léonard à Liège entre 2009 et 2012, avec le soutien du programme Interreg de l’Euregio Meuse-Rhin. Le caractère collectif était un des critères de sélection des projets citoyens de végétalisation es espaces publics. Cette approche, inspirée notamment du programme “Quartiers verts” de la Région de Bruxelles-Capitale, a permis de financer une trentaine de projets (potagers collectifs, plantes grimpantes en façade, etc.) qui contribuent à renforcer la présence de la nature  au sein du quartier. Cette expérience pilote a très bien fonctionné mais au terme du projet, la ville de Liège n’a pas repris le flambeau, même si les participants et d’autres citoyens étaient demandeurs pour qu’elle soit répétée et étendue à d’autres quartiers. Pourtant, ce type d’approche ne nécessite pas des budgets d’investissement très importants. Il contribue par ailleurs à créer des moments uniques de rencontre et de convivialité, ainsi que des espaces de sensibilisation et de formation à l’environnement.

DawanceSophieLe 15e jour du mois : Avoir plus de nature en ville, est-ce l’affaire des pouvoirs publics ou des citoyens ?

Sophie Dawance : Le pouvoir public garde la responsabilité principale, mais les citoyens ont un rôle important à jouer puisque les espaces verts contribuent très fortement à la qualité de vie en ville. Ceux-ci sont souvent plébiscités par les habitants lors de la conception de projets de quartier et, quand ils sont menacés, les habitants les défendent. Lorsque des autorités publiques créent ou aménagent un espace vert, elles ont tout intérêt à le faire en concertation avec les habitants du quartier qui restent les principaux experts de leur territoire.

La perception de ce que peut être un espace vert a évolué dans le chef de certains pouvoirs publics. On a peut-être davantage conscience des enjeux environnementaux qu’ils représentent. Une tendance récente est de les utiliser plus comme outil d’émancipation sociale, en associant les habitants non seulement à leur conception mais aussi à leur gestion. L’espace vert peut alors devenir porteur de participation citoyenne, voire devenir un vecteur d’émancipation sociale.

Le 15e jour : Quels bons exemples de cette évolution voyez-vous?

S.D. : A Bruxelles-ville, un projet de rénovation urbaine prévoit l’aménagement d’un parc dans lequel seront intégrés des potagers urbains que réclame un groupe de femmes d’origine étrangère. Elles n’ont pas pour habitude de s’impliquer dans les réunions de conception de tels projets (entre autres en raison de problèmes de langue), mais le développement de l’espace vert va leur permettre de participer à de nombreuses activités : elles vont jardiner ensemble, s’organiser pour ouvrir et fermer les potagers, gérer le matériel, s’ouvrir sur le quartier (visite des potagers par des écoles, etc.). Pour ces personnes qui sont souvent issues de milieux ruraux dans leurs pays d’origine et qui ont donc un savoir-faire en matière d’agriculture, les potagers urbains seront une nouvelle manière de valoriser leur travail sur le territoire belge.

A Barcelone, face à la crise et au manque de moyens, la municipalité a décidé de faire appel à des projets citoyens pour l’occupation temporaire de friches urbaines qui lui appartiennent. Les projets sont temporaires (de un à trois ans), beaucoup ont trait à l’agriculture urbaine. Cela pose toutefois des questions sur les liens entre espaces publics et privés : il ne s’agit pas pour les pouvoirs publics de se désinvestir provisoirement de leur rôle, puis de chasser les gens à l’issue du projet en développant quelque chose qui ne les respecte pas et ne réponde pas à leurs attentes. Une fois qu’on a demandé aux habitants de jouer un rôle d’acteurs, de prendre leurs responsabilités en développant des projets, ils doivent être des interlocuteurs à part entière.

Le 15e jour : L’initiative des “Incroyables comestibles”, qui se développe à Liège, va-t-elle également dans ce sens ?

S.D. : Oui. Ce mouvement trouve son origine dans la localité anglaise de Todmorden, où la désindustrialisation a suscité une grande précarité, allant jusqu’à poser des problèmes de sécurité alimentaire. Des habitants ont pris possession de certaines parties de l’espace public pour cultiver des légumes. Chacun peut les récolter pour sa propre  consommation. Quelques bacs potagers ont été placés à Liège* afin de développer un projet dans le même état d’esprit.

Cette initiative interroge beaucoup plus largement la société que l’accès à l’espace vert ou à un potager : on aborde les valeurs de solidarité par rapport à des gens plus démunis, d’autres modes de consommation… Elle montre qu’un projet structuré autour de la végétation peut devenir un vecteur d’émancipation citoyenne, en débouchant presque sur un projet de société.

* http://incredibleediblebelgium.wordpress.com/

 

Ville verte, ville conviviale. Nature en ville et citoyenneté

4e Rendez-vous urbain de la MSH, en partenariat avec Liège creative, le mercredi 17 décembre à 12h30, à l’Espace Opéra ULg, place de la République française 41, 4000 Liège.

Contacts : courriel msh@ulg.ac.be, site www.msh.ulg.ac.be

Propos recueillis par Samuel Grumiau
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