Janvier 2015 /240

Prendre le taureau par les cornes

La faculté de Médecine vétérinaire s’organise autour du centre FARAH

DauphinVu de l’extérieur, cela semble couler de source: comment des scientifiques travaillant au sein d’une même Faculté pourraient-ils ne pas être au courant de ce que font leurs collègues ? La réalité se révèle pourtant moins logique. Les uns ignorent parfois sur quoi travaillent les autres, tout comme ils ne savent pas que le matériel ou les équipements dont ils auraient tant besoin se trouvent à seulement quelques portes de leurs propres laboratoires… La faculté de Médecine vétérinaire ne fait pas exception à cette règle. D’autant que l’implantation de ses locaux sur le campus du Sart-Tilman n’aide pas à nouer des contacts : des bâtiments isolés çà et là le long d’un parc verdoyant qui offrent peu de chance de se croiser au sein d’un même couloir.

CarpeKoiPot commun

C’est pourquoi trois chercheurs de la faculté de Médecine vétérinaire (Daniel Desmecht, Bernard Mignon et Alain Vanderplasschen), soutenus par le doyen Pascal Leroy, ont imaginé de créer un nouveau centre structurel de recherche. Son nom ? FARAH, pour Fundamental and Applied Research for Animals and Health. « Travailler seul dans son coin n’a plus aucun sens, constate le Pr Laurent Gillet, du département des maladies infectieuses. Chacun fait face aux mêmes difficultés pour obtenir des financements, pour acquérir des équipements coûteux, etc. L’objectif du FARAH est d’augmenter les chances de succès de chacun et de valoriser au mieux les moyens déjà obtenus en vue, in fine, d’améliorer la qualité des recherches de chacun d’entre nous. »

GarnirVotionGillet« Chacun restera autonome d’un point de vue financier, précise le Pr Frédéric Farnir, du département de productions animales. Il s’agit de mettre en commun nos connaissances, notre matériel, nos surfaces de bureaux. » Car la répartition “historique” des espaces de travail n’est plus adaptée. Certains locaux sont surpeuplés alors que d’autres sont pratiquement déserts. D’où la volonté de remettre toutes les superficies dans un “pot commun”, pour les redistribuer plus équitablement.

De gauche à droite : F. Farnir, D. Votion, L. Gillet

Il va y avoir du déménagement dans l’air ! Mais pas avant 2018. Le temps d’achever la construction de la nouvelle clinique vétérinaire – le gouvernement wallon, en mars dernier, a octroyé un subside de 24 millions d’euros –, clinique qui comportera une partie dédiée à la recherche. Cette enveloppe “recherche” sera destinée notamment à la construction d’une annexe qui viendra faire le trait d’union. Un seul sas d’entrée sera empruntable et les activités seront réorganisées selon un gradient de biosécurité.

Au-delà des aspects logistiques, FARAH poursuit trois autres objectifs : favoriser la mobilité des scientifiques, augmenter la qualité des recherches et encourager les interactions avec des interlocuteurs extérieurs, tant universitaires que privés.

« Nous espérons fédérer d’autres acteurs de la recherche vétérinaire, par exemple ceux de Gembloux Agro-Bio Tech, précise Laurent Gillet. Le projet s’inscrit par ailleurs dans le concept “One Health” : comme un grand nombre de pathologies infectieuses chez l’homme proviennent de pathologies vétérinaires, il n’y a plus lieu de les étudier chacun de notre côté. Nous espérons devenir complémentaires aux travaux du Giga notamment. »

De la fourche à la fourchette

ChevalFARAH regroupe aujourd’hui 57 chercheurs permanents ou académiques, ainsi qu’environ 200 assistants, chercheurs temporaires et membres du personnel administratif, technique ou ouvrier. Ses statuts ont été votés à l’unanimité au début de l’année dernière. L’organigramme prévoit qu’il soit chapeauté par un conseil de gestion, présidé par Laurent Gillet, secondé par Frédéric Farnir et Dominique Votion, chercheuse qualifiée au pôle équin. Chacun est responsable de l’un des trois secteurs thématiques phares : santé publique vétérinaire, productions animales durables et médecine vétérinaire comparée.

« Nos recherches se concentrent notamment, via l’établissement de réseaux de surveillance, sur l’identification d’agents infectieux (circulant dans les populations d’animaux domestiques ou sauvages), sur leur étude moléculaire et sur la mise au point de stratégies de luttes thérapeutiques ou prophylactiques, explique Laurent Gillet. Plusieurs de nos projets de recherche impliquent également l’étude chez l’animal de pathologies rencontrées tant en médecine vétérinaire qu’en médecine humaine. Ces travaux peuvent dès lors apporter des solutions pour l’animal mais également ouvrir des perspectives pour l’homme. Enfin, toute la chaîne de production des aliments, “de la fourche à la fourchette”, est une thématique de recherche importante pour plusieurs de nos laboratoires. Nos travaux visent donc à apporter des solutions à des problèmes rencontrés à différents niveaux de la société au sens large. »

Les premières retombées concrètes commencent à être visibles. Un nouveau site web doit être mis en ligne dans les prochaines semaines. Par ailleurs, suite à une première édition en novembre, d’autres “FARAH Days” seront programmés. A ce rendez-vous annuel s’ajoutent des réunions bimensuelles qui rassemblent les chercheurs liégeois autour d’une conférence thématique donnée par un scientifique extérieur.

Le centre structurel interdisciplinaire de recherche pourra également bientôt mettre en avant son premier projet de recherche concret : la rénovation de la ferme expérimentale (lire ci-contre) pour accueillir des alpagas. Bref, FARAH est sur les rails. Ne lui reste plus qu’à atteindre son rythme de croisière.

Alpaga1Des alpagas au Sart-Tilman

Le projet de recherche Alpa sera le premier à être réalisé dans le cadre du FARAH. Les anticorps des alpagas vont servir à développer des traitements, contre le cancer notamment.

Il en fallait un premier à se jeter à l’eau. Alors le Pr Alain Vanderplasschen a pris son bâton de pèlerin pour porter le premier projet de recherche estampillé “FARAH”. « Avec ce galop d’essai, j’espère donner envie aux autres de faire de même », sourit-il. Son projet baptisé “Alpa”* s’inscrit pleinement dans l’objectif du centre structurel interdisciplinaire de recherche : il utilise des infrastructures rénovées de la Faculté, fait intervenir différents laboratoires, conjugue recherche et enseignement, et associe médecines vétérinaire et humaine.

Tout cela grâce aux alpagas. Comme certains poissons cartilagineux, ces petits camélidés ont la particularité de produire des anticorps bien plus légers que la normale. Un anticorps classique a la forme d’un Y où chacune des deux “branches” supérieures est constituée de deux chaînes polypeptidiques, une lourde et une légère, qui permettent à l’anticorps de s’attacher à l’antigène. Cet ensemble est “lourd” : 150 kilodaltons. Trop lourd pour pouvoir se faufiler partout dans l’organisme. Du coup, les scientifiques ont essayé de réduire la taille des anticorps par clivage tout en conservant ses propriétés.

Alpaga2Résultat ? 50 kilodaltons. Bien. Mais toujours trop massif.

C’est ici que les alpagas entrent en scène. Nul ne sait réellement pourquoi, mais en plus des anticorps classiques, ils produisent aussi des anticorps constitués uniquement de deux chaînes lourdes pour un poids total de 90 kilodaltons. Mieux, le domaine de la chaîne lourde reconnaissant l’antigène peut être cloné et produit en grande quantité. Ce domaine est appelé “Nanobody“ et ne pèse que 15 kilodaltons ! Un poids plume qui laisse augurer la mise au point de traitements à base de “nanobodies”, contre le cancer notamment. « Ces dernières années, nous avons développé des méthodes d’immunisation originales chez les souris, les lapins et les grands ruminants. Maintenant, nous allons tenter de les transposer chez l’alpaga », détaille Alain Vanderplasschen.

Quant aux premiers alpagas, ils arriveront sur le campus du Sart-Tilman en début d’année, dans la ferme expérimentale en cours de rénovation (sous la supervision de Natacha Harmegnies, vétérinaire chargée du projet). Une vingtaine d’entre eux au total s’y installeront. Sans doute pour un bout de temps. « Car ce qui est encore plus formidable, c’est qu’on peut les immuniser plusieurs fois ; ils vont donc pouvoir passer toute leur vie ici, se réjouit le professeur. En plus, ils sont vraiment adorables. De vrais animaux de compagnie ! »

* Alpa est un projet de recherche mené conjointement avec la firme Delphi Genetics, dans le cadre d’un projet CWALity de la Région wallonne.

Pages réalisées par Mélanie Geelkens
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