Janvier 2015 /240

Aristote dans la Pléiade

Une pensée totalement actuelle

Pleiade-Aristote-CoverLa parution du volume de La Pléiade regroupant des traductions nouvelles ou revues de textes majeurs d’Aristote est un événement important pour la connaissance philosophique. Mais également pour l’ULg puisque huit de ses dix contributeurs en sont issus. Notamment son directeur, Richard Bodéüs, qui y a passé son doctorat avant de rejoindre la faculté de Philosophie de l’université de Montréal.

Inscrire Aristote dans le catalogue de la prestigieuse collection de Gallimard est un projet vieux de plus de trois décennies. D’abord dirigé par Jean Pépin, spécialiste français de la philosophie antique et maître de recherches au CNRS dont un laboratoire porte le nom, assisté du Pr Christian Rutten, avant d’être pris en main par Richard Bodéüs à la suite de leurs décès à quelques mois d’intervalle en 2005, ce volume réunit plusieurs anciens enseignants de l’ULg : Christian Rutten a traduit la Métaphysique avec Annick Stevens qui en a rédigé la notice, le Pr Pierre Somville la Poétique, Richard Bodéüs les Éthiques, Marie-Paule Loicq-Berger et Auguste Francotte se sont occupés de la Politique et le Pr André Motte de la Rhétorique, secondé par Vinciane Pirenne, la seule à être toujours en activité à l’ULg, qui s’est chargée des notes à caractère historique. Pour chaque oeuvre, cette édition comporte en effet, outre une traduction nouvelle ou révisée, une longue notice introductive et d’abondantes notes.

Dans la suite de Platon

Fils de médecin, Aristote (±384 avant notre ère) est originaire de Stagire, cité macédonienne située en Chalcidique. A Athènes, où il arrive vers 367-366, il fréquente pendant une vingtaine d’années l’Académie de Platon où il donne des cours de rhétorique et de dialectique. Plus tard, après avoir voyagé, il y fonde le Lycée. Vers 330, il devient le précepteur du fils de Philippe II de Macédoine, le futur Alexandre le Grand. A la mort de celui-ci, il est chassé de la ville.

Appartenant au début à l’école platonicienne, Aristote va s’en détourner. « C’est à la fois en réaction à et dans la continuité de Platon qu’il forge sa propre théorie philosophique, explique Marc-Antoine Gavray, chercheur qualifié FNRS dans le service de philosophie de l’Antiquité à l’ULg. Ses principaux points de divergence concernent le statut des idées, le caractère propre des choses, ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est. Chez Platon et ses successeurs, l’idée, la forme existe de façon transcendante, indépendamment de la chose dans laquelle elle se trouve. Chez Aristote, cette solution pose le problème de la relation entre cette réalité transcendante et la substance sensible. Pour lui, la forme se trouve dans la réalité sensible et ne peut en être séparée. Les idées sont toujours inscrites dans la matière. Par exemple, la forme de l’homme, ses propriétés spécifiques n’existent, que dans les hommes singuliers. L’homme en soi n’existe pas, il n’y a que des hommes particuliers. Et c’est par un procédé d’induction que l’on connaît les formes : c’est en observant de façon répétée les hommes singuliers que l’on comprend ce qui fait qu’un homme est un homme. Ce qui caractérise la démarche d’Aristote, ce qui la distingue de celle de Platon, c’est donc cette origine empirique de la science et du rapport au savoir. »

Aristote se prononce sur tous les terrains de la philosophie. Soucieux de connaître ce qui a été dit avant lui, il se livre à des enquêtes historiques préalables. Il entend ainsi organiser la synthèse du savoir pour comprendre où celui-ci en est à son époque et, à partir de là, dégager ses propres conclusions, développer une théorie vraie.

Analyse de la démocratie

Intégrée dans le platonisme au début de notre ère, diffusée par les philosophes arabes aux VIIe et VIIIe siècles, christianisée à la suite de Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, puis finalement relue sous un angle non chrétien à partir du XIXe siècle, la pensée aristotélicienne ne s’est jamais totalement éteinte. Et elle reste totalement actuelle. « L’analyse qu’il fait de l’action, de la théorie de la vertu, de l’amitié, du lien politique, tout cela peut encore servir de source d’inspiration aujourd’hui, commente Marc-Antoine Gavray. C’est également le cas de ses traités politiques. Il propose des analyses de la démocratie qui restent pertinentes. Pour lui, la démocratie élective (et représentative) ne fait que reproduire un système oligarchique mais certainement pas démocratique car, pour être élu, mieux vaut être déjà connu. Il préconise plutôt le tirage au sort. »

De cette actualité du discours aristotélicien, le Pr André Motte, ancien titulaire des cours de philosophie de l’Antiquité à l’ULg, est lui aussi convaincu. Il rappelle que, selon le philosophe antique, l’art rhétorique doit répondre à trois sortes d’exigence : l’argumentation rationnelle (le logos), la confiance donnée à l’orateur (l’ethos) et les passions que le discours peut créer chez les auditeurs (le pathos). Et qu’Aristote est le premier à réunir les trois genres de la rhétorique dans sa théorie de l’art de la persuasion : le judiciaire, le délibératif et le discours d’apparat.


Michel Paquot
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