Janvier 2015 /240

Aux frontières de l’humain

MigrantsH

Plus de 22 000 migrants ont perdu la vie depuis une quinzaine d’années en Méditerranée, dont, selon l’Organisation mondiale des migrations, 3072 comptabilisés en 2014 (le 29 septembre). Qu’il suffise de s’interroger sur les responsabilités d’un tel bilan et on aura tôt fait, comme à Lampedusa un an plus tôt, de s’affliger des appétits dévoyés des passeurs et des trafiquants. De travestir la réalité structurelle des migrations en conjoncture justifiant des mesures d’urgence et des sentiments de siège, lesquels nourrissent une logique sécuritaire qui s’impose alors comme une évidence. Il y a une curieuse constance dans le choix des mesures adoptées : améliorer le temps de réponse et la coordination policière en mer (Eurosur), étendre les couvertures radar, borner l’horizon de barbelés puis consolider les clôtures, tout cela revient à répéter de façon obsessionnelle la même procédure en espérant qu’elle produira des résultats différents. La dangerosité des routes migratoires en Méditerranée est la résultante directe des politiques restrictives en matière d’accès et, en produisant ce qu’elle prétend juguler, la “lutte contre l’immigration illégale” promet surtout de s’auto-perpétuer.

Du détroit de Gibraltar au fleuve Evros, en passant par Lampedusa, semble donc ouverte une ligne de front où les dispositifs de contrôle et de surveillance sortent et concentrent tous leurs effets, y compris les plus mortifères. La force évocatrice de l’image ne doit pas faire oublier qu’il n’y a pas de grands espaces ouverts en amont et pas de certitudes derrière les lignes, de sanctuaire ou de havre pour peu qu’on puisse y prétendre. Les frontières s’enroulent autour des migrants dans l’attente confuse qu’imposent les camps, au nord comme au sud de la Méditerranée ; elles épousent les mobilités par des vérifications internes d’identité ; elles apparaissent dans toute leur violence au cours de patrouilles, de traques et de rafles opérées pour le compte de l’Europe par les pays de transit et d’origine. C’est au caractère éclaté et multiforme des frontières contemporaines que fait écho le rythme heurté des parcours migratoires, entre haltes forcées, avancées incertaines et boucles imposées. Le quotidien de la répression et l’ordinaire de la tragédie se jouent en silence dans la précarité et l’effacement qui, souvent, accompagne la condition clandestine.

Laure-Anne Bernes
chercheuse au Cedem, ses travaux portent sur les frontières, les zones frontalières et la sécurité. Son étude de terrain dans l’enclave espagnole de Ceuta, au nord du Maroc, contribue à mieux comprendre le quotidien du contrôle des mobilités au sud de la Méditerranée.

Lampedusa au coeur du Festival de Liège

A l’affiche, notamment, En attendant les barbares Théâtre-musique, mise en scène de Hèdi et Ali Thabet, les mardi 3 et mercredi 4 février à 20h15, au Manège, rue Ransonnet, 4020 Liège.

Contacts : tél. 04.332.29.69, réservation en ligne et programme complet sur www.festivaldeliege.be

 

Photo : Giovanni Pulice
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