Février 2015 /241

Carte blanche à Gautier Pirotte

Innover dans une coopération en mutation

PirotteGautierHabituellement, l’évolution du petit monde de la coopération au développement et singulièrement du secteur des organisations non gouvernementales (ONG) n’est pas l’objet d’une médiatisation particulière. L’adoption récente d’un nouvel arrêté royal portant sur “la subvention des acteurs de la coopération non gouvernementale”, sujet sensible s’il en est, mérite cependant l’attention dans la mesure où il modifie sensiblement le mécanisme de financement public des ONG datant de 1976.

Le nouvel arrêté est en effet assorti d’exigences bien plus fortes que par le passé (en termes d’assises sociales, de capacité de gestion de fonds, etc.), provocant quelques crispations, particulièrement dans le secteur des ONG. Cette sévérité accrue dans l’octroi de fonds publics s’explique officiellement par la volonté de contrôler sérieusement l’usage de l’argent du contribuable. Dans la réalité, le but est triple : répondre à une méfiance croissante de la population quant à l’efficacité de l’aide au développement, encourager les acteurs non gouvernementaux à se professionnaliser – notamment en matière de gestion financière – et favoriser les projets d’envergure. Qui pourrait s’opposer à ces objectifs ? Les répercussions de l’arrêté ne sont pourtant pas anodines.
Tout d’abord, il favorise la fracture entre opérateurs, séparant les organisations agréées et financées qui répondent aux critères établis par l’administration et les autres. Cette démarcation s’est dès lors doublée d’une distinction entre acteurs “professionnels” et “amateurs” de l’aide, avec ce que cela comporte de jugement positif pour les premiers et négatif pour les seconds. Or, cette démarcation suit avant tout la logique du bailleur qui définit sa politique d’aide au développement en fonction de son propre agenda politique. La voix du bénéficiaire final est très peu prise en considération, noyée dans un océan de rapports et d’évaluations. L’efficacité de la gestion de l’aide prime sur l’efficacité de l’aide “tout court”.
Ensuite, ce mécanisme sélectif a entraîné une polarisation des stratégies de récolte de fonds des ONG vers l’accès à l’agrément. Moyennant quelques efforts, cet agrément ouvre l’accès à des perspectives enthousiasmantes, puisque 80% des dépenses des projets et programmes mis en oeuvre par l’ONG peuvent être pris en charge par l’administration publique (DGD). C’est bien plus simple que de chercher des fonds auprès de bailleurs privés ou du grand public. A l’exception notoire de quelques ONG bien connues (MSF, Plan Belgique, Oxfam), la plupart des ONG restent arrimées à la bouée des fonds gouvernementaux. Ce n’est pas sans conséquence sur l’assise populaire de ces organisations qui ont bien plus de comptes à rendre désormais au gouvernement qu’au grand public et, ce faisant, se coupent de leur base.
Enfin, le budget de la coopération non gouvernementale n’étant pas extensible, la compétition est assez importante entre acteurs, ce qui n’est guère favorable à l’innovation.
Innover, se réinventer et risquer : voilà les mots d’ordre d’Universud, l’une des deux ONG (avec A.D. Gembloux) collaborant étroitement avec l’ULg depuis 1978. Profitant du nouveau contexte institutionnel, Universud recentre ses activités autour d’un fil rouge : l’excellence universitaire au service du renforcement des organisations de la société civile (syndicats, mutuelles, ONG, etc.), tant au Nord qu’au Sud. Tout en poursuivant son travail de sensibilisation de la communauté universitaire liégeoise, Universud se définit aujourd’hui comme une interface de solidarité internationale soucieuse d’apporter son expertise aux besoins multiples des sociétés civiles du Nord comme du Sud.

Pr Gautier Pirotte
Institut des sciences humaines et sociales
Président d’Universud

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