February 2015 /241

Profession gouttologue

Tristan Gilet observe la pluie

GiletTristanIngénieur physicien de formation, Tristan Gilet – qui a réalisé un post-doc au MIT de 2009 à 2011 – est depuis peu chargé de cours en faculté des Sciences appliquées. Il dirige le laboratoire de micro-fluidique1 entièrement consacré à l’étude des surfaces liquides… à l’échelle de la goutte. Ses travaux auront des répercussions dans notre quotidien puisqu’ils participent, par exemple, à la conception de laboratoires sur puce capable de réaliser facilement et rapidement des analyses biochimiques et qu’ils sont associés, autre exemple, à l’étude des insectes qui adhèrent aux surfaces les plus improbables grâce aux gouttes microscopiques situées à l’extrémité de leurs pattes.

En agriculture aussi, cette expertise pourrait être décisive. En effet, la propagation des maladies dans les cultures est toujours mal connue. Certes, on se doutait bien que la pluie devait jouer un rôle, mais sans pouvoir expliquer son mode d’action. Pourtant, la compréhension de ces mécanismes ne seraitpas superflue : champignons, bactéries et virus sont responsables de la perte de près de 15% de la production agricole mondiale. Mais, surtout, les moyens pour lutter contre ces pathogènes sont limités : épandage de pesticides divers ou sélection de variétés résistantes, grâce notamment aux modifications génétiques (OGM). Des moyens qui n’ont pas bonne presse…
GouttesLes recherches de Tristan Gilet – menées en étroite collaboration avec le Pr Lydia Bourouiba2 du MIT, fondatrice et directrice du MIT Fluid Dynamics of Disease Transmission Laboratory – apportent un début de réponse au mystère de la propagation des pathogènes. Pour parvenir à ces résultats, les deux chercheurs ont d’abord étudié l’action de la pluie sur des plantes grâce à l’utilisation de caméras très rapides capables de filmer et de décomposer la pluie, “goutte à goutte”. Ils ont ensuite modélisé ces phénomènes en laboratoire en les étudiant sur des feuilles artificielles et en prenant en compte deux critères, la taille et la flexibilité des feuilles.
Conclusion ? Deux mécanismes principaux semblent à l’oeuvre. Dans le premier, une goutte en percute directement une autre, tombée précédemment sur une feuille et dans laquelle le pathogène a eu le temps de se répartir. L’impact d’une seconde goutte au voisinage immédiat de la première fragmente cette dernière et les fragments sont projetés sur une autre feuille ou une plante voisine. L’autre mécanisme est celui de la catapulte : l’impact de la goutte de pluie plie la feuille et celle-ci se transforme en une catapulte qui expédie les gouttes contaminées vers d’autres plantes. « Jusqu’ici, les phytopathologistes et ingénieurs agronomes se sont intéressés principalement à l’influence de la pluviométrie (volume moyen de pluie par unité de surface au sol et de temps), sans pouvoir identifier un lien robuste entre ce paramètre global et la vitesse de dispersion des pathogènes, explique Tristan Gilet. Ce que nous avons montré, c’est que cette dynamique de propagation dépend surtout de la taille individuelle des gouttes de pluie et des caractéristiques mécaniques du feuillage sur lequel elles atterrissent. »
Les chercheurs ont aussi réalisé des études quantitatives et dressé des diagrammes qui montrent la probabilité de présence des pathogènes en fonction de la distance à la plante dont ils proviennent, diagrammes qui peuvent servir à estimer le risque de propagation dans le cas où l’espacement entre plantes est inférieur à la distance maximale de propagation.

QUESTION SUBSIDIAIRE

Ces diagrammes permettent-ils une meilleure gestion des pesticides ? « Ceci n’est que le début de notre recherche dans cette direction mais oui, nous espérons rendre possible la quantification du risque, notamment en fonction du développement de la plante car plus le feuillage grandit, plus les chances de dispersion augmentent. Il y a donc des moments plus critiques que d’autres qui méritent qu’on dispense des pesticides alors qu’à d’autres, c’est peut-être inutile. »

article complet sur www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Sciences/physique)
Voir la vidéo sur le site www.ulg.tv/gouttes

1 À l’heure actuelle, le laboratoire de micro-fluidique comprend six personnes dont trois doctorantes Fria, un post-doc et un ingénieur de recherche. Il est attaché au GRASP , qui regroupe les équipes de six permanents (N. Vandewalle, H. Caps, G. Lumay, S. Dorbolo, L. Dreesen, T. Gilet) autour de la thématique commune “matière molle”.
2 https://lbourouiba.mit.edu

SI VOUS DEVIEZ CITER TROIS DECOUVERTES SCIENTIFIQUES

1/ L’ADN. La découverte du code génétique est la pièce majeure qui nous permet de comprendre l’évolution du vivant. La méiose, un des modes de reproduction de la cellule, m’impressionne particulièrement, car elle permet de brasser ce patrimoine génétique à l’infini et de systématiquement générer du nouveau. La Nature explore ainsi les possibilités à un rythme prodigieux. Les scientifiques semblent à présent jouer le même jeu : la biologie, la physique, les sciences sociales, toutes ces disciplines se mélangent désormais pour en créer de nouvelles.

2/ Les lois de la mécanique. La célèbre formule F=ma énoncée par Newton faisant le lien universel entre les forces et les mouvements. Cette loi régit la manière dont notre monde se meut de la molécule à l’étoile. Et en conséquence, elle conditionne largement nos exploits technologiques.

3/ Le chaos déterministe, entrevu par Henri Poincaré et remis au goût du jour par le météorologiste Edward Lorenz en 1963 sous le pseudonyme d’“effet papillon”. L’ADN et les lois de Newton ont l’air de mettre beaucoupd’ordre dans ce qui se passe, mais Lorenz apporte une nuance fondamentale à ce déterminisme : dans de nombreux systèmes et à toutes échelles, la moindre erreur sur cette connaissance de l’instant initial, aussi infime soit-elle, invalide toute prédiction à long terme. C’est une sacrée limite sur ce que l’on peut attendre de la science.

 

Henri Dupuis
Photos : T. Gillet et L. Bourouiba
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