Février 2015 /241
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Pierre Ozer

L’après-Lima : quelles perspectives pour le climat ?

Docteur en sciences géographiques de l’université de Liège et actuellement à la tête du master complémentaire en gestion des risques naturels, Pierre Ozer a étudié et défendu cette thématique à tous les niveaux : du plus institutionnel et du plus global, en travaillant pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), au plus local, en participant activement à la mise sur pied de projets visant à retrouver une agriculture durable sur le sol liégeois. Durant ces dernières années, il a enseigné dans plusieurs universités étrangères comme l’università degli studi di Genova (Gênes, Italie) et l’université de Djibouti.

OzerPierreSes recherches l’ont amené aux quatre coins du globe, de l’Amérique latine à la Chine, en passant par l’Afrique. Il fait de plus partie des chercheurs appelés à participer au projet Helix mis sur pied par la Commission européenne, lequel vise à prévoir l’impact futur – et les retombées sur les populations – d’une hausse de la température sur Terre. Cela alors que la conférence de Lima, qui s’est clôturée le 14 décembre dernier, ne laisse que peu d’espoir de parvenir à temps à stabiliser les émissions de gaz à effet de serre (GES), principales responsables du réchauffement climatique. Cela aussi alors que, du 30 novembre au 15 décembre 2015, aura lieu à Paris la 21e Conférence mondiale sur le climat dont l’objectif est d’aboutir au premier accord mondial engageant pays industrialisés et pays en développement dans une action commune contre le réchauffement climatique.

Le 15e jour du mois : Mary Robinson, envoyée spéciale des Nations unies pour le climat, a déclaré que “les gouvernements à Lima ont fait le strict minimum pour garder le processus de négociations multilatéral en vie, mais [qu’] ils n’ont pas fait assez pour convaincre que le monde est prêt à adopter un accord sur le climat ambitieux et équitable l’an prochain à Paris”. Partagez-vous cet avis ?

Pierre Ozer : Totalement. A Lima, les Etats avaient une responsabilité historique. Mais ils n’ont pas pris le tournant. Le seul point positif de Lima, c’est qu’il n’y a pas eu de ruptures entre les pays. La Chine, l’Inde et l’Indonésie forment notamment un groupe très dur en négociations et qui représente plus de la moitié de la population mondiale. Ces pays étaient prêts à faire tout capoter parce que tout simplement ils souhaitent que les pays riches contribuent plus au Fonds vert pour le climat [ndlr : créé en 2009 lors de la Conférence de Copenhague]. Ils veulent de plus que les engagements pris pour la réduction des émissions de GES ne soient pas contraignants. Soyons clair : la position de la Chine à la fin 2014 est identique à celle qu’elle avait avant Copenhague, en 2009. Seule la rhétorique a changé. Quant à la position des États-Unis, elle est au chiffre près exactement la même aussi. Je n’ai donc pas compris pourquoi les médias avaient fait un tel cas de l’accord bilatéral conclu entre les USA et la Chine avant Lima, annonçant un changement substantiel de part et d’autre. Tous les engagements qu’ils prennent sont non contraignants ! De toute façon, pour aller vraiment plus loin, il y a toute une série d’obstacles à franchir : le Congrès à Washington, les lobbies industriels et pétroliers, etc. Il ne faut pas oublier les précédents épisodes, encore moins glorieux que Lima. Par exemple, les États-Unis n’ont jamais voulu appliquer le Protocole de Kyoto, le Canada en est sorti, la Russie et le Japon aussi.

Le 15e jour : Il semblerait que la Chine ait réussi à obtenir l’absence d’évaluation des politiques de réduction des GES, ce qui aurait pourtant été utile pour préparer la conférence de Paris.

P.O. : Absolument ! Un flou persiste autour de la méthode d’élaboration des engagements nationaux. Dans la première moitié de 2015, tous les pays sont censés envoyer leurs engagements, puis ensuite une synthèse doit être faite pour le 1er novembre. Cela sera très complexe, et il est par ailleurs quasi certain que l’Accord de Paris (s’il existe) ne sera pas juridiquement contraignant. Et pendant ce temps, les émissions de GES ont augmenté de quasiment 75% depuis 1990, alors qu’il faudrait les stabiliser d’ici 2020 pour espérer limiter le réchauffement à +2°C. Les émissions récentes sont tellement importantes que nous sommes actuellement au-delà du pire scénario envisageable.

Le 15e jour : L’argent est le nerf de la guerre. Croyez-vous à la probabilité d’atteindre d’ici 2020 l’objectif de 100 milliards de dollars par an alloués au Fonds vert pour le climat ?

P.O. : Lors de la création de ce Fonds, le Japon a été le premier bailleur de fonds. Malheureusement, des facteurs extérieurs n’ont pas permis de poursuivre cette avancée. Au Japon, notamment, le tsunami est venu tout bouleverser. D’autres pays prêts à faire des efforts pour alimenter ce fonds ont été touchés par la crise financière en 2008-2009, laquelle continue à faire ressentir ses effets. L’argent se trouve dans les pays producteurs de pétrole qui n’ont pas forcément intérêt à financer ce genre de choses. En 2013, 775 milliards de dollars de subventions ont été versés dans le monde pour l’utilisation des énergies fossiles contre 101 milliards pour les énergies renouvelables. Ce n’est pas très réjouissant. Notez que le baril à 50 dollars ne l’est guère plus : c’est le retour en arrière assuré.

Le 15e jour : Les principaux pays contributeurs de ce Fonds connaissent eux-mêmes de sérieuses difficultés économiques. Pensez-vous à l’instar de Nicolas Hulot [ndlr : envoyé spécial de François Hollande pour le climat] que, dans ce contexte difficile, la seule chance de voir la lutte contre le réchauffement climatique atteindre le statut de cause majeure serait de mettre l’accent sur la formidable opportunité en termes d’emplois et de croissance qu’elle représente ?

P.O. : Nicolas Hulot a raison. Malheureusement, nous sommes en 2015 en crise économique et le centre de décision au niveau mondial a déjà basculé en Asie. Cela veut dire que toute reprise en Europe se fera probablement à la marge. Pour l’instant, nos gouvernements gèrent “à la petite semaine”. Le climat n’est plus bankable. La question environnementale n’arrive même plus dans le “top 20” des priorités belges ! Heureusement, des initiatives locales existent et elles sont de plus en plus nombreuses. Je sais de quoi je parle puisque j’ai participé à la création de deux sociétés coopératives aux finalités sociales et environnementales qui mettent l’accent sur l’alimentation de qualité en circuit court. Depuis 2012, la coopérative Vin de Liège a planté 12 hectares de vignes ici. Tout se fait en bio. Parlons aussi de la “ceinture aliment-terre liégeoise” qui réunit beaucoup d’acteurs de la société civile et plusieurs membres de l’ULg. Tout ce monde est en train de développer des projets d’agriculture périurbaine. L’objectif est de pouvoir alimenter Liège en grande partie avec de la production locale et en circuit court.

Le 15e jour : Sur quoi portent, aujourd’hui, vos recherches ?

P.O. : L’essentiel de mes recherches repose sur la problématique des modifications environnementales, qu’il s’agisse de l’environnement physique ou climatique. Je m’intéresse à la façon dont les sociétés touchées par les changements environnementaux s’adaptent à ces stress. Souvent, on aborde des problématiques particulières : gouvernance, migrations, santé publique, aménagement du territoire. C’est très transversal, ce qui donne l’occasion de collaborer avec d’autres disciplines et aussi avec la société civile. En ce moment, je participe à un projet européen, Helix, qui réunit une vingtaine de partenaires européens et internationaux. Ce projet tend à évaluer quels seraient les impacts d’un climat à +2°C, +4°C et +6°C. C’est un signe pour des observateurs éclairés qu’on va probablement aller au-delà de 2°C supplémentaires. Cela risque d’être tellement rapide qu’il est à craindre que même une société développée ne parvienne pas à s’y adapter.

Le 15e jour : Vous êtes rattaché au département des sciences et gestion de l’environnement au campus d’Arlon. Un mot sur vos activités sur place ?

P.O. : Arlon dispose d’une filière phare : le master en sciences et gestion de l’environnement, qui est transdisciplinaire et a un succès croissant. Il y a également trois masters complémentaires orientés vers les pays du Sud dont l’un en gestion des risques naturels que je coordonne. Cela nous permet d’accueillir des étudiants qui viennent de pays du Sud, une trentaine par an, et des étudiants d’autres horizons, des Canadiens par exemple. Il y a un véritable partage d’expériences entre eux, cela d’autant plus que la majorité a déjà une pratique professionnelle. Ils échangent donc leurs savoir-faire. Cela créé une très bonne dynamique. Il est là l’espoir : parvenir à essaimer les bonnes pratiques un peu partout, au niveau local, à condition que ces pratiques rompent avec le système actuel.

Pierre Ozer sera “l’invité du 15e” pour une rencontre-débat

avec le public le vendredi 13 février à 12h à l’Espace-ULg-Opéra; galerie Opéra, place de la République française, 4000 Liège.

Contacts : inscription souhaitée, tél. 04.366.50.22, courriel : presses@ulg.ac.be

Le contenu de l'entretien "L’Invité du 15e Jour - Pierre Ozer, du 13 février 2015" est disponible en écoute sur MixCloud. MixCloud-Logo

 

Propos recueillis par Ariane Luppens
Photos : J.-L. Wertz
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