February 2015 /241

La question des brevets

Les enjeux de la “brevetabilité” en sciences du vivant

Deux récentes décisions de justice, prises respectivement aux Etats-Unis et en Europe, ont servi de toile de fond au workshop coorganisé ce 10 février dernier par l’université de Liège, en collaboration avec LES Benelux, intitulé Patenting and licencing life forms. Cette table ronde abordait les enjeux de la “brevetabilité” en sciences du vivant. « Dans quelle mesure, se demandait-on, est-il envisageable de breveter des produits de la nature tels que des gènes, protéines ou cellules souches ? » Et dans quelle mesure est-il donc permis d’obtenir des droits d’exclusivité et, partant, des gains commerciaux sur de tels éléments ?

« La “brevetabilité” du vivant est abordée différemment aux Etats-Unis et en Europe, explique Nicole Antheunis, Patent Manager à l’Interface-ULg. En Europe, elle s’avère problématique, de longue date, en raison de considérations éthiques. Ainsi, la Convention de délivrance des brevets européens (CBE) et la directive sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques interdisent l’exploitation commerciale d’inventions contraires à l’ordre public et aux bonnes moeurs : les technologies relevant du clonage des êtres humains, notamment, les utilisations d’embryons humains à des fins commerciales et industrielles, ou les procédés de modifications génétiques d’animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale. » Et la Patent Manager de relever que depuis de nombreuses années, « des voix s’élèvent contre la “brevetabilité de l’humain”. On songe par exemple aux discussions d’ordre éthique entourant la recherche des cellules souches embryonnaires. »

Soulagement en Europe

Là où bon nombre de chercheurs tendent à voir une nouvelle opportunité en matière de lutte contre la maladie, d’aucuns, pas moins nombreux, y opposent une interdiction de principe, au nom de l’éthique. « Ce type de recherche implique l’utilisation puis la destruction d’embryons humains fécondés, et n’est donc pas brevetable – avec le frein que ceci représente pour la recherche », observe Nicole Antheunis. Autrement dit, sur la thérapie génique, c’est-à-dire la possibilité de guérir en enrichissant le matériel génétique de nos cellules pour y corriger une anomalie, « personne ne souhaite investir à fonds perdus, sans garantie d’obtenir un brevet et donc sans garantie de n’être pas copié par un concurrent ».

Or, en décembre dernier, la Cour de justice européenne a fourni une nouvelle définition de l’embryon humain –, “peut être considéré comme tel un ovule doté de la capacité de se développer en être humain” – autorisant désormais la brevetabilité des cellules souches obtenues à partir d’ovules activés par parthénogenèse, et donc sans fécondation par un spermatozoïde. « C’est un soulagement, souffle Nicole Antheunis, responsable de la propriété intellectuelle à l’ULg. Cette décision profitera à la recherche autant qu’elle sera de nature à encourager les investissements. C’est, en dernière analyse, l’avenir de notre santé qui est en jeu. »

La portée de cet arrêt est toutefois limitée à l’Europe. Nicole Antheunis souligne ainsi la situation “inquiétante” des États-Unis qui, naguère réputés plus favorables que l’Europe à la brevetabilité du vivant, ont récemment opéré « un virage à 180 degrés » et impose désormais des restrictions plus strictes. Un exemple ? En Europe, la directive sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques précise qu’un élément “isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence partielle d’un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d’un élément naturel”.

Le cas américain

Autrement dit, il reste possible, sur le Vieux Continent, de breveter un gène issu de l’environnement naturel pourvu qu’on lui ait attribué une fonction, comme le rôle qu’il joue dans le déclenchement d’une pathologie ou dans une méthode de diagnostic. « Or, ce n’est plus le cas aux États-Unis, note Nicole Antheunis, au motif qu’un gène ou une séquence génétique, même déchiffrée au prix de recherches de longue haleine, reste un produit de la nature, inaltéré par la main de l’homme quelle que soit l’utilisation ultérieure qui en est faite. La crainte, on s’en doute, est donc que cette manière de limiter la brevetabilité du vivant influence un jour l’Europe et donne lieu à des décisions similaires qui menacent directement l’avenir de la thérapie génique. »

Informations sur le site www.les-benelux.org/level1/meetings.htm

Patrick Camal
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