March 2015 /242

Pléthore de déchets et métaux précieux

“Reverse Metallurgy”, un projet pour récupérer les métaux stratégiques

S’unir pour tout repenser. C’est, en résumé, le message du Pr Éric Pirard, ingénieur géologue de la faculté des Sciences appliquées, initiateur du projet “Reverse Metallurgy” auquel les médias se sont beaucoup intéressés ces derniers temps. De quoi s’agit-il ?
Nous le savons, la région liégeoise ne renouera plus jamais avec son industrie d’antan : sa ré-industrialisation sera nécessairement différente. Pour autant, la Cité ardente et ses environs n’ont pas dit leur dernier mot. Le passé représente un atout de poids dans la construction de l’avenir et tout n’est pas à jeter. Bien au contraire. La vallée de la Meuse pourrait devenir une Recycling Valley selon les mots du Pr Pirard : « J’utilise exprès ce terme car nous sommes dans une vallée au sens géographique. La vallée de la Meuse est un axe logistique important et Liège dispose notamment d’un port fluvial. Par ailleurs, c’est une Recycling Valley potentielle grâce à ses friches industrielles. Il existe des surfaces importantes bénéficiant de toute une série d’autorisations très exigeantes au niveau environnemental. Des entreprises sont partantes pour mettre des moyens à disposition si un procédé développé par l’Université permet la création d’activités nouvelles. Elles ont de l’espace dans leurs hangars, on peut stocker du matériel, ce qui facilite énormément l’établissement de ce genre d’entreprise de recyclage. »
RobotÀ l’origine du projet, il y a conjonction d’intérêts entre l’ULg, le Centre de recherche métallurgique (CRM) et des sociétés industrielles comme Comet Traitements et Hydrometal. Ces intérêts se sont fédérés dans le projet Reverse Metallurgy qui vise à développer des techniques permettant de récupérer les métaux stratégiques1 contenus dans des objets courants comme les GSM, les ordinateurs, les véhicules hors d’usage, et ce grâce au recyclage des métaux ayant servi à fabriquer ces objets. La Région wallonne a affecté plus de 40 millions d’euros à ce projet. « Le grand défi pour nous est de transformer l’investissement de la Région en création d’activités nouvelles et innovantes, génératrices de perspectives importantes en termes d’emploi et de plus-values économiques », observe le Pr Pirard. Autrement dit, il faut que le projet soit générateur d’activités industrielles futures, d’emplois, d’innovations, de nouvelles techniques, de développements économiques, de nouvelles sociétés, de formations.

Photo : Sculpture de Paul Bonomini (Eden Park en Angleterre)

L’ULg partenaire du nouveau KIC

Ce projet s’inscrit dans une dynamique plus large, celle de l’économie circulaire, pour laquelle Eric Pirard plaide depuis longtemps2. S’il est particulièrement enthousiasmant, ce n’est pas tant pour son objet que pour sa forme. En effet, au-delà de la réalisation scientifique qu’il représente, il ambitionne de fédérer à terme un maximum d’énergies et de bonnes volontés au sein de la communauté scientifique, universitaire et industrielle, afin de se doter de tous les outils permettant sa mise sur pied. « L’objectif est de favoriser la formation et le transfert de technologies en créant un triangle de la connaissance wallon qui soit un partenaire de premier plan au sein du nouveau réseau “Knowledge Innovation Community (KIC) on Raw Materials” que l’Europe vient de créer sous l’égide de l’European Institute of Innnovation and Technologies (EIT) ce 9 décembre 2014. Ce projet s’inscrit dans le long terme (environ 400 millions d’euros sur sept ans) et renforce l’attractivité de notre région pour tout projet de formation et de création d’activités nouvelles. »
Cependant, pour que la plupart des opérations de recyclage soient rentables, il ne suffit pas d’avoir développé les capacités techniques. Celles-ci ne sont pas suffisantes pour permettre de sortir de la sphère expérimentale. « Il y a des dimensions non techniques, relevant des sciences humaines, qui doivent venir en complément du travail des ingénieurs », affirme Éric Pirard. Les économistes sont ainsi particulièrement attendus. « Je suis entouré de gens très enthousiastes qui idéalisent la capacité à recycler des métaux récupérés dans des GSM ou des biens électroniques. Je veux nuancer tout cela : pour l’instant, la valeur de ces métaux n’est pas suffisante pour rentabiliser l’opération. » Et pour cause : la valeur du métal contenu dans un GSM broyé ne représente généralement même pas un euro alors que l’objet a coûté beaucoup plus cher. Il est impensable à l’heure actuelle, même en disposant de la technique, de développer une activité industrielle dont la marge bénéficiaire serait aussi restreinte, pour ne pas dire inexistante.

Économie de la fonctionnalité

DechetsPour pallier cet inconvénient majeur, appel est lancé aux économistes. Car, toujours selon le Pr Pirard, « si les économistes ne trouvent pas des incitants pour favoriser le recyclage, il n’y aura pas de recyclage. La solution technique seule ne sert à rien ». Et pourtant il y a urgence car au défi économique s’ajoute l’impératif écologique, le devoir vis-à-vis des générations futures. Le Reverse Metallurgy s’inscrit dans le développement durable au sens où l’idéal serait que les objets durent plus longtemps afin de réduire le volume de déchets… et donc de moins recycler. « Nous avons les capacités techniques de faire des produits qui durent. Le problème, c’est le modèle économique. Comment le vendeur de portables vivra-t-il si le marché est saturé pour 50 ans ? » Et comment allier la durabilité des produits avec le recyclage, une fois celui-ci devenu une activitéindustrielle de premier plan ? « C’est toute la réflexion autour de l’économie de la fonctionnalité. Tout l’enjeu est de trouver des incitants pour que les fabricants aient intérêt à faire durer leurs produits. Aujourd’hui, ce qui est un scandale, c’est que ces GSM – dont on se lasse après un an ou deux – ont mobilisé des ressources prodigieuses. Il y a une vingtaine de métaux, voire plus dans une tablette : 20 ou 30 exploitations minières dans le monde entier sont donc nécessaires pour apporter à la nouvelle technologie les métaux indispensables qu’il faut ensuite extraire, raffiner et acheminer. »
PirardEricDans ce contexte, le projet Reverse Metallurgy apparaît comme une « étincelle » pour aller vers un centre de compétences universitaire multidisciplinaire avec des ingénieurs, des économistes, des juristes. Éric Pirard appelle à une réflexion collective sur les enjeux de l’économie circulaire, tout autant que l’écologie industrielle. « Nos pays (Belgique, nord de la France, Allemagne, Pays-Bas) sont des pays pionniers dans le recyclage et nous sommes les meilleurs au monde. Il faut absolument le dire et le promouvoir », conclut-il.

1 Les métaux stratégiques sont des métaux pour lesquels il existe un risque significatif de rupture d’approvisionnement alors qu’ils sont indispensables dans des technologies clés de notre économie (TIC, énergie, mobilité, etc.), comme le niobium, l’indium et le cobalt par exemple.
2 “Génération Bic”, dans Le 15e jour du mois de juin 2014

Pages réalisées par Ariane Luppens
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