March 2015 /242

Carte blanche à Philippe Léonard

Les répercussions du changement climatique

Le changement climatique est un sujet inquiétant et d’actualité. Outre les perturbations environnementales – dont les catastrophes naturelles récentes pourraient être les manifestations débutantes –, il faut s’attendre à ce qu’il ait un impact sur la santé des hommes. Selon l’OMS, le changement climatique influe sur les déterminants sociaux et environnementaux de la santé tels que l’air pur, l’eau potable, la quantité de nourriture et la sécurité du logement. Ainsi, entre 2030 et 2050, toujours selon l’OMS, ce changement climatique pourrait entraîner près de 250 000 décès supplémentaires par an, principalement dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress engendrés par la chaleur.
ClimatSanteLes futurs étudiants risquent-ils dans quelques décennies d’attraper le paludisme dans le campus universitaire du Sart-Tilman ? Pourraient-ils y contracter d’autres maladies tropicales ou inhabituelles dans nos régions ?
Les “nouvelles maladies ”sont aussi la conséquence de la globalisation des échanges. Nous voulons voyager de plus en plus loin, rencontrer d’autres cultures, vivre des aventures hors du commun, manger des fruits exotiques et des fruits de mer en toute saison. Mais tout cela a un prix.
En effet, les épidémies récentes de chikungunya dans les Caraïbes – avec près de 100 000 cas répertoriés dans les Antilles françaises – sont le reflet de l’augmentation sensible des déplacements humains. De manière bien involontaire, l’homme transporte des pathogènes qui peuvent s’établir et se disséminer en terrain propice. Dans le cas du chikungunya, le “terrain propice” est constitué du vecteur arthropode, le moustique Aedes. Et si l’homme a importé accidentellement le pathogène, il peut aussi avoir importé son vecteur, tel l’Aedes albopictus. Originaire d’Asie du Sud-Est, sa conquête du monde est liée à la mondialisation des échanges commerciaux, et en particulier au transport de pneus usagés (ce qui est actuellement interdit par certains pays).
Il faut savoir que ce moustique vit quatre à huit semaines et a un rayon de vol de 400 à 600 m. Ainsi, l’Aedes albopictus a été introduit en Italie via des pneus usagés originaires de Géorgie aux Etats-Unis. Le moustique était donc bien établi dans la région d’Emilie Romagne lorsqu’un voyageur originaire d’Inde s’y est rendu en juin 2007… et est tombé malade de l’infection par le chikungunya contractée dans son pays. Cette introduction fortuite du virus dans un environnement propice à cause de la présence de moustiques vecteurs a dès lors déclenché une épidémie de chikungunya, touchant au moins 205 personnes dans cette région italienne. Notons aussi que ce moustique est le vecteur principal de la dengue et qu’il peut être vecteur d’autres maladies virales, comme la fièvre jaune, l’encéphalite japonaise et le virus du Nil occidental (West Nile).
Des études menées par l’Institut de médecine tropicale d’Anvers ont trouvé, dans une cargaison des plantes de bambou acheminée dans le port flamand, une larve vivante de ce moustique exotique : les sociétés importent des plantes ornementales en provenance de Chine par containeurs maritimes. Bel exemple de commerce mondial.
Des chercheurs de Gembloux Agro-Bio Tech (ULg) ont trouvé en 2013 un mâle de cet Aedes. Ce dernier a été réintroduit dans une plateforme de pneus usagés importés située à Vrasene, dans la province de Flandre orientale. D’autres moustiques, également porteurs de maladies, semblent s’adapter et s’implanter dans des environnements nouveaux. Notons que la Flandre connaît depuis longtemps la fièvre des polders, une forme de paludisme à Plasmodium vivax liée à la présence d’une espèce du genre de l’Anophèle, vecteur du paludisme. L’extension des zones d’habitat des tiques est également signalée : elles remontent en latitude et en altitude, ce qui a pour effets d’augmenter les zones d’endémie de Rickettsioses et les cas de maladie de Lyme dans ces contrées.LeonardPhilippe
Notons que l’Aedes ne survit pas à nos hivers trop rudes. Sauf à craindre que le réchauffement climatique permette son installation définitive dans nos contrées ! Encore un peu de patience… Il s’agit là d’un bel exemple de la responsabilité des activités humaines dans l’importation de vecteurs pathogènes dans des régions exemptes de ces virus. Le réchauffement climatique, quant à lui, permet à ces vecteurs d’étendre leurs aires de répartition. Les Hollandais, confrontés aux aussi aux mêmes problèmes, utilisent déjà des biocides contre ces moustiques.
Ce n’est pas tout : les modifications climatiques sont également à l’origine de l’extension géographique de certains gastéropodes. Ainsi, l’OMS prédit une dissémination en Chine de la bilharziose, maladie parasitaire tropicale et subtropicale due à un helminthe, dont le cycle aquatique passe par un escargot d’eau douce. Un foyer de bilharziose a été clairement identifié sur l’Ile de Beauté, dans les alentours de la rivière Cavu !
Ces quelques exemples démontrent les interactions étroites entre le réchauffement climatique, les pathologies et leurs vecteurs. Il n’est donc pas impossible que, dans un avenir plus ou moins proche, selon que l’on soit optimiste ou pessimiste, les étudiants puissent contracter des maladies tropicales sur le campus universitaire du Sart-Tilman comme sur celui de Louvain-la-Neuve !

Dr Philippe Leonard
service des maladies infectieuses et médecine interne générale, médecine des voyageurs
collaborateur à l’ULg dans l’équipe de Pr Michel Moutschen

Les maladies climato-dépendantes

Conférence dans le cadre des mardis du développement durable, avec Clémence Massart (unité de recherche Seed, Campus ULg d’Arlon) et Jean-François Guegan (Institut de recherche pour le développement à Montpellier), le mardi 31 mars à 20h, aux Ateliers du Saupont, rue Lonnoux 2a, 6880 Bertrix.

Contacts : tél. 063.230.914, courriel sara.verhelpen@ulg.ac.be, site www.campusarlon.ulg.ac.be

 

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