March 2015 /242
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Gilles Vandewalle

Quand la lumière met le cerveau en ébullition

VandewalleGillesL’effet est souvent immédiat : un éclairage tamisé dans une salle de cours et hop ! C’est parti pour une cascade de bâillements, voire d’assoupissements… En classe ou ailleurs, la lumière joue un rôle primordial dans notre quotidien et ne laisse pas notre cerveau insensible. Même lorsque les tâches qu’il effectue n’ont rien à voir avec la vision. C’est ce que démontrent les travaux de Gilles Vandewalle, chercheur au Centre de recherche du cyclotron, qui interviendra lors du prochain Printemps des sciences (lire ci-après) consacré à la lumière. Un thème qui n’a pas été choisi par hasard, puisqu’il est aussi celui décrété par l’Unesco pour son “Année internationale 2015”. Une manière de rappeler que notre environnement lumineux n’a rien d’anecdotique.

Le 15e jour du mois : Quel rôle joue la lumière dans notre vie quotidienne et sur le fonctionnement de notre organisme ?

Gilles Vandewalle : Elle permet évidemment de voir, mais elle agit aussi au niveau de fonctions qui ne sont pas liées à la vision. On sait qu’elle a un effet éveillant. Par ailleurs, elle signale à notre corps qu’il fait jour ou nuit. Les personnes qui travaillent en soirée ou qui souffrent de décalage horaire peuvent d’ailleurs ressentir des problèmes de dérèglement de leur horloge biologique. L’une des thérapies pour remettre le corps à l’heure est de donner de la lumière. Celle-ci a aussi un impact sur les émotions à court et à long terme. La luminothérapie est par exemple utilisée en cas de dépression saisonnière.
Les recherches que nous avons menées s’intéressent à la manière dont le cerveau fonctionne lorsqu’il y a de la lumière, lorsqu’elle est au contraire absente ou que ses caractéristiques (couleur, intensité, etc.) varient. Nous avons observé la réaction du cerveau en utilisant des techniques comme l’IRM, la tomographie par émission de positons, l’électroencéphalograme (EEG), etc. Comme “sondes”, nous avons utilisé des tâches cognitives qui ne sont pas en lien avec la vision. Des tâches relativement simples, comme écouter des suites de lettres et pouvoir dire pour chacune si elle est la même que celle entendue auparavant, etc. Nous avons observé que les aires du cerveau qui sont mobilisées durant l’exécution de ce travail auditif vont réagir différemment en fonction de l’environnement lumineux. En particulier sous l’influence de lumière bleue : plus il y en a, plus les régions cérébrales impliquées dans la tâche vont être actives. Elle va booster le système.

Le 15e jour : Comment notre cerveau perçoit-il cette variation de la lumière ?

G.V. : Notre rétine est constituée de cônes et de bâtonnets. Mais aussi d’un autre type de photorécepteurs, de cellules qui expriment un photopigment appelé mélanopsine. Et qui a tendance à davantage réagir aux photons bleus qu’aux autres. Ces cellules vont récolter l’information lumineuse, puis l’envoyer via le nerf optique vers toute une série de zones du cerveau. A priori, la mélanopsine n’est pas liée à la vision, mais elle a tout de même un gros impact sur la qualité de celle-ci. C’est elle qui régule l’ouverture de la pupille et la sensibilité d’exposition des cônes et des bâtonnets, et qui permet donc de voir aussi bien avec un lux, 200 ou 50 000 lux. D’ailleurs, quelques rares personnes aveugles n’ont plus de cônes ni de bâtonnets, mais conservent un peu de mélanopsine.
J’ai eu la chance de scanner trois de ces personnes qui ne voyaient donc pas. Pourtant, leur cerveau réagissait aussi différemment en présence de lumière bleue. Chez elles aussi, on constate cette même augmentation de l’activité cérébrale. Aujourd’hui, grâce à ces cellules, l’idée de pouvoir restaurer la vision n’est plus tout à fait de la science-fiction. On commence à le faire chez les rongeurs. Même si ce n’est pas parfait, on parvient à récupérer des contrastes lumineux.
La mélanopsine joue donc un rôle important. Etonnamment, si l’oeil est étudié depuis toujours, la découverte de ces cellules date à peine de 2002 ! Cela a ouvert un nouveau champ de recherches. Et a rappelé l’importance de la lumière bleue. Alors que, depuis grosso modo 150 ans et l’avènement de l’électricité, on s’est habitué à un éclairage très différent de la lumière naturelle, fait majoritairement de lampes à incandescence beaucoup plus jaunes et pauvres en bleu.

Le 15e jour : Quelles sont les implications de cette “carence” sur la santé ?

G.V. : Nous vivons beaucoup à l’intérieur, dans des environnements présentant des niveaux lumineux d’environ 200 lux, alors qu’une journée très ensoleillée représente 20 000 lux ! Cela peut engendrer toute une série de conséquences, en matière de dépressions saisonnières notamment. L’éclairage artificiel va aussi exacerber les différences entre les gens du soir et ceux du matin. On connaît tous des personnes qui préfèrent aller se coucher tôt et d’autres tard. La possibilité d’avoir accès à de la lumière artificielle quand normalement il devrait faire sombre retarde le sommeil, incite à rester plus tardivement éveillé. On sait aussi que les écrans leds de nos tablettes, ordinateurs et autres smartphones émettent pas mal de bleu. Or beaucoup de gens les consultent dans leur lit, ce qui pourrait activer le système alors qu’il devrait se préparer à dormir. Le led n’est pas meilleur ou moins bon, tout dépend de l’usage qu’on en fait.

Le 15e jour : Être exposé à de la lumière riche en bleu permet-il de mieux réaliser certaines tâches ?

G.V. : La lumière améliore la performance des tâches de base. On ne fait pas forcément beaucoup mieux les choses, mais un peu plus vite, plus “juste”. Pouvoir utiliser la lumière correctement permet de favoriser les performances cognitives, ce qui peut notamment avoir de l’intérêt dans un cadre scolaire. Certaines firmes réfléchissent à un éclairage qui aurait tantôt un effet stimulant, tantôt reposant selon les moments. Dans les hôpitaux, des tests ont été réalisés dans des chambres où la couleur et l’intensité de la lumière changent durant la journée. Ils ont démontré que les patients qui y séjournaient demandaient moins d’antidouleurs. Il peut aussi y avoir un impact sur certaines pathologies liées à la vieillesse. On sait que la lumière peut avoir un effet chez les patients atteints d’Alzheimer. Elle va diminuer les symptômes, améliorer le sommeil. Toutefois, les homes où sont soignées ces personnes âgées sont souvent très sombres. Du coup, les résidents vont être plus amorphes le jour mais plus actifs la nuit : leur horloge biologique est déréglée.

Le 15e jour : Quels conseils peuvent être donnés pour une meilleure utilisation de la lumière au quotidien?

G.V. : Vivre continuellement dans un environnement tamisé, ce n’est pas l’idéal. Le corps ne recevra alors pas les signaux dont il a besoin pour faire la distinction entre le jour et la nuit. Il faut essayer d’avoir le plus de lumière possible durant la journée. Même si ce n’est pas très écologique, il est préférable d’allumer en journée à l’intérieur. Avoir un halogène assez fort, c’est bien. A contrario, il faut éviter d’avoir trop de lumière le soir, ainsi que les écrans allumés avant d’aller dormir. Cela devient un cercle vertueux : si l’on bénéficie de plus de lumière la journée, on sera plus réveillé. Si on en a moins le soir, on dort mieux. Et on sera plus réveillé le lendemain, etc. Par ailleurs, la luminothérapie, même si elle ne fonctionne pas chez tout le monde, peut être positive. Elle peut donner un coup de boost, un peu comme un café !

Lumière sur le Printemps des sciences 2015

• Après le thème des origines, c’est au tour de la lumière d’être la vedette du Printemps des sciences, du 23 au 27 mars. Les différents sites de l’ULg accueilleront des élèves venus assister à des exposés aux thématiques variées, depuis la répartition des couleurs dans la famille des M&M’s en passant par la lumière dans les milieux aquatiques, l’éclairage urbain ou encore l’origine atomique de la lumière.
Informations sur le site http://printemps-des-sciences.ulg.ac.be/

Le vendredi 20 mars, une éclipse partielle du Soleil aura lieu. La Société astronomique de Liège et l’ULg proposent de participer à une observation collective du phénomène, de 9h45 à 11h, à l’Institut de zoologie, quai Edouard Van Beneden 22, 4020 Liège.

Le vendredi 20 mars à 20h, le maître verrier Bernard Tirtiaux et l’architecte Philippe Samyn parleront de la lumière comme outil de travail et source d’inspiration, à l’ULg-Arlon Campus Environnement, avenue de Longwy 185, 6700 Arlon.
Contacts : inscription souhaitée, courriel sara.verhelpen@ulg.ac.be

Propos recueillis par Mélanie Geelkens
Photos : J.-L. Wertz
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