March 2015 /242

Les intelligences citoyennes

Les intelligences citoyennes

Licenciée en philologie romane en 1972 et en information et arts de diffusion deux ans plus tard, Majo Hansotte – qui fit partie de la première promotion de la “8e section” – s’est d’emblée tournée vers l’enseignement et y a fait carrière de 1972 à 2002. Avec quelques infidélités cependant.
Au début des années 1980, elle quitte en effet les salles de classe pour la Fédération des maisons de jeunes d’abord, puis pour le secteur de l’éducation permanente organisé par la Communauté française (1986-2000) ensuite. Détachée pédagogique, c’est animée d’un intérêt puissant pour la citoyenneté qu’elle s’investit corps et âme dans le secteur de l’éducation permanente, “fille de l’éducation populaire, cousine de l’émancipation collective”. Contre le déclin de la pensée critique et contre le système de marché qui s’est imposé en créant à la fois de l’injustice et des inégalités sociales, Majo Hansotte entend soutenir l’émancipation politique et sociale. Une ambition qui constitue le fil rouge de sa carrière qu’elle termine aujourd’hui à l’administration générale de la Culture, au Bureau international de la jeunesse, chargée d’une mission “citoyenneté” depuis 2002. Concomitamment à son implication sur le terrain, Majo Hansotte défend en 1999 une thèse en philosophie et lettres : “Enonciation et démocratie ; pour une formation à l’espace public”, publiée chez De Boeck en 2002 sous le titre Les intelligences citoyennes.

Le 15e jour du mois : Pourquoi une thèse ?

Majo Hansotte : Au début de ma pratique dans les maisons de jeunes, je me suis vite rendu compte que si les décrets concernant l’éducation permanente – l’éducation non-formelle – s’appuyaient sur la notion de citoyenneté, les jeunes, eux, n’en avaient cure ! J’ai ressenti alors le besoin de clarifier la notion en articulant théorie et pratique de terrain.

Le 15e jour : Qu’est-ce que l’éducation populaire ?

M.H. : En Belgique, l’éducation populaire est ancienne. Elle trouve ses origines au XIXe siècle, dans l’engagement social de l’Eglise catholique et dans les mouvements sociaux d’inspiration socialiste. Son domaine d’action est très large puisqu’il regroupe pêle-mêle les associations d’éducation permanente, les mouvements des femmes, les multiples collectifs gravitant autour des syndicats, les structures d’alphabétisation, les maisons de jeunes…
L’idée fondatrice de l’éducation populaire – en résonance avec l’Amérique latine – est de partir du vécu pour comprendre et transformer sa vie. Partir du “subir” pour aller vers un “agir”.

Le 15e jour : Que sont les “intelligences citoyennes” ?

M.H. : En étudiant les mouvements sociaux depuis la fin du XVIIIe siècle, j’ai identifié quatre registres de parole porteurs d’actions collectives au sein d’un espace public local et mondial, lequel représente une dimension essentielle de la vie. C’est ce que j’ai appelé dans ma thèse les quatre “intelligences citoyennes” qu’il s’agit de valoriser afin de revivifier l’espace public : l’intelligence narrative (raconter et témoigner en faveur du juste), l’intelligence déconstructive (débusquer l’arbitraire), l’intelligence argumentative (délibérer pour définir ce qui serait juste) et l’intelligence prescriptive (revendiquer plus de justice). Ces quatre intelligences interactives constituent, selon moi, les composantes de l’action collective sociale et politique.

Le 15e jour : L’hypothèse est-elle féconde ?

M.H. : Très ! A deux niveaux. L’espace public comporte une dimension horizontale de transformations réciproques, d’évolution des mentalités. Et une dimension verticale et conflictuelle de contre-pouvoir, de revendications politiques. Je pense notamment aux avancées du féminisme au Burkina Faso et, en Europe, à une meilleure prise en compte de la santé mentale, qui a conduit à la psychiatrie en milieu ouvert.
Actuellement, mon activité consiste à former des intervenants du champ social et socio-culturel à la méthode ou à accompagner des structures qui le souhaitent (par exemple, “La voix des femmes”, structure d’alphabétisation à Saint-Josse). Je peux intervenir aussi, à la demande, dans un collectif citoyen déjà organisé. Je vais fréquemment en France ou au Québec. L’expression et l’action citoyennes font bon ménage avec les registres créatifs : des installations, des infiltrations, des happenings, des affiches qui conscientisent de manière heureuse.

HansotteMajoJe suis entrée à l’ULg en 1968. C’était une nouvelle naissance : ce fut le temps de la découverte scientifique et de l’engagement politique. L’époque était à la contestation ! Dans le sillage de Mai 68, nous avons occupé la salle académique, notre promotion a organisé des séminaires politiques ou philosophiques. Quelques professeurs nous soutenaient ; je pense à Jacques Dubois et à Jean-Marie Klinkenberg, alors jeune assistant. Ensuite, un bouillonnement intellectuel a présidé à la mise en place de “commu” (on disait “la 8e”, la 8e section de Philosophie et Lettres). C’était très enthousiasmant.

Propos recueillis par Patricia Janssens
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants