April 2015 /243

Le jardin : art, mémoire et vie

L'opinion de Thérèse Rivasseau Jonveaux

La conscience collective associe l’au-delà à un jardin merveilleux et, dès leur sédentarisation, les hommes se sont entourés de jardins. “L’homo hortus” serait-il lorrain ? En tout cas, c’est dans cette région française de l’est qu’a été ouvert en 2010, au coeur de la ville de Nancy, un espace à visée thérapeutique pour les personnes atteintes de “la maladie d’Alzheimer et maladies apparentées” (Mama) unique en France : le jardin “art, mémoire et vie” est une innovation portée conjointement avec le Dr Reinhard Fescharek. Nature et art sont rassemblés dans cette parenthèse urbaine dédiée à plus d’une centaine de patients et à leurs proches.
RivasseauJonveauxThereseUn engouement certain se fait jour actuellement pour les jardins à visée thérapeutique dans les champs du soin et du médicosocial. Ils permettent de rompre avec le cadre artificiel des services de soins souvent perçus comme stressants. “Art, mémoire et vie” est un lieu accueillant, reposant, propice aux rencontres et aux échanges. Sécurisé, il sollicite les sens de ses visiteurs et leur permet de s’ouvrir aux autres : leur entourage, les personnels, les professionnels du jardinage, les animateurs culturels, etc. Le jardin est un lieu privilégié, proche de la “vraie” vie. S’y promener stimule la mémoire, l’orientation dans le temps et l’espace, le langage, les réminiscences des souvenirs individuels, la mémoire sociale et collective, les gestes et les connaissances de la vie quotidienne. Les études sur de tels jardins ouverts dans certains établissements de soins et d’hébergement font apparaître différents bénéfices pour les personnes atteintes de “Mama” : réduction des troubles du comportement, de l’agressivité et de l’agitation, notamment. Ces espaces permettent la pratique d’exercices physiques doux dans de bonnes conditions, procurant une amélioration de symptômes tels que les troubles de l’appétit et du sommeil.
Leur conception, comme le prouve le jardin de Nancy, doit dépasser celle d’un simple espace de déambulation sécurisée, pour intégrer les principes d’un design à visée thérapeutique. En France, un élan particulier a été impulsé dans ce domaine par le Plan Alzheimer 2008-2012 ; il a été prolongé depuis et fait recommandation aux nouvelles unités spécialisées instituées de disposer de tels jardins. Pour autant, comment les adapter aux multiples besoins ? De véritables partenariats entre les différentes disciplines qui gravitent autour restent à tisser – avec des paysagistes, architectes, psychologues, soignants, rééducateurs, médecins – à travers des méthodes nouvelles inscrites dans la transversalité.
Les jardins sont des lieux propices à la mise en oeuvre de l’ensemble des fonctions psychologiques humaines. A l’interface de la santé, de la science et de la citoyenneté, les projets d’un programme de recherche baptisé
JAZ Jardin Alzheimer se déclinent en plusieurs volets :

  • JAZ-TOP : analyse les principes de base pour organiser les éléments d’un jardin afin d’y favoriser l’orientation.
  • JAZ-ART : l’installation d’oeuvres d’art dans les jardins a un impact émotionnel positif sur les visiteurs. L’évaluation des bénéfices d’une telle conception est essentielle pour explorer les relations art, cognition et comportements.
  • JAZ-LOR : étudie la prise en compte, dans la conception du jardin “art, mémoire et vie”, des références à la mémoire culturelle régionale qui peuvent s’intégrer aux activités proposées lors des ateliers individuels, en petits groupes ou transgénérationnels.
  • JAZ-BURN : centré sur le risque de syndrome de burnout professionnel, problème important pour les équipes de soins, et l’effetpositif/préventif pour elles d’accéder à un jardin thérapeutique, d’y pratiquer des activités avec des patients ou de s’y retrouveren équipe en dehors des temps de soin.

Art et nature se rejoignent pour apporter une réponse à la “culture” des jardins thérapeutiques qui ouvre à son tour de nouveaux espaces de réflexion : ne constituent-ils pas, à travers leur simplicité et leur évidence, une réponse adaptée aux besoins du vieillissementhumain ?

Thérèse Rivasseau Jonveaux
neurologue, docteur en psychologie (CHRU de Nancy),
titulaire de la chaire Francqui à Gembloux Agro-Bio Tech

Programme des leçons sur le site www.gembloux.ulg.ac.be

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants