April 2015 /243

David Randaxhe

La gestion des âges en entreprise

Chargé de recherche en gestion des compétences, David Randaxhe (HEC-ULg) termine “Génération+”. Entamé en 2007 et subventionné par le Fonds social européen, ce projet de recherche abordait directement la gestion des âges en entreprise, en particulier la gestion des seniors (45 ans et plus). Il visait entre autres au maintien à l’emploi de ces travailleurs via des politiques adaptées de gestion des ressources humaines et des compétences, et à la sensibilisation des entreprises à la gestion de la diversité des âges. Consistant d’abord en une étude exploratoire confrontant littérature et pratiques observées en entreprise, cette “recherche-action” relève notamment que le “vieillissement actif”, parce qu’il affecte de nombreuses composantes d’une entreprise (formation des travailleurs, gestion des compétences et des performances, conditions et organisation du travail, sécurité et protection de la santé), doit être intégré à sa stratégie globale. En 2013, une convention collective de travail a d’ailleurs vu le jour chez nous, qui oblige les entreprises à mettre en place des politiques de gestion des seniors.

Le 15e jour du mois : Parlons d’emblée de ce “vieillissement actif”. Est-on donc vieux à 45 ans ?

RandaxheDavidDavid Randaxhe : Il est évident qu’à 45 ans, on est loin d’être vieux : on est à mi-parcours dans sa vie professionnelle. La “séniorité” est plutôt une manière de désigner quelqu’un qui, au fil des ans, a acquis une expertise et peut s’enorgueillir d’un recul critique par rapport à sa profession. 45 ans est ce moment charnière où il est question de faire le point sur les compétences acquises et chercher à savoir comment aborder le reste de sa carrière. A l’heure de la fin des prépensions et du retardement du départ à la retraite, le vieillissement actif est inévitable. Comment garder les gens actifs et motivés le plus longtemps possible ? Scénario idéal : un ouvrier physiquement éprouvé par sa profession pourra se reconvertir dans l’entreprise au cours des 20 années à venir. Vers un rôle de formateur par exemple. Mais la réalité est, de loin, beaucoup moins simple : le contexte général de l’entreprise limite souvent ces possibilités de reconversion. J’ai ainsi été en contact avec une société de sous-traitance dans le secteur de la métallurgie, où la problématique tenait à un seul employé de 59 ans sans qui la production serait à l’arrêt. Il ne pouvait être question de l’envoyer en formation, ni d’engager un plus jeune travailleur qui se serait formé auprès de ce monsieur. D’autres pistes ont donc été explorées : fonds sectoriels, formation sur le lieu de travail, etc. En l’absence de solutions miracles, il restait possible de s’inspirer d’autres exemples dans le même secteur. La clé est d’entamer cette réflexion du personnel vieillissant suffisamment tôt pour dégager des solutions acceptables : par exemple, impliquer des seniors dans des projets stratégiques de l’entreprise (réorganisation d’un service, réflexion sur l’automatisation d’un processus, installation d’une machine, etc.). Ou les impliquer dans leur propre référentiel de compétences, ce qui permet de repositionner le senior dans une perspective plus encourageante, en mettant en évidence l’expertise acquise.

Le 15e jour : Nous sommes loin, à vous entendre, del’idée selon laquelle le management chercherait par tous les moyens à se débarrasser de ses seniors. Parce qu’ils coûteraient cher, parce qu’ils seraient moins performants. Est-ce le cas ?

D.R. : Cette idée qu’un senior attend d’arrêter de travailler, qu’il a perdu toute motivation et qu’il est moins performant qu’une jeune recrue tient du stéréotype, dont il importe de s’affranchir. L’entreprise, souvent trop préoccupée par ses contraintes organisationnelles, ne questionne pasce stéréotype et ne pose pas les questions importantes : qui détient les compétences ? Lesquelles perdra-t-on lorsque tel ou tel quittera la société ?
Autre frein : les limites du tutorat comme moyen de transfert de compétences. Outre le fait que tous les seniors ne sont pas forcément de bons tuteurs, il est également vrai que bon nombre de tuteurs ont l’impression de scier la branche sur laquelle ils sont assis : transmettre leurs savoirs les exposerait plus rapidement au licenciement au profit d’un jeune travailleur meilleur marché. Ces deux obstacles doivent donc être dépassés. Un nombre croissant d’entreprises s’efforcent d’ailleurs d’aborder sérieusement le vieillissement actif. La réalité du tissu économique wallon – de plus ou moins grandes entreprises dotées d’un personnel relativement âgé – n’offre pas d’autre option. Les managers en ont bien pris conscience, de même que le vieillissement me paraît perçu de manière beaucoup plus positive. Ceci souligne l’importance de la formation des dirigeants : les cadres les plus sensibles au vieillissement actif sont ceux qui considèrent, très justement, que l’âge est une diversité comme une autre qu’il convient d’intégrer dans un plan global de gestion de l’entreprise. Les syndicats ont aussi pris en main cette thématique, d’autant plus volontiers que la gestion du vieillissement passe parfois par une réduction du temps de travail. Réduire, oui, mais avec quel salaire, demandent-ils. Complexe, le vieillissement actif est aussi touchy parce que lié aux acquis sociaux.

Le 15e jour : Vous relevez que l’éducation des dirigeants d’entreprise est primordiale. Dans quelle mesure votre recherche a-t-elle contribué à leur sensibilisation ?

D.R. : Au-delà du travail exploratoire, nous nous sommes aperçus que les sociétés manquaient d’outils pratiques pour s’informer, pour s’évaluer, mais également pour établir des plans d’action destinés à anticiper le vieillissement de leur population active. Nous avons donc rédigé plusieurs guides, que nous avons continuellement ajustés jusqu’en 2013. Le premier permet aux sociétés de poser un diagnostic : analyse de la pyramide des âges, puis identification des problèmes les plus critiques (formation, absentéisme, transfert des compétences, etc.).
Le deuxième s’adresse directement aux managers en leur proposant de diagnostiquer leurs propres pratiques en matière de gestion des seniors. Enfin, le troisième guide cherche à aider les entreprises à établir et mettre en oeuvre des plans d’action. De manière générale, nous insistons sur le fait que ces plans d’action ne seront efficaces que s’ils intègrent l’ensemble des acteurs d’une entreprise – les travailleurs, les managers, les syndicats – et s’ils font l’objet d’une communication importante. La gestion du vieillissement actif doit être traitée comme un projet à part entière.

Masterclass

L’Interface Entreprises-ULg organise, les 9 et 10 juin prochains, une “masterclass” sur le thème des “travailleurs âgés et expérimentés” à l’Espace Eurêka, Liege Science Park, avenue Pré-Aily 4, 4031 Liège.

Contacts : tél. 04.349.85.52, courriel r.delcourt@ulg.ac.be, programme sur le site www.interface.ulg.ac.be

 

Propos recueillis par Patrick Camal
Photos : Jean-Louis Wertz
Sur le m�me sujet :
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants