May 2015 /244

La ruée vers l’or vert

Microalgues grandes ambitions

Microalgues-03On le surnomme le “plan incliné”. Moins impressionnant que celui de Ronquières, il ne passe cependant pas inaperçu depuis les fenêtres les plus élevées de l’Institut de botanique. Durant la belle saison, alors que les réacteurs sont remis en route, les chercheurs peuvent apercevoir depuis leurs bureaux le brassage de vagues vertes. Étonnant spectacle… sur le toit des serres du Sart-Tilman ! Une place de choix pour la culture des microalgues. Au soleil, l’eau de ce bassin de 4000 litres coule en permanence le long d’un “escalier” avant d’être récupérée et ainsi de suite. Une chaîne sans fin, particulièrement propice à la prolifération massive des algues microscopiques.
Ce dispositif avait été créé dans les années 1970 par le Pr Cyrille Sironval qui, à l’époque déjà, croyait dur comme fer dans le potentiel des microalgues. Resté inutilisé pendant un certain temps, il a été ravivé par le Pr Fabrice Franck, responsable du laboratoire de bioénergétique de l’ULg. Hier comme aujourd’hui, le rôle du plan incliné reste identique : générer une production de masse afin de vérifier à grande échelle les expériences menées en laboratoire. « L’installation extérieure est très précieuse, résume le professeur. Grâce à cela, on peut analyser la productivité, déterminer quelles sont les conditions les plus favorables et tester les mutants dans un autre contexte afin de savoir s’ils restent intéressants. »
Installation d’autant plus précieuse que les microalgues ont le vent en poupe. Aux quatre coins du monde, en effet les scientifiques les examinent sous toutes les coutures afin de déterminer si les propriétés qu’on leur prête peuvent effectivement faire des miracles dans le domaine des carburants, de la santé, de la cosmétique, de la construction, etc. Un nouvel eldorado scientifique, ou presque !

Microscopiques

Microalgues-04À l’ULg, on n’a toutefois pas attendu l’effet de mode pour se pencher sur ces organismes végétaux microscopiques, de quelques microns à peine. Petit rappel à ceux qui auraient oublié leurs leçons : un micron représente 0,001 mm. Mais que peuvent bien avoir de magique d’aussi petits objets de recherche ? « L’ULg a une tradition ancienne en la matière. Dès les années 1970, elle faisait figure de précurseur avec les travaux de Cyrille Sironval et René-Fernand Matagne », raconte Fabrice Franck. À l’époque, la problématique de la malnutrition dans le monde commençait à émerger. Comme certaines algues possèdent des taux de protéines très élevés – jusqu’à 70% de leur poids sec –, elles pouvaient représenter des sources d’alimentation intéressantes. À condition « de convaincre les hommes d’en manger ! ».
Les spécialistes liégeois se sont longtemps concentrés sur les développements nutritionnels sur le plan de la recherche appliquée, tandis qu’une recherche fondamentale se poursuivait parallèlement, exploitant les relations entre respiration et photosynthèse, ce qui impliquait la génétique. Ce qui a amené le laboratoire de bioénergénétique (qui s’intéressait particulièrement à la photosynthèse) à collaborer à partir des années 1990 avec celui de génétique et physiologie des microalgues du Pr Claire Remacle (axé au départ sur la respiration). « Pour caractériser les algues, nous avons besoin de comprendre comment elles fonctionnent, quelle est leur physiologie au sens large, détaille cette dernière. « Leur respiration se déroule dans un “compartiment”, la mitochondrie, tandis que la photosynthèse se passe dans un autre. Cela peut paraître très éloigné : c’est pour cela que nous avions voulu savoir comment les deux interagissaient », ajoute son collègue. La collaboration entre les deux laboratoires a ainsi commencé avec l’arrivée de Pierre Cardol, maintenant chercheur qualifié dans le laboratoire de Claire Remacle.

Microalgues-02Biofuel plus éthique

Les deux laboratoires furent également amenés à travailler ensemble sur un projet de recherche appliquée. Car au fil du temps, crise pétrolière aidant, on se mit à imaginer que les microalgues pourraient très bien servir à mettre au point un biofuel, une solution plus éthique que les alternatives à base de produits consommables comme le colza ou le maïs, par exemple. Une solution intéressante, car ces micro-organismes verts sont capables de se reproduire à toute vitesse.
En 2008, alors que le baril de pétrole frôlait des sommets, la question du biocarburant revint sur le tapis. Les deux laboratoires liégeois reçurent un financement de la Région wallonne, puis un autre en 2010 de l’Union européenne pour étudier cette piste. « Même si la biomasse restait chère, cela devenait une idée rentable étant donné la flambée des prix, exposent Claire Remacle et Fabrice Franck. L’enjeu était de diminuer le coût de production au maximum, soit en augmentant fortement la productivité par unité de surface, soit en modifiant le métabolisme de la cellule pour que celle-ci produise plus de biomasse. Nous avons essayé de jouer sur les deux aspects. » La mission porta tant sur la manipulation génétique des microalgues que sur la tentative de booster leur captage de lumière.

Photo : © A. Fratamico - Laboratoire de bioénergétique.


Les deux recherches menèrent à des résultats intéressants.
Mais pas révolutionnaires. La production reste onéreuse. D’autant que, depuis, les carburants sont redescendus à des prix acceptables. Leur trouver une alternative n’est plus inscrit en haut de la liste des priorités…

Rentabilité, et après ?

« Les biofuels seront un jour compétitifs, assure Fabrice Franck. Reste à savoir quand. Même si leur coût devient faible, il subsistera des problèmes concrets. Les espaces de culture sont tellement grands… Doit-on produire des microalgues sur des terres dont la superficie est équivalente à des centaines de terrains de football ? » à quoi Claire Remacle rétorque :
« On pourrait bien sûr penser aux régions désertiques. Mais l’infrastructure nécessaire pour transformer la biomasse devrait également s’y localiser, si on veut en assurer la rentabilité. » Sans oublier la question du recyclage de l’eau qui aura été nécessaire au processus.

Microalgues-01

On ne change pas des organismes verts en or noir en deux coups de cuillère à pot. Certes, il ne faut aux algues que de l’eau, de la lumière et un peu d’éléments nutritifs. Mais le problème est à chercher du côté de la production de lipides, naturellement insuffisante. Or ce sont eux qui, une fois récoltés (après avoir extrait l’eau), serviront de base à la fabrication de carburant. D’où la nécessité de connaître les microalgues sous toutes leurs coutures. « Une cellule, ça n’a pas l’air de grand-chose, mais en réalité c’est extrêmement complexe !, s’exclame Fabrice Franck. Les métabolismes comprennent un grand nombre de facteurs qui s’influencent les uns les autres. Tout est connecté. Dès lors, pour obtenir une vue générale du fonctionnement de la cellule, il faut récolter un grand nombre d’informations. »
Les techniques dites à haut débit permettent désormais cela. C’est ce qu’explore actuellement Claire Remacle dans le cadre d’un projet européen. « Il s’agit de recherches beaucoup plus fondamentales, souligne-t-elle. On essaie de déterminer comment la cellule réagit dans des conditions extérieures en utilisant des données transcriptomiques à haut débit. Nous travaillons avec des théoriciens pour déterminer comment traiter ces informations-là pour en faire ressortir des modèles biologiques exploitables. »

Cosmétique et béton

RemacleClaire-FranckFabriceAu niveau de la recherche appliquée, les chercheurs liégeois sont également impliqués dans un projet de spin-off dont le but est de développer de nouveaux types d’extraits de microalgues pour des applications dans le domaine cosmétique, toujours très friand de nouveautés.
Depuis environ cinq ans, nos deux spécialistes sont fréquemment contactés par des industriels. Ou par leurs confrères, comme ceux de la faculté des Sciences appliquées, intéressés par ce que les microalgues pourraient apporter aux biomatériaux. Sans pétrole, plus de polymères qui en sont dérivés. Ceux-ci pourraient-ils être remplacés par ces organismes végétaux ? Des tests sont par exemple réalisés afin de déterminer si les algues et leurs parois ne pourraient pas avoir des propriétés intéressantes dans la fabrication du béton. C’est là que le fameux “plan incliné” joue un rôle important, puisqu’il va permettre de produire de la matière première qui sera mélangée à du béton en formation.
Les applications alimentaires ne sont pas oubliées non plus, que ce soit pour la pisciculture, la nourriture pour animaux ou pour les hommes. Les freins psychologiques ne sont plus ce qu’ils étaient. La spiruline, par exemple, récolte un certain succès. Elle est la plus cultivée dans le monde et est appréciée pour ses protéines, pour son apport en fer, en omégas 3… Ou encore pour son pouvoir antioxydant, lequel attire bien des convoitises.
« Nous commençons seulement à explorer la multiplicité des microalgues. Du coup, il y a un pic d’intérêt parce que les gens se disent “chic, on va trouver des antioxydants, des anticancéreux, on va sauver la planète !”. C’est un effet de mode, parce que les connaissances sont encore lacunaires. Je suis certaine que nous trouverons des propriétés intéressantes, conclut Claire Remacle. Mais ce ne sera sans doute pas la panacée. » Les microalgues gardent donc une part de mystère. Qui commence à être dévoilé au grand jour, même s’il faudra probablement des années pour percer à jour tous les secrets… des 70 000 espèces qu’elles comportent, dont une petite partie seulement est répertoriée à ce jour.


Mélanie Geelkens
Photos J.-L. Wertz
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