Mai 2015 /244

Des spectres à l’étable

L’analyse du lait made in Wallonie, tremplin international pour Gembloux

Il y a belle lurette que la gestion du bétail bovin, dans nos régions, ne se réalise plus seulement selon l’oeil et le feeling de l’éleveur. Depuis 1919, les vaches laitières font l’objet d’un contrôle laitier qui, petit à petit, s’est enrichi de données qualitatives aussi fondamentales que les teneurs en matières grasses et en protéines. “Fondamentales”, car ce sont ces paramètres qui, aujourd’hui, conditionnent en bonne partie la rémunération versée par les laiteries. Et ce n’est pas tout : grâce aux récentes recherches menées en Wallonie, l’éleveur peut désormais être tenu au courant d’éléments qualitatifs aussi variés que le profil en acides gras, la concentration en minéraux, la teneur en acétone... du lait de ses protégées. Il lui revient ensuite, en fonction de ces indicateurs (allant jusqu’à évaluer la production de méthane – puissant gaz à effet de serre ! – des animaux), d’adapter les rations alimentaires et d’organiser les soins vétérinaires les plus appropriés.
LaitÀ l’heure actuelle, un tiers des exploitations laitières wallonnes – soit 74 000 vaches – souscrivent sur base volontaire à ce suivi peu onéreux, basé sur un échantillonnage mensuel. C’est beaucoup, mais cela semble peu par rapport à la France et aux Pays-Bas où, respectivement, 70 et 95% des vaches participent à un contrôle laitier de ce type. Ces avancées ont été rendues possibles par la spectrométrie dite “en moyen infrarouge MIR” (Mid-infrared spectrometry). Concrètement : soumis à un rayonnement infrarouge, l’échantillon de lait révèle dans un spectre l’essentiel des biomolécules qui le composent. Au total, plus de 1000 valeurs dites “d’absorbance” forgent un aperçu très précis sur la qualité du lait produit par chaque vache.

Une aide à la décision

Parce qu’il peut être exploité bien mieux qu’autrefois, ce spectre est à l’origine d’une innovation qui est en train de propulser la Wallonie sur le devant de la scène mondiale de l’analyse du lait. En 2008, les chercheurs de Gembloux Agro-Bio Tech (ULg) et du CRA-W avaient uni leurs forces avec celles d’acteurs de terrain – l’ASBL Association wallonne de l’élevage et le Comité du lait de Battice – pour créer une banque de données croisant les informations spectrales avec  diverses données caractérisant le type d’élevage pratiqué au sud du pays (données zootechniques). L’idée de ce partenariat, baptisé “Futurospectre”, consistait à exploiter et valoriser les données spectrales issues de l’analyse du lait pour fournir de nouveaux indicateurs de gestion des animaux et des troupeaux dans un souci de durabilité des exploitations laitières. Sept ans plus tard, en ce printemps 2015, les mêmes acteurs célèbrent la formation d’Optimir, sorte de Futurospectre à l’échelle européenne. Ou du moins, à l’échelle de six pays du nord-ouest de l’Europe, mais non des moindres : l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, l’Irlande, le Luxembourg et la Belgique.
« À partir des informations brutes que renferme le spectre infrarouge, nous disposons dorénavant d’une véritable mine d’informations qui renseignent notamment sur la qualité du lait et l’état de santé de quelque 4,25 millions de vaches européennes dans 65 000 exploitations, s’enthousiasme Catherine Bastin, coordinatrice scientifique d’Optimir à Gembloux Agro-Bio Tech. Une des étapes fondamentales, menées sous le leadership wallon, a consisté à harmoniser les données spectrales de 25 laboratoires disséminés dans ces pays. Cette standardisation permet de comparer d’une façon très fiable les données issues, par exemple, de vaches allemandes et wallonnes (ndlr : la Flandre n’est pas présente dans Optimir). Le plus remarquable dans ce projet a été de parvenir à regrouper les forces de partenaires aussi variés que les chercheurs, les éleveurs et les laboratoires de contrôle du lait. Mais la recherche continue. Et, demain ou après-demain, nous disposerons d’indicateurs complémentaires permettant notamment de diagnostiquer des déficits énergétiques importants chez les animaux ou de mettre au point un monitoring de gestation. »

VachesUn engouement international

Ce qui est également en jeu via cette notion de durabilité, estiment les protagonistes de cette collaboration, n’est ni plus ni moins que l’amélioration du bien-être animal, la diminution des impacts de l’élevage sur l’environnement, l’amélioration de la qualité des produits, etc. Sans oublier l’amélioration du revenu des agriculteurs dans le contexte délicat de la suppression des quotas laitiers par les autorités européennes, mesure susceptible d’entraîner une plus grande volatilité du prix du lait.
Preuve du véritable tournant engagé par ce partenariat européen (cofinancé par la Région wallonne et Interreg IVb) : la présence de délégations américaine, canadienne, brésilienne, asiatiques (Chine et Japon) et néo-zélandaise lors d’un symposium international organisé en avril dernier à Namur, afin de présenter les avancées permises par le projet Optimir à la communauté scientifique concernée.

Philippe Lamotte
Photos : J.-L. Wertz et Philippe Lamotte
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