Juin 2015 /245

Les Grignoux, une entreprise culturele d’économie sociale

L'opinion de Jean-Marie Hermand

Hier, ma jeune collègue de bureau a eu 28 ans. C’est l’âge que j’avais quand j’ai été engagé aux Grignoux, après avoir enseigné l’économie et les maths ! Je faisais partie des six premiers travailleurs, avec quelques collègues qui le sont encore en 2015. Ma jeune collaboratrice est aujourd’hui l’une des 130 personnes qui font tourner les Grignoux, leurs cinémas et leurs brasseries.

Flash back
Liège, 1975. Des militants créent un lieu de rassemblement des activités associatives militantes et l’inaugurent le 1er mai : Les Grignoux. On ne fera pas ici l’inventaire des activités proposées depuis lors, mais, au regard de nos activités actuelles, la “Semaine de cinéma” organisée quatre ans plus tard au cinéma Le Parc prend une importance évidente.
À l’occasion de la fermeture de cette salle à l’époque, nous avions proposé à différentes associations de programmer un film de leur choix suivi d’un débat. Le public fut au rendez-vous, en nombre. Nous n’étions pas alors les professionnels de cinéma que nous sommes devenus. Par contre, cette première expérience fut très riche en enseignements de tous ordres. La force du grand écran, des sièges de cinéma confortables, la location des films, l’accueil du public, la promotion, la recherche d’oeuvres de qualité : toutes ces variables ont été déclinées et maximalisées à Liège.
Progressivement, avec la location du Parc (1982), sa rénovation complète (1986), la reprise et la transformation du café Le Parc (1990), celle du Churchill (1993) et l’ouverture du magnifique bâtiment du Sauvenière (2008), l’équipe s’est chaque fois agrandie pour accueillir aujourd’hui quelque 500 000 personnes par an.
“Équipe”, c’est, chez nous, le “moi” de beaucoup d’entreprises de toutes formes. En effet, peu de Liégeois (ou autres) peuvent remplacer “Grignoux” par un nom propre ! Et nous en sommes fiers, car c’est le reflet de notre construction pour arriver à une “entreprise culturelle d’économie sociale” (une appellation créée par un département de l’ULg). De plus, cette entreprise est autogérée. Seuls les travailleurs sont membres de l’assemblée générale, du conseil d’administration et du collège de direction. Et cela marche ainsi depuis 40 ans !
Ce mode de fonctionnement est clairement un engagement politique, avec une farouche dose d’indépendance (de tout pouvoir). Mais on ne s’y trompera pas : nous avons, grâce à la force de travail, revendiqué haut et fort d’émarger aux mécanismes de subsidiation mis en place par les pouvoirs publics. Après la très grande fréquentation de la seule salle du Parc, nous avons conçu une méthodologie de partenariat “public-privé non marchand” afin de réussir nos développements d’infrastructures, le Churchill et le Sauvenière. En clair, nous avons (beaucoup) investi dans des bâtiments publics, en revendiquant non pas la propriété, mais l’utilisation à long terme de l’outil que nous avions aidé à créer.
Pas de naïveté ici. Si cela a été possible à chaque fois, c’est grâce au soutien des Liégeois qui ont signé massivement des pétitions (en 2000, 47 500 signatures manuscrites furent remises par 5000 fans, en fanfare et éléphant, à l’hôtel de ville de Liège).
HermandJeanMarieLe montage du cinéma Sauvenière ? Les Grignoux ont introduit en 2000 une demande au Feder (subvention structurelle de l’Europe), qui a été acceptée. La Ville a acheté le terrain que nous convoitions grâce en partie à des moyens du Plan fédéral des grandes villes. Par bail emphytéotique, il fut confié à la Fédération Wallonie-Bruxelles qui y construisit cette magnifique réalisation. L’investissement des Grignoux fut de 3,5 millions d’euros (réalisé grâce à un emprunt). Depuis cela tourne très bien, merci ! Notre projet liégeois maximalisé, nous avons été désigné, par la ville de Namur – à l’unanimité du conseil communal – pour exploiter le cinéma Caméo, que la Ville réhabilite et dans lequel nous investissons plus d’un million d’euros en y créant 30 nouveaux emplois (ouverture prévue à la fin de l’année 2015). Innovation encore, due à nos jeunes collègues : Les Grignoux seront la première ASBL culturelle à émettre des obligations (100 euros, dix ans) afin de récolter auprès de son public les fonds nécessaires (soit une filière courte).
Personnellement, du haut de mes 65 ans, je suis fier de cette alternative nouvelle pour un vrai projet tourné totalement vers le public.

Jean-Marie Hermand
Licencié en sciences économiques de l’ULg (1976),
administrateur délégué des Grignoux,
www.grignoux.be

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