Juin 2015 /245

Le génie chimique

Des réacteurs “kleenex“ pour l’industrie

L’industrie pharmaceutique utilise de plus en plus de réacteurs à usage unique et donc “jetables” pour développer des cultures de cellules. Une transition qui ne se passe pas sans la consultation du monde académique. Dans cette dynamique, le laboratoire de génie chimique (LGC) de l’université de Liège met fréquemment à disposition ses outils et son expertise. Il vient de publier une caractérisation de l’hydrodynamique à l’intérieur de l’un de ces réacteurs. Une belle étude, entre la recherche fondamentale et les impératifs économiques de l’industrie.

De l’inox au plastique

ToyeDominiqueTraditionnellement, les cuves utilisées pour la culture cellulaire sont en inox, cylindriques et à fond bombé. Une forme qui permet de concilier deux impératifs pour une culture optimale. « Les cuves doivent être faciles à nettoyer et favoriser un mélange homogène, signale Dominique Toye, chargée de cours en faculté des Sciences appliquées. Ces réacteurs doivent rester stériles, pour éviter le développement de micro-organismes non désirés. Ensuite, le système doit être le plus homogène possible. Le fluide doit donc être mélangé à l’aide d’un mobile d’agitation. Ce mobile, qui tourne à la manière d’une hélice, doit être assez rapide afin que le liquide ait une vitesse suffisante pour un mélange dans toutes les zones de la cuve. » À la fin des années 90 cependant, des réacteurs à usage unique sont arrivés sur le marché et ont gagné progressivement du terrain face à l’inox. « Ils ont un avantage économique car l’exigence du milieu stérile rend le nettoyage des cuves coûteux, long et contraignant. Un réacteur jetable (“kleenex“) évite cette complication », reconnaît Dominique Toye.
C’est dans ce contexte que le LGC a été appelé par le géant pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK). L’équipe, emmenée par Marie-Laure Collignon et Sébastien Calvo, et sous la direction de Dominique Toye, devait caractériser l’hydrodynamisme à l’intérieur du Nucléo, un bioréacteur jetable à la forme parallélépipédique et à la pale d’agitation ressemblant à une pagaie (ou à une queue de castor, c’est selon), effectuant un mouvement elliptique. Une forme qui laissait GSK perplexe.

Vélocimétrie

« Le dispositif semble étrange, concède Dominique Toye, mais il a du sens. Quand il s’agit d’inox, mouler une cuve cylindrique dotée d’un fond bombé n’est pas difficile. Mais pour des réacteurs en plastique, il faut souder les membranes d’une certaine manière. Une forme rectangulaire est plus facile à fabriquer, et donc moins coûteuse. » La recherche devait vérifier si, pour un même déploiement énergétique, le réacteur assurait un mélange aussi homogène que les réacteurs cylindriques, et si le fluide ne stagnait dans aucune zone du réacteur. Pour caractériser ces vitesses d’écoulement et cette qualité du mélange, il a fallu aller voir à l’intérieur.
Les chercheurs ont utilisé une technique de vélocimétrie. « La vitesse, rappelle la chercheuse, c’est un déplacement divisé par un temps. Nous avons donc rempli le réacteur d’eau et de fines particules fluorescentes. Ensuite, nous avons utilisé un laser pour éclairer un plan de l’intérieur de la cuve à des intervalles de temps bien précis. À chaque pulse du laser, les particules fluorescentes situées dans le plan éclairé émettaient un rayonnement. Deux caméras placées en direction de la cuve nous permettaient de mesurer leur localisation à chaque instant et de calculer, entre deux pulses successifs, leurs déplacements, ainsi que leurs vitesses dans les trois directions de l’espace. En répétant l’expérience sur différents plans, nous pouvions mesurer la distribution de la vitesse dans toutes les zones de la cuve. »
Le résultat ? Pour une consommation d’électricité plus faible, les performances d’écoulement et de mélange sont similaires aux réacteurs classiques. Le système n’est donc pas iconoclaste et peut même se révéler avantageux. Mais l’étude, au-delà de son aspect particulier, illustre surtout la démarche hybride du LGC qui développe et utilise des techniques expérimentales avancées dans le cadre de recherches fondamentales et qui propose ensuite son expertise au secteur industriel.

Philippe Lecrenier
Sur le m�me sujet :
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants