September 2015 /246

Addiction à internet

Cerner le profil des utilisateurs dépendants

Une enquête impliquant 502 participants de 28 ans en moyenne a été menée dans le cadre du mémoire de Jonathan Burnay afin de déterminer les facteurs psychologiques influençant la dépendance à internet.

Accros à la caféine, à une friandise, à un programme télévisé, au footing, au bio, à son smartphone (c’est la première chose que l’on sauverait en cas d’incendie), etc., etc. : l’addiction est un terme désormais tellement galvaudé que l’on en oublierait la gravité de la réalité scientifique qu’il recouvre.

C’est pourquoi Jonathan Burnay, chercheur à l’unité de psychologie clinique cognitive et comportementale de l’ULg, rappelle en premier lieu que par “addiction” il faut entendre “usage problématique”.
Comme tel, l’addiction à internet peut être décrite comme « un trouble par lequel l’incapacité d’un individu à contrôler son utilisation d’internet provoque une détresse sévère et/ou une déficience fonctionnelle ». Par ailleurs, ce trouble crée alors des difficultés psychologiques, sociales et scolaires, voire professionnelles. Cette approche élimine d’emblée une croyance assez répandue qui tend à faire coïncider la situation d’addiction à internet au “temps passé” sur l’ordinateur. Un blogueur professionnel serait ainsi un “addict” alors qu’il s’agit de son outil de travail comme l’est la voiture pour le chauffeur de taxi. Il convient par conséquent de « rester prudent » avec l’emploi du terme “addiction”. Il n’empêche qu’avec le développement incessant des nouveaux supports mobiles de connexion, les probabilités d’adopter une utilisation problématique du web s’accroissent elles aussi.
Il faut souligner à ce propos que l’étude menée parJonathan Burnay appréhende l’outil internet dans sa globalité, toutes activités confondues (communication, recherche, jeux, achats en ligne, programmation). Chaque internaute peut donc être amené à s’interroger sur son degré de dépendance. Quand l’usage devient-il problématique ? « À partir du moment où cela pose un problème à la personne ou à son entourage », explique le chercheur. Une frontière difficile à déterminer car elle repose essentiellement sur un ressenti personnel.

Facteurs psychologiques en cause

Au-delà du constat de la dépendance, l’enquête visait à déterminer les facteurs psychologiques qui influencent cet état. Plus précisément, il s’agissait d’envisager l’addiction sous l’angle de facteurs identifiés tels que l’impulsivité, la passion et la “provision sociale”. Les résultats ont permis de mettre en évidence un modèle général nouveau qui cerne le profil des utilisateurs les plus susceptibles d’utiliser internet de manière problématique. Une première.
Jusqu’à présent, en effet, la tendance dominante avait été de considérer l’usage problématique duweb comme un trouble marqué par une grande impulsivité et des caractéristiques propres à la dépendance due aux stupéfiants. La mise au point d’un tel modèle permet d’apporter un éclairage beaucoup plus nuancé, moins restrictif, et par làmême très prometteur sur le plan clinique. Aprèsanalyse des résultats, il s’avère que l’addiction à latoile est expliquée en tout premier lieu par la passionobsessionnelle. Mais pas seulement. La dépressionest aussi un facteur très important qui conduit à abuser de l’ordinateur. Il est néanmoins difficilede discerner si, dans ce cas de figure, internet est lacause de la dépression ou si à l’inverse le réseau agit comme une échappatoire, un moyen de pallier la dépression. Le manque de persévérance et l’urgencesont encore des facteurs psychologiques étroitementliés à l’addiction à internet. Ces résultats amènerontsans nul doute des études ultérieures, car ils ne permettent d’expliquer que 36,6% des variancesdans les symptômes.
L’examen réalisé sur base des trois facteurs psychologiquescités plus haut reste néanmoins d’autant plus pointu qu’ils comportent chacun différentes facettes à considérer séparément. Ainsi, l’impulsivité relève à la fois du manque de persévérance et de l’urgence.Le manque de persévérance consiste à « avoir du mal à rester concentré sur une tâche ennuyeuse ou difficile », tandis que l’urgence se caractérise par « une tendance à réagir rapidement en situation émotionnelle ». Cependant, il peut y avoir plusieurs manières d’interpréter ces différentes facettes.

« Le manque de persévérance peut provenir du fait que la personne a du mal à contrôler les pensées qui lui viennent au sujet d’internet, et dans ce cas il s’agit d’un trouble primaire, ou bien la personne est tout simplement en train de communiquer via internet et des pensées intrusives viennent alimenter cette conversation. Dans ce cas, il s’agit d’un trouble secondaire », détaille Jonathan Burnay dont l’enquête a aussi laissé une large place au facteur “passion”, soit une forte inclination d’un individu pour une activité qu’il trouve importante, qui forge son identité et dans laquelle il investit à la fois du temps et de l’énergie.
Là encore, il faut prendre en compte deux types de passion : la passion “harmonieuse” et la passion “obsessionnelle ”. La passion est harmonieuse lorsqu’elle n’est pas aliénante, qu’elle a été librement acceptée comme importante et que, bien qu’occupant une grande place dans la vie de l’individu, elle n’interfère pas négativement sur les autres aspects de son existence. Au contraire, la passion devient obsessionnelle lorsqu’elle échappe à tout contrôle.

Thérapie plus ciblée

Sur le plan thérapeutique, ces résultats vont sans nul doute permettre de mener une action beaucoup plus ciblée sur les patients souffrant d’un usage problématique du réseau. En effet, des interventions spécifiques pourront être entreprises en cas de dépression ou d’impulsivité de façon à transformer la passion obsessionnelle en passion harmonieuse. « En aucun cas, il ne s’agit de couper la personne concernée d’internet. Mais il faut lui réapprendre à s’en servir de façon équilibrée », insiste Jonathan Burnay.

Ariane Luppens
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