September 2015 /246
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Julien Minet

Quelle agriculture pour le climat ? Quel climat pour l’agriculture ?

Première activité humaine en termes d’occupation du territoire, l’agriculture a un impact important sur les changements climatiques. Mais c’est probablement l’une des activités humaines qui sera le plus impactée par les changements futurs du climat. Dans cette relation à double sens (“Comment réduire l’impact de l’agriculture sur le climat ?” et “Comment adapter l’agriculture aux changements du climat ?”), la recherche scientifique étudie des pistes pour une agriculture qui émet moins de gaz à effet de serre et plus résiliente face aux climats à venir.
Des modèles de croissance des cultures sont utilisés pour simuler l’impact de climats jusqu’à maintenant inconnus sur les plantes, en particulier avec une concentration atmosphérique en CO2 plus élevée. Dans ce cadre, des chercheurs des trois sites de l’ULg participent à un réseau de chercheurs européens, FACCE-JPI*, pour notamment améliorer les modèles de croissance des cultures en fonction du climat.
Dans une étude de comparaison de modèles de croissance du blé en Europe à paraître dans Climate Research, celui de végétation liégeois “CARAIB” a d’ailleurs été celui le plus proche des observations parmi les 26 modèles impliqués ! Mais ces bons résultats n’empêchent pas que l’incertitude associée à ces exercices de simulation demeure élevée et qu’il est difficile de trancher si, oui ou non, les grandes cultures seront favorisées dans l’avenir. En Belgique, le climat du futur est encore incertain, mais il est très probable qu’il sera plus chaud. Au-delà de ces changements de moyenne, c’est bien la variabilité inter-annuelle des températures et des précipitations, ainsi que la répartition intra-annuelle des pluies, qui sera déterminante pour les activités agricoles. Ainsi, alors que les grandes cultures en Belgique pourraient bénéficier de l’effet fertilisant d’une atmosphère enrichie en CO2 et d’une saison de culture plus longue, des événements extrêmes plus fréquents (sécheresses, pluies intenses ou continues) pourraient fortement contrebalancer ces conditions qui sont plus favorables en moyenne. L’adaptation à des extrêmes climatiques demande des systèmes de cultures plus résilients, ce qui passe par une amélioration des fonctions tampon du sol, des adaptations techniques (cycle de culture, interventions) et aussi et surtout des variétés plus résistantes mais moins productives.
Manifestation visible du changement climatique, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur n’a pas seulement un impact sur les humains : elle en a aussi sur la santé et la production du bétail, laitier en particulier. En effet, au-delà d’une certaine combinaison de température et de taux d’humidité, la production laitière chute. Une étude à l’échelle européenne impliquant des chercheurs de Gembloux Agro-BioTech et d’Arlon a montré que, faute d’y être acclimatées, les vaches belges sont davantage sensibles aux vagues de chaleur et à des conditions moins chaudes que leurs congénères espagnoles. Dans le sud de la Wallonie, où l’élevage est la première activité agricole, l’impact des vagues de chaleur pourrait donc être très important pour le secteur, sans compter la diminution de la production des prairies et des fourrages lorsque la vague de chaleur est accompagnée d’un temps sec, comme ce fut le cas cet été 2015.
L’agriculture doit toujours s’adapter aux conditions bioclimatiques du territoire dans lequel elle s’inscrit, que ce soit en termes de choix des variétés et des espèces cultivées, du calendrier des cultures et des interventions, de la gestion des ressources en eaux et de la fertilité du sol, etc. Que ces conditions bioclimatiques changent et c’est tout le système qui doit évoluer. Or, en agriculture, des investissements technologiques considérables sont parfois nécessaires pour faire face à un changement peu marqué. Ainsi, une baisse de la pluviométrie durant la saison de culture pousserait les agriculteurs à irriguer leurs cultures, une pratique courante dans de nombreuses parties du monde mais peu développée chez nous. Cependant, les techniques d’irrigation nécessitent un investissement important en matériel et en infrastructure (forages, retenues d’eau, canaux), tandis que la capacité des ressources en eaux dans nos contrées pourrait ne pas être suffisante pour l’irrigation à large échelle.
Il est parfois possible de s’adapter en “copiant” les systèmes de production de climats actuellement plus chauds, par exemple en reproduisant en Belgique les pratiques agricoles du centre de la France. Cependant, le climat du futur pourrait être en de nombreux endroits du globe inédit, ce qui nécessitera d’inventer de nouvelles pratiques.
MinetJulienEn outre, la Belgique n’est pas un îlot agricole au sein du monde globalisé. Avec une agriculture de plus en plus soumise au marché suite à l’affaiblissement du soutien public, le contexte international a immanquablement une influence sur l’offre et la demande alimentaire mondiale et la disponibilité en intrants. Conséquence : si, à court terme, la Belgique agricole s’en tire plutôt bien dans un climat changé, la perte de production beaucoup plus probable dans d’autres parties du monde (Méditerranée, Amériques, Australie) risque d’accroître la pression sur nos terres ; elle pourrait pousser vers une agriculture productiviste avec des effets négatifs pour l’environnement local. Enfin, d’ici la fin du siècle, au-delà de changements de température supérieurs à 2°C ou 4°C, l’impact des extrêmes climatiques pourrait bien radicalement bouleverser les modes de production.

Julien Minet
(avec les membres du réseau FACCE -WB)
chercheur ULg, campus environnement à Arlon

* Plus d’informations sur le site www.facce.be

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