September 2015 /246

Ca mousse à bord

Expériences en vols paraboliques

Les produits anti-moussants, intégrés notamment dans les plaquettes de détergent pour lave-vaisselle, ne fonctionnent pas en impesanteur. Des chercheurs de l’ULg viennent d’en apporter la preuve grâce à des expériences en microgravité menées dans des vols paraboliques. Les scientifiques comprennent mieux pourquoi une mousse apparaît et disparaît. Celle de votre bière ou celle de votre baignoire, par exemple.

MousseHervé Caps, l’auteur principal de cette recherche, est un habitué des vols paraboliques. « J’ai une belle médaille quelque part dans un tiroir pour récompenser ma 600e parabole à bord de l’Airbus Zéro G », sourit le chercheur du Group for Research and Applications in Statistical Physics (GRASP). Au cours d’un vol parabolique, l’avion exécute une trentaine de figures (une brusque montée à 45 degrés suivie d’un plongeon) durant lesquelles tout ce qui est à l’intérieur de l’appareil est libéré de la pesanteur terrestre pendant 20 secondes. De précieux instants au cours desquels des dizaines de scientifiques s’affairent autour de leurs expériences, qui en physiologie humaine, qui en chimie, qui en agronomie, qui en physique, etc. Avec ses collègues du GRASP, Hervé Caps a encore réalisé plusieurs campagnes de mesures en 2014 pour étudier la formation, la stabilisation et la disparition de mousses en condition de microgravité. « Notre hypothèse, explique le chercheur, c’est que la gravité joue un rôle essentiel dans ce processus, notamment parce qu’elle favorise l’efficacité de particules anti-moussantes. » Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont imaginé une expérience à bord de l’Airbus Zéro G, qui consiste à créer de la mousse en microgravité et d’étudier son comportement au contact d’un agent anti-moussant.

Machine à bulles en impesanteur

Pour créer de la mousse, il faut deux éléments. D’abord, une source d’énergie capable de déformer le liquide et de permettre l’introduction d’air à l’intérieur.
Et ensuite, un agent qualifié de “surfactant”, capable de favoriser la formation de bulles, un film qui emprisonne une certaine quantité de gaz à l’intérieur. « Dans l’évier de la vaisselle, explique Hervé Caps, le surfactant, c’est le détergent ; et la source d’énergie, c’est la chute de l’eau du robinet, ou alors les mains qui s’agitent dans l’eau. »
Pour les besoins très spécifiques de l’expérience dans l’Airbus Zéro G, les chercheurs de l’ULg ont conçu un dispositif original afin de créer de la mousse et mesurer son évolution. « Une sorte de grosse seringue automatique, simplifie Hervé Caps, un récipient cylindrique dans lequel s’agite un piston. » Le mouvement de piston constitue la source d’énergie qui déforme le liquide, contenant un détergent et un anti-moussant très classiques, utilisés dans les pastilles pour lave-vaisselle. Une caméra très rapide, enregistrant 200 images par seconde, filme le liquide à l’intérieur du réservoir transparent, de manière à mesurer le volume de mousse produite dans chaque condition expérimentale, ainsi que sa stabilité, son temps de vie. En condition de gravité normale (lorsque l’avion vole droit), avec un anti-moussant, la mousse disparaît dix secondes après sa génération. Tandis qu’en microgravité (durant les paraboles exécutées par l’avion), la mousse résiste durant les 20 secondes de l’expérience. « C’est bien la preuve que les particules anti-moussantes perdent leur efficacité en l’absence de gravité », conclut Hervé Caps.

Comme une bière oubliée sur le comptoir

Comment expliquer le phénomène ? Une mousse, c’est un ensemble de bulles de gaz, les unes à côté des autres. Elle est composée d’environ 15 % de liquide, qui forment les enveloppes, et 85 % de gaz. Deux bulles voisines possèdent une “frontière” en commun ; elles sont soudées un peu comme des siamoises. En condition de gravité normale, cette matière liquide est attirée vers le bas et a tendance à s’affaisser, de sorte que le film s’amincit de plus en plus. En dessous de quatre nanomètres d’épaisseur, la paroi devient poreuse et permet un échange d’air entre les deux bulles : toujours de la plus petite vers la plus grosse, en raison de la différence de pression. Si bien qu’avec le temps, la mousse contient de moins en moins de bulles mais elles sont de plus en plus grosses. Elle apparaît de plus en plus clairsemée, comme au sommet d’une bière oubliée sur le comptoir, jusqu’à disparaître complètement. Quant au produit anti-moussant, il est constitué de petites particules qui flottent dans le liquide et qui sont donc aussi entraînées par la gravité vers le bas.

Mais en raison de leur plus grande densité, elles tombent plus vite que le reste du liquide, par sédimentation. Comme un caillou qui tombe dans l’eau. En tombant, la particule anti-moussante est attirée vers la paroi la plus proche ; elle finit par entrer en contact avec cette paroi et cela favorise l’éclatement de la bulle. Les particules anti-moussantes se redistribuent alors dans le reste du liquide et peuvent recommencer un cycle. « Ce recyclage des particules à chaque éclatement de bulle explique pourquoi les produits anti-moussants sont efficaces à très faible dose », conclut Hervé Caps.

Clément Violet
Photo : Denis Terwagne - GRASP-ULg
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