September 2015 /246

Gaëlle Kroonen

Les jalons d'une carrière

« Désolée pour la tenue, je viens à peine de rentrer du chantier ! » Dans la garde-robe professionnelle de Gaëlle Kroonen, point de jupes ou d’escarpins, mais du fonctionnel. Du genre jeans et bottines de sécurité, comme celles qu’elle porte ce jour-là. « Dans mon métier, il faut accepter de se salir les doigts, sourit-elle en montrant ses ongles légèrement noircis. C’est justement cela que j’adore dans ce boulot. À la fois (un peu) physique et intellectuel, sur le terrain et devant l’ordinateur. »

KroonenGabrielleBien que son diplôme, décroché à l’ULg en 2003, mentionne la géométrologie, ne l’appelez pas “Madame la géométrologue” : bien trop pompeux à son goût ! La jeune femme de 34 ans préfère le terme “géomètre”, tout simplement. « À 16 ans, j’hésitais entre les maths et… la boulangerie. J’avais pensé à devenir ingénieure, mais j’avais peur que ce soit un peu trop sérieux. Lorsque j’étais en rhéto, à Pâques, ma maman est revenue avec un formulaire sur les études de géomètre. Le programme mentionnait divers cours de géographie, de la cartographie, de l’aménagement du territoire, de l’architecture, du droit, un peu de pratique. J’ai été séduite par la diversité des cours et par la variété des débouchés. C’était un pur hasard. »

Mais un hasard heureux. Quelques semaines après la fin de son cursus, elle fut engagée chez Galère où elle avait été jobiste par l’entremise de son père, qui était de la maison. Elle s’apprête désormais à fêter ses 12 années dans la même boîte (« c’est devenu plutôt rare, les carrières rectilignes ! ») et fait partie de l’équipe de trois géomètres que compte l’entreprise liégeoise de construction. La seule femme, signe d’une profession encore très masculine. Sa première mission reste encore aujourd’hui l’une des plus marquantes : la réalisation d’un tronçon de TG V entre le village d’Elsaute (Thimister-Clermont) et la frontière allemande. « Un vrai travail d’équipe. Il y a eu 15 employés sur le site pendant trois ans. » Gaëlle Kroonen est depuis passée par beaucoup d’autres chantiers : quais de Meuse à Liège, Science Park du Sart-Tilman, requalification de Seraing, abords de la nouvelle tour des finances, contournement d’Andenne, grand-place de Nivelles, tunnel dans la roche à Dolhain, etc. « Ce que je retiens également, c’est le travail de week-end et de nuit, lorsqu’on doit respecter des délais serrés. On vit alors dans l’adrénaline, il y a une réelle entraide qui se met en place. » Gaëlle Kroonen n’aime pas l’admettre, mais le poids de la responsabilité pèse souvent sur ses épaules. Une erreur de calcul, de mesure, peut potentiellement mettre à mal un chantier et coûter beaucoup d’argent. « Je me suis trompée une fois, mais heureusement, cela n’a pas eu de conséquence. C’est un métier basé sur la confiance. Si je dis : “C’est là qu’on doit construire”, il faut être sûr de son coup, car après tout s’empile ! »

Si dans l’imaginaire de ses deux enfants, elle « plante des piquets et des clous », son job est un rien plus complexe que cela. Elle intervient à tous les stades d’un projet. En transposant sur le terrain les désiderata des clients grâce aux plans en trois dimensions, en calculant la position des futures implantations, en élaborant au final un plan as built qui compare la situation de départ à celle à l’arrivée. Le géomètre est aussi l’interface entre la théorie et la pratique, entre le client, les gestionnaires, les conducteurs de chantier et les ouvriers. Un travail de haute précision, où la marge d’erreur ne peut pas dépasser quelques centimètres, voire millimètres. « Quand on fait du fonçage – soit quand on fait passer des tuyaux d’un point A à un point B sans ouvrir la route, mais en traversant sous des bâtiments, sous une rivière, etc. –, il n’est pas question de dévier de sa trajectoire. »

Les évolutions technologiques permettent toujours plus d’exactitude. Quand Gaëlle Kroonen a débuté, le réseau GPS wallon (Walcors) en était aux balbutiements. Désormais, les drones ont fait leur apparition, tout comme la photogrammétrie, les engins de chantier au système de géolocalisation intégré, etc.

Si la technologie s’impose toujours un peu plus, le terrain reste majoritaire dans son emploi du temps. Pour le plus grand bonheur de la géomètre. « Je ne pourrais plus passer une journée entière devant un ordinateur ! J’aime travailler au grand air et parfois découvrir de jolis coins », glisse cette amatrice de course à pied et de badminton (quand elle a le temps). Elle apprécie par contre un peu moins les journées entières sous la pluie. Ce qui ne l’empêche pas de rester passionnée par sa profession. « Même après 12 ans. Chaque mission est un nouveau job. Puis, c’est quand même gai de pouvoir montrer à ses enfants les projets auxquels j’ai collaboré. C’est très concret. »

Mélanie Geelkens
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