October 2015 /247

Les deux pieds sur la passerelle

De la dynamique structurelle à la biomécanique corporelle

Il a un esprit mathématique, est curieux des effets de phénomènes naturels et des performances du corps humain, soucieux aussi d’internationaliser l’expertise de son Université : Vincent Denoël, originaire de Fayembois, est chargé de cours en ingénierie des structures de la faculté des Sciences appliquées (département Argenco).

DenoelVincentSa thèse (en 2005) est consacrée aux effets des actions aléatoires qui interviennent dans le comportement des structures du génie civil, comme le vent sur le viaduc de Millau en France par exemple. En juin dernier, l’International Association for Wind Engineering l’a honoré avec un Junior Award qui récompense une décennie de recherches sur les vibrations structurelles dues à l’action du vent.
Entretemps, Vincent Denoël s’est intéressé aux aspects d’excitation qui mettent dans un état de vibrations à hauts risques des structures telles que les passerelles, les plateformes de stades, etc. Il s’agit de les sécuriser jusqu’à ces cas de sollicitations extrêmes et volontaires. C’est un nouveau défi qui l’implique dans les problèmes de biomécanique, ainsi que dans l’analyse des efforts de sportifs, d’où sa participation à la mise sur pied en 2009 du laboratoire d’Analyse du mouvement humain, entité commune aux facultés des Sciences appliquées et de Médecine.

Le 15e jour du mois : Vous êtes devenu expert en sécurisation des passerelles…

Vincent Denoël : Mes activités de recherche se sont focalisées sur les vibrations générées par les piétons, le trafic, les machines-outils, les séismes, les tempêtes, etc. Ainsi, je touche à bien des aspects qui mettent des structures en vibration. Leur caractéristique est qu’aucune n’est prédictible, d’où la dénomination de “dynamique stochastique”. Vous ne pouvez pas prédire de façon déterministe (c’est-à-dire exacte, précise ou univoque) un tremblement de terre, l’intensité du vent à un moment donné ou même l’action de promeneurs sur une passerelle. Un piéton produit, à chaque pas, des fréquences de l’ordre de 2 Hertz pour la sollicitation verticale et de 1 Hertz pour la sollicitation horizontale. Pour des niveaux de sollicitation intenses, elle devient instable et risque de se soulever. Il importe dès lors de concevoir la structure de façon à ce qu’elle ne puisse pas être sollicitée aux valeurs des 2 et 1 Hertz.

Le 15e jour : Ce qui explique l’intérêt que vous portez aux aspects de biomécanique ?

V.D. : Il y a vraiment une interaction entre la sensibilité de la passerelle qui bouge et la réactivité du corps humain qui dépend du système sensoriel et de l’activation musculaire. La posture qu’on peut avoir et l’accélération du plancher d’une structure qui vibre se trouvent couplées : il est essentiel de bien comprendre comment se comporte ce duo “corps humain et passerelle”. Un de nos objectifs est de prévenir les actes de vandalisme, notamment sur les passerelles. Si on arrive à mieux comprendre et expliquer les effets de synchronisation, on aura des recommandations pour ceux qui doivent dimensionner des structures dans le futur. Pour éviter le problème de vibrations générées par les “vandales”, il est conseillé de monter dans les fréquences. Nos tests en laboratoire nous permettent d’entrevoir le développement d’un amortisseur spécifique qui empêche l’acte de vandalisme. Les compagnies d’assurances sont intéressées, vu qu’il faut anticiper le pire.

PasserelleLe 15e jour : Liège vient d’installer la passerelle de la Boverie. Votre avis a-t-il été sollicité ?

V.D. : Effectivement. À l’aide de mesures d’accélérations sur la passerelle, nous avons récemment validé les modèles de calcul du bureau d’ingénierie. Comme attendu, ces mesures confirment la nécessité d’installer des amortisseurs afin d’éviter que des oscillations ne remettent en question la sécurité lors du passage des piétons. Le bureau d’études Greisch, avec lequel nous collaborons, se charge de définir la solution optimale qui dissipe l’énergie dans la structure.

Le 15e jour : Dans quelle mesure pouvez-vous rentabiliser votre expertise universitaire ?

V.D. : Ce sont des produits de niche pour le génie civil qui se lance dans des constructions audacieuses, avec des édifices dans de nouveaux matériaux, les composites ou le verre particulièrement. Ce qui est commercialisable, c’est la matière grise qui permet avec un certain savoir-faire de se profiler comme expert.
Étudiants et doctorants sont très intéressés par cette discipline, la dynamique stochastique, en plein essor. Ils sont à l’écoute et la dimension internationale des travaux de recherche – collaborations avec l’université de Bologne, l’École polytechnique fédérale de Lausanne ou Minneapolis – conforte leur intérêt.

SI VOUS DEVIEZ CITER TROIS DÉCOUVERTES SCIENTIFIQUES

  1. La théorie de l’élasticité, à la fin de XIXe siècle, pour modéliser la déformation de corps solides.

  2. Les équations de Navier-Stokes sur la mécanique des fluides, dues à l’ingénieur français Henri Navier (1785-1836) et au physicien britannique George Stokes (1819-1903).

  3. La compréhension de la complexité du corps humain, notamment grâce à la chirurgie qui permet la transplantation d’organes.

 Passerelle

Propos recueilis par Théo Pirard
Photo de la passerelle : Greisch. Illustration : François Focant - 3e bac illu-ACA-Sup Liège
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