November 2015 /248
TypeArt

Serge Garcet

Comment mieux comprendre la radicalisation adolescente ?

Alors que la radicalisation fait l’objet de toutes les attentions médiatiques et politiques, la prise en compte de la variable individuelle dans l’explication du phénomène est assez limitée. De nombreux modèles explicatifs de la radicalisation négligent l’individu ou se limitent aux caractéristiques socio-démographiques personnelles (genre, niveau d’études, structure familiale, etc.). Plus rarement, ils envisagent des dimensions psychologiques ou comportementales comme la présence de troubles cliniques ou de comportements délinquants antérieurs. L’absence de profil-type du jeune radicalisé, obstacle important à la mise en oeuvre des politiques de prévention et de répression de la radicalisation, résulte de ce biais d’appréhension de la question. En effet, aucune place n’est laissée dans l’interprétation aux variables psychologiques intra-individuelles que sont les cognitions, les émotions, ni à l’expression comportementale qui en résulte.

Le rôle central de ces processus cognitifs et émotionnels est pourtant attesté pour ce qui concerne l’organisation du comportement humain dans le contexte d’interactions réciproques entre la personne, son comportement et son environnement. Chaque individu dispose de son propre système subjectif d’analyse de l’environnement qui lui permet d’adapter ses comportements, ses émotions, ses buts et ses valeurs aux situations rencontrées. Dans cette perspective, le jeune radicalisé doit être envisagé non pas comme un simple organisme réagissant à un environnement qui le modèle et le guide, mais comme un individu capable de poser des choix qui lui sont propres car sources de renforcements dans son système idiosyncrasique d’interprétation. Envisagée sous ce jour, et à l’instar de l’inscription dans une délinquance adolescente, avec laquelle elle partage de nombreux points communs, la radicalisation est, chez de nombreux jeunes, une composante de la démarche identitaire, le contenu religieux étant un élément du discours et de l’identité radicale revendiquée au même titre que d’autres signes d’appartenance. La radicalisation doit alors s’envisager comme une interaction entre un jeune habité par un mal-être existentiel et une idéologie structurée dans sa propagande et dans les moyens mis en oeuvre pour amener ce jeune à y adhérer. Au travers du filtre de ses processus cognitifs et émotionnels, l’adolescent donne sens à la propagande et s’approprie le discours radical en identifiant dans les contenus des caractéristiques qui renforcent ses propres attentes du moment. Il peut s’agir, par exemple, d’un besoin d’affirmation ou d’appartenance au travers d’une identité collective porteuse, de son point de vue, de caractéristiques positives le plus souvent en rupture avec un environnement familial, social, sociétal dans lequel il peine à trouver sa place.

Cette évolution psycho-affective et comportementale propre à la radicalisation dans le contexte de l’adolescence a été développée dans un modèle original* de “Transformation psycho-affective de la perspective de sens et de la définition de soi”. Ce modèle, tout en étant superposable à d’autres niveaux d’analyses, permet de rendre compte des particularismes de la transformation individuelle en cours.
GarcetSergeCe modèle envisage différentes phases, de fascination, de radicalisation et de participation terroriste qui se développent en même temps que l’accroissement de la pression du groupe radical au sein de l’interaction. Au cours de la première phase, deux stades témoignent du glissement d’un sentiment de sympathie pour la cause à l’orientation vers celle-ci. Il y a tout d’abord une légitimation du discours de frustration subjective et une mise en perspective de la violence au travers de mécanismes cognitifs de neutralisation morale. Ensuite viennent l’entame d’une démarche active de recherche d’informations et l’apparition de signes identitaires. La phase de radicalisation voit l’adolescent évoluer vers une adhésion identitaire marquée par la recherche de pairs, l’éloignement des référents traditionnels (famille, école, associatif, etc.) ainsi que par une polarisation accrue de la vision du monde. Toujours au sein de la phase de radicalisation, il développe dans un stade ultérieur un activisme identitaire de plus en plus à la marge des normes sociales et démocratiques avec des passages à l’acte mineurs, des provocations, des menaces, une facilitation des actions radicales du groupe (recel, repérage, etc.) et éventuellement des violences (par exemple en réponse aux renforcements attendus des leaders). Dès cette phase, le départ pour l’étranger est une possibilité. Enfin, l’esquive des mécanismes inhibiteurs, l’importante dissonance associée au désengagement conjugué à la pression du groupe peuvent conduire à la phase de participation terroriste.

Pour éviter d’en arriver là, ce modèle novateur, par l’emphase qu’il place sur la construction du sens chez le jeune et appuyé par un corpus bien étayé de connaissances, ouvre des perspectives méthodologiques qui sont de nature à faciliter la mise en oeuvre de politiques de prévention et de répression du radicalisme.

Serge Garcet
chargé de cours au département de criminologie,service de victimologie

* Ce modèle a été présenté lors de la journée d’étude “Radicalisation et criminalité”, organisée par divers enseignants du département de criminologie de la faculté de Droit, Science politique et Criminologie, le 18 septembre dernier, à l’université de Liège.

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants