November 2015 /248

Vincent Lemort

Spécialité liégeoise : gagner de l’énergie en misant ORC

Depuis dix ans, sous l’impulsion entre autres du Pr Vincent Lemort, qui dirige avec beaucoup d’enthousiasme le service des systèmes énergétiques au laboratoire de thermodynamique (faculté des Sciences appliquées), l’Université s’est mise à l’heure de la technologie de l’ORC. Comprenez “Organic Rankine Cycle” ou cycle de Rankine organique*. Ce vocable désigne une technologie remise au goût du jour qui mise sur l’exploitation de la chaleur, jusqu’à basse température, pour la production d’électricité.

LemortVincentLe thermodynamicien qu’est Vincent Lemort (33 ans) est un globe-trotter, qui a notamment séjourné à l’école des mines de Paris et à l’université de Tsinghua à Pékin et a établi des collaborations dans le monde, avec le dessein de développer des machines ORC de petites puissances (de 1 à 50 kWe), compactes, fiables et performantes. Le séjour qui l’a le plus marqué durant son doctorat est son passage, durant la première moitié de 2007, à l’université de Purdue, dans l’État de l’Indiana. Il s’en est suivi des échanges fructueux avec cette université américaine sur les défis de la thermodynamique dans la maîtrise de machines frigorifiques, pompes à chaleur, ORC et autres machines thermiques. Aujourd’hui, grâce à cette expertise, l’université de Liège passe pour une référence internationale dans le développement de la technologie du cycle de Rankine organique. Dans sa quête de tout ce qui produit de l’énergie, elle coopère avec des groupes industriels et avec des institutions universitaires en France, Allemagne, Italie, au Canada, Danemark, en Chine, aux États-Unis et Pays-Bas.

Le 15e jour du mois : En quoi le nouveau cycle ORC est-il en train de révolutionner notre société qui a toujours plus besoin d’énergie ?

Vincent Lemort : Le cycle de Rankine est bien connu, puisqu’il est mis en oeuvre, depuis la révolution industrielle, pour produire de la puissance mécanique. Aujourd’hui encore, il est exploité dans nos centrales thermiques par de la grosse machinerie pour produire de l’électricité. Notre objectif est de développer des machines à cycle de Rankine performantes qui utilisent non plus l’eau comme fluide moteur, mais un fluide organique comme un réfrigérant, permettant de la sorte de fonctionner à une basse température. Avec de tels fluides, on sera en mesure de valoriser des sources de chaleur entre 100 et 300 degrés Celsius, approximativement, pour produire de l’électricité.

Notre originalité est de travailler sur des systèmes de petite puissance. La machine ORC, qui s’inspire alors de ce qui se fait dans une pompe à chaleur, combine évaporateur, turbine (dont la technologie peut s’apparenter à celle du compresseur de la pompe à chaleur), condenseur et pompe. Sa beauté est d’être un moteur à combustion externe : tant que vous lui apportez de la chaleur à la bonne température, il peut fonctionner indépendamment de la manière dont est produite cette chaleur. Cela peut être de la géothermie, de la biomasse, des rejets de chaleur en industrie, de la chaleur générée par des concentrateurs solaires, des gaz d’échappement, hors des moteurs de voitures, camions, bateaux, engins de chantier, etc. Une vaste quantité d’applications, qui tirent parti des rejets de chaleur, est d’ores et déjà envisageable sur l’ensemble du globe.

Le 15e jour : Vous travaillez donc sur une innovation prometteuse à long terme. Dans quel domaine aura-t-elle dans l’immédiat un grand impact ?

V. L. : Il y a un grand éventail de procédés industriels qui rejettent de la chaleur à des températures très basses et sur lesquels on peut placer un ORC pour produire de l’électricité. Dans les années à venir, il faut s’attendre à une forte croissance pour la technologie ORC, grâce à une réduction graduelle du coût et à de meilleures performances énergétiques. C’est déjà un business en expansion qui fait naître de nombreuses entreprises chaque année. La technologie intéresse beaucoup le secteur automobile, notamment l’industrie des camions. Il s’agit ni plus ni moins d’accroître l’efficacité de tout moteur thermique, en augmentant son rendement de quelques points. La faisabilité technique et la rentabilité économique d’un ORC intégré dans un poids lourd ont été démontrées, notamment au laboratoire de thermodynamique. En récupérant une partie de la chaleur du refroidissement du moteur et des gaz d’échappement, il produit de la puissance mécanique pour l’injecter dans les roues du véhicule. D’autre part, on peut coupler l’ORC à une génératrice électrique pour subvenir aux besoins électriques du poids lourd.

Mon équipe de thermodynamiciens vient de contribuer au projet NoWaste du 7e programme-cadre de la Commission européenne. Aux côtés – entre autres – des constructeurs Fiat et Volvo, elle a étudié la récupération et la réutilisation de chaleur des moteurs diesel sur les camions longs routiers. Leur industrie se trouve en première ligne, car il est encore difficile, vu l’encombrement, d’installer un dispositif ORC à bord des automobiles. Ce ne sera pas impossible dans l’avenir. On a déjà affaire à un marché très important : 2,3 millions de camions de plus de 15 tonnes seront produits en 2020. Par ailleurs, l’Europe a fixé comme objectif de réduire de 20% des émissions de gaz à effet de serre (principalement le CO2) en 2020. Il est question d’une réduction de 80% de ces émissions à l’horizon 2050 et de 60% pour le seul secteur des transports. Pour y arriver, on mise sur une démocratisation de l’ORC.

Le 15e jour : Pour une démonstration ORC sur le terrain, vous êtes l’initiateur avec vos étudiants d’une micro-centrale solaire installée près du rond-point Simone David-Constant. Quelle est son originalité ?

V. L. : Cette micro-centrale solaire met en oeuvre des collecteurs solaires thermiques, lesquels sont combinés à un module ORC. L’installation expérimentale, qui est en construction pour une inauguration au printemps prochain, est réalisée par et pour les étudiants dans le cadre de leur formation en électromécanique. Elle est constituée de collecteurs cylindro-paraboliques qui concentrent le rayonnement solaire sur un tube où circule de l’huile. Celle-ci, en étant chauffée jusqu’à 150 degrés, permet d’alimenter un système ORC pour la production d’électricité. C’est un banc didactique qui a par ailleurs une dimension de recherche internationale, puisque sa réalisation a impliqué des chercheurs du Massachussetts Institute of Technology (MIT). Le projet pédagogique répond beaucoup à l’intérêt des étudiants pour la problématique très actuelle des ressources en énergie. Cette recherche, comme beaucoup d’autres au laboratoire de thermodynamique, présente également un caractère très transversal : elle jette des ponts avec d’autres équipes de chercheurs qui sont confrontés aux problèmes de production d’électricité, de gestion d’un réseau électrique et d’utilisation rationnelle de l’énergie dans les bâtiments et l’industrie. Nous formons une nouvelle génération d’énergéticiens en les sensibilisant à la valorisation de toutes les formes d’énergie et à la gestion énergétique à différentes échelles : le composant (par exemple, l’ORC et la pompe à chaleur), le bâtiment, le quartier et la ville.

* Rankine (William John Macquorn), du nom de l’ingénieur et physicien écossais (1820-1872) qui est considéré comme l’un des pionniers de la thermodynamique, au temps de la première révolution industrielle, marquée par l’essor des machines à vapeur.

Théo Pirard
Photo : J.-L. Wertz
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