November 2015 /248

Nouveaux matériaux

Greenmat perfectionne les microstructures

À l’ULg, le laboratoire Greenmat promeut l’économie circulaire et traque le gaspillage énergétique en travaillant à l’élaboration de nouveaux matériaux fonctionnels à haute valeur ajoutée sous forme de poudres ou de films.

A chaque époque ses “nouveaux matériaux”. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les composites puis les nanomatériaux ont fait une apparition remarquée et contribué à des avancées spectaculaires, tant dans l’industrie spatiale et aéronautique qu’automobile, ainsi que dans le domaine de l’électronique, de l’informatique et même de la santé. La miniaturisation des composants, fulgurante, a envahi notre quotidien et révolutionné la production des panneaux solaires photovoltaïques ou des batteries de téléphone portable, pour ne citer que deux exemples.

L’essor – et le succès – de ces nouvelles technologies a cependant un revers : la consommation d’énergie est devenue extravagante dans les pays occidentaux. Les gouvernements en sont maintenant convaincus et les instances européennes aussi, lesquelles invitent les scientifiques à concevoir les matériaux nécessaires à des dispositifs peu énergivores qui trouveront – le plus vite possible – place dans notre vie de tous les jours.

Mais au fait, qu’est-ce qu’un matériau ? « C’est un solide dont les propriétés dépendent de la composition chimique et de la disposition des atomes selon une structure plus ou moins ordonnée, explique le Pr Rudi Cloots, du département de chimie en faculté de Sciences et directeur du Greenmat*. Les principaux matériaux “structuraux“, tels que le verre ordinaire ou les céramiques, sont connus depuis belle lurette. Aujourd’hui, on s’intéresse beaucoup plus aux matériaux “fonctionnels” dont les propriétés électriques, magnétiques ou optiques particulières peuvent répondre à des stimuli chimiques, physiques, voire biologiques. L’imagination n’a dès lors plus de limite : on pourrait, demain, porter des textiles électrochromes, dont on pourrait contrôler électriquement la couleur. Et ce n’est qu’un exemple… »

À l’ULg, le laboratoire Greenmat a fait des matériaux pour l’énergie, l’environnement et la santé, trois de ses axes de recherche prioritaires. Qu’ils soient sous forme de poudres ou de “films“ (des revêtements minces sur des supports de verre ou d’acier, entre autres), les matériaux qu’il a développés sont fabriqués par des techniques permettant un contrôle de leur microstructure, un aspect essentiel pour qui veut obtenir les meilleures performances.

Énergie : optimisation et innovation

Dans le domaine de l’énergie, les matériaux fonctionnels “à microstructure contrôlée” ont clairement le vent en poupe. « L’objectif est d’améliorer les performances des composants, tant pour la production que pour le stockage de l’énergie, ou encore pour la modulation de la consommation d’énergie », expose le Pr Rudi Cloots.

Stocker l’énergie est certainement le défi le plus urgent à relever à l’heure actuelle. Les batteries à base de lithium – présentes dans les appareils portables tels que les smartphones, par exemple – doivent être améliorées sur plusieurs points : durée de vie, puissance, rapidité de charge, etc. Parmi les défis, on peut citer la conception de batteries plus performantes encore pour les voitures électriques ou capables de stocker l’électricité produite par des panneaux photovoltaïques à l’échelle domestique, mais aussi industrielle. « Des alternatives au lithium sont aussi activement étudiées, poursuit Frédéric Boschini, chef de projet au Greenmat, car même si l’aspect recyclage est désormais bien pris en compte, il ne faut pas sous-estimer la demande insatiable en objets mobiles, qui doivent être autonomes d’un point de vue énergétique. »

Les matériaux aidant à réguler la consommation d’énergie sont aussi un thème de recherche du laboratoire. « Rendre les vitrages électrochromes par exemple, c’est pouvoir modifier à volonté la transmission de la lumière et du rayonnement infrarouge au travers des vitres afin d’aider à réguler la température d’une habitation. Cette technologie est maîtrisée, mais son coût est encore très élevé. Notre laboratoire essaye de trouver des solutions pour la rendre plus accessible et encore plus performante. Ces technologies de pointe dans le domaine de la construction basse énergie seront incontournables pour respecter les prescriptions européennes à l’horizon 2020 », détaille Pierre Colson, gestionnaire de projet.

Le même souci anime les chercheurs qui travaillent dans le domaine de la production d’énergie et cherchent à trouver une alternative moins coûteuse aux panneaux photovoltaïques actuels, pour une performance et une durée de vie comparables. « Un panneau photovoltaïque ressemble à un millefeuilles : plusieurs couches le composent et forment un assemblage sophistiqué qui rend possible la transformation de l’énergie solaire en électricité », explique Audrey Schrijnemakers, chercheuse post-doc. Demain, le matériau de base pourrait être flexible et offrir un meilleur rendement. La modulation de la capture de la lumière pour améliorer les performances électriques est d’ailleurs au centre de l’action de recherche concertée “ELSSOL” menée conjointement par Greenmat (pour la partie chimie) et le centre spatial CSL (pour la partie optique). Last but not least, le laboratoire s’intéresse aussi à des matériaux permettant la photo-électrolyse de l’eau, autrement dit la production écologique d’hydrogène, un carburant plébiscité par l’Union européenne. « Là aussi, le contrôle de la microstructure du matériau est absolument essentiel. Par ailleurs, la photo-électrolyse est un bon exemple de l’interconnexion qui existe entre les différents aspects de la gestion de l’énergie, ici entre la production d’hydrogène par photo-électrolyse, et le développement de matériaux performants pour le stockage de cet hydrogène », observe Catherine Henrist, chef de travaux.

Environnement : réduire la pollution

Minimiser notre consommation d’énergie, c’est aussi réutiliser les objets et récupérer les métaux qu’ils contiennent ; c’est également veiller à réduire la pollution dès leur fabrication. Le secteur de la construction est désormais particulièrement soucieux de valoriser ses déchets et d’utiliser les matériaux recyclés.

Partenaire du projet “SolarCycle”, le Greenmat participe à l’élaboration d’un système de recyclage applicable à tous les panneaux photovoltaïques à base de silicium. Le but étant de les collecter, de les recycler et de valoriser les matières utiles (voire précieuses) à hauteur de 80%. « Il faut séparer toutes les composantes du panneau (verre, cellules photovoltaïques, connexions électriques, polymères, métaux) et, pour cela, mettre au point des méthodes de dégradation des colles et plastiques afin de permettre le recyclage du silicium pur, lequel représente près d’un kg par panneau », note Audrey Schrijnemakers, motivée par ce défi qui en vaut manifestement la chandelle ! De nouveaux projets de valorisation du silicium viennent d’ailleurs de démarrer.

Dans la même thématique environnementale, un autre projet concerne les métaux lourds dans les sols pollués. « Nous avons l’ambition d’intégrer de façon pérenne et sûre les métaux polluants dans un matériau de construction, annonce Frédéric Boschini. Nous développons un procédé pour rendre inertes (et donc inoffensifs) les métaux lourds présents dans les sols pollués (les friches sidérurgiques, par exemple), en les fixant dans des sous-produits utilisables dans la construction de routes, de chapes, etc. »

Santé : améliorer les poudres

Enfin, le secteur de la santé n’est pas en reste. Accroître la dose délivrée lors de l’administration d’un médicament par inhalation de poudre sèche (inhalateur pour soigner l’asthme, par exemple), étudier les interactions entre les différents composants d’un mélange complexe de poudres pour garantir sa stabilité dans le temps ou encore donner une morphologie spécifique à des poudres thérapeutiques pour faciliter leur utilisation et améliorer leur action, tout cela fait partie des défis relevés par le Greenmat, en collaboration avec des partenaires académiques et l’industrie pharmaceutique. La chimie est décidément pleine de ressources…

* L’équipe de Greenmat (Groupe de recherche en énergie et environnement à partir des matériaux), dirigée par le Pr Rudi Cloots, compte environ 25 chercheurs dont quelques-uns ont participé à cette interview : Frédéric Boschini, chef de projet ; Pierre Colson, gestionnaire de projet ; Catherine Henrist, chef de travaux ; Audrey Schrijnemakers, chercheuse post-doc.

Patricia Janssens
Photos : Images au microscope électronique de matériaux inorganiques à structure contrôlée pour des applications dans les domaines de l’énergie, de l’environnement ou de la santé - © Greenmat
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