Janvier 2016 /250

Homme de la terre

Don d’archives

DeCorte-MotteLes héritiers de Marcel De Corte, qui enseigna la philosophie à l’ULg de 1935 à 1975, ont légué à notre Institution ses archives et sa correspondance. Le Pr honoraire André Motte en a établi l’inventaire détaillé. Rencontre.

Le 15e jour du mois : Pourquoi s’occuper des archives de feu le Pr Marcel De Corte ?

André Motte : Ce que j’ai décidé de faire m’a été inspiré par la reconnaissance et l’estime que j’avais pour lui. C’est lui qui m’a enseigné la philosophie à l’Université et il a dirigé aussi mon mémoire de licence sur Platon. J’ai commencé à enseigner le grec et le latin à l’athénée de Hannut, établissement où lui-même avait été professeur de langues anciennes de 1928 à 1930, puis il m’a appelé pour devenir son assistant à l’université de Liège. Il était paternel avec nous, ce qui me convenait bien, car j’avais perdu mon père à 15 ans. Nommé professeur ordinaire début janvier 1940 dans notre Alma mater, il y enseigna la philosophie jusqu’à son admission à l’éméritat en 1975.

Le 15e jour : Marcel De Corte traîne une réputation d’homme de droite, et même de “compagnon de route” de l’extrême droite. Qu’en pensez-vous ?

A.M. : Je pense qu’il aurait refusé l’étiquette d’“extrême droite”. « Les extrémistes, m’a-t-il dit plusieurs fois, je les renvoie dos à dos. » Comme penseur, en effet, il ne voulait appartenir à personne, et il se présentait volontiers comme un “franc-tireur” ; il a de fait souvent rué dans les brancards. Cela dit, il aimait prendre la posture d’« homme de la terre », comme il disait, ou de « vieux païen » (le latin pagani d’où vient ce mot désignait les gens des campagnes). Son jugement sur les mœurs contemporaines, qui avaient beaucoup pâti selon lui de l’exode vers les villes, était très critique. Sur le plan politique, il ne cachait pas son admiration pour un Salazar, pour un Maurras aussi mais je précise qu’il n’était pas antisémite. Royaliste convaincu, il était sévère pour notre démocratie, devenue à son estime une particratie, et il était farouchement anticommuniste. Mais, en fidèle arpenteur de la Grèce antique, il ne rejetait pas la démocratie qu’elle avait inventée, parce que là, le petit nombre de citoyens concernés rendait possible leur participation effective à la politique. Il fut d’ailleurs favorable aussi à la ligne politique de la droite chrétienne belge : dans l’immédiat après-guerre, il a été un des rédacteurs du manifeste du Parti social chrétien et un éditorialiste de La Libre Belgique. Bref, essayer de cataloguer Marcel De Corte appellerait bien des nuances. Si vous me demandez mon propre jugement, je vous dirai bien franchement qu’en matière politique, j’avais une autre sensibilité que lui et que certaines de ses prises de position m’ont paru par trop unilatérales.

Le 15e jour : Ses archives portent-elles la trace de son activité diversifiée ?

MotteAndreA.M. : Bien sûr. Il faut savoir, en effet, que Marcel De Corte a été, tout au long de sa vie, collaborateur de plusieurs revues et journaux, de langue française en majorité. Qu’il a donné des centaines de conférences, dans quantité de pays. Qu’il a entretenu des relations épistolaires avec de grands philosophes de son temps : avec Emmanuel Mounier, créateur de la revue Esprit, de qui il fut un moment assez proche ; avec Jacques Maritain également, mais une brouille les a séparés en 1939 ; avec Gabriel Marcel en outre, auquel il est le premier à avoir consacré un ouvrage ; avec Gustave Thibon, enfin, dont il a reçu pas moins de 288 lettres. Et avec bien d’autres. Tout cela illustre l’extraordinaire rayonnement que lui a valu son activité inlassable de penseur, d’écrivain, d’enseignant, de journaliste et de conférencier, en Belgique et en France principalement, et plus largement au-delà. Polygraphe à sa façon, il s’est même occupé d’économie et de questions sociales, non en tant que syndicaliste (on s’en doute...), mais comme corporatiste.

Le 15e jour : Comment avez-vous procédé pour mettre de l’ordre dans l’amas d’archives et de correspondance qui vous a été remis ?

A.M. : J’ai reçu une quinzaine de caisses d’archives et une malle de correspondance. Tout était en désordre, même si – en ce qui concerne les lettres – Mme De Corte avait pris soin d’entreposer régulièrement une partie du courrier de son mari dans des boîtes cartonnées et de l’y ranger selon l’ordre alphabétique des expéditeurs. J’ai dû commencer par reclasser tout cela, après avoir fait l’inventaire de tout ce que j’ai vu. Donc, ma première tâche a été de choisir une manière d’ordonnancement : c’est l’ordre thématique et non chronologique qui a été retenu. Ce travail s’est étalé sur une dizaine d’années, pas à temps plein évidemment. Le résultat est à la hauteur, je pense, des efforts fournis puisque tous les manuscrits de Marcel De Corte sont maintenant disponibles dans des caisses cartonnées, filon dans lequel les chercheurs peuvent dorénavant puiser au Service général des archives de l’université de Liège*. La correspondance y comprend plus de 4000 lettres. Quant à la vingtaine de livres qu’il a écrits, ainsi qu’au millier d’articles qu’il a rédigés, ils sont consultables à l’UD. C’est peu dire que les héritiers du professeur de philosophie que fut leur père sont reconnaissants du travail de bénédictin que j’ai mené...


* Place du 20-Août 7, 4000 Liège.
Contacts : courriel mehenneau@ulg.ac.be.
La consultation est soumise à une autorisation écrite des héritiers, représentés par Étienne De Corte, rue Albert Bodson 13, 6280 Gerpinnes, tél. 071.50.93.04, courriel edcede@skynet.be

* le texte du Pr André Motte sur www.culture.ulg.ac.be/decorte

Propos recueillis par Henri Deleersnijder
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