January 2016 /250

Contrôle des frontières

Le Pr honoraire Francis Balace et le Pr Patrick Wautelet donnent leur avis sur la question.

L’afflux d’immigrés aux portes de l’Europe inquiète. De nombreux États membres souhaitent renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’Union, pointant du doigt la gestion calamiteuse de la Grèce à cet égard. Le système de Schengen a-t-il atteint ses limites ? Le Pr honoraire Francis Balace, du département d’histoire, et le Pr Patrick Wautelet, du département de droit, donnent leur avis sur la question.

Le 15e jour du mois : En Europe, on pensait que les frontières faisaient partie de l’histoire ancienne.

BalaceFrancisFrancis Balace : Le problème, c’est Schengen ! Ce projet d’abolition des frontières est né en 1985 dans les “vieux” pays d’Europe, soit la France, l’Allemagne et le Benelux (on parle de “l’accord de Schengen” du nom d’un village luxembourgeois). Faciliter la circulation dans cet espace ne concernait alors que quelques millions de personnes. La mise en application de cet accord fut signée le 26 mars 1995 et le Traité d’Amsterdam, en 1997, l’institutionnalise.

C’était sans compter la chute du mur de Berlin en 1989 et la dislocation de la Yougoslavie en 1992. L’Union européenne comprend maintenant 28 États qui – à l’exception notable de la Grande-Bretagne et de l’Irlande – ont signé la convention de Schengen, ratifiée également par l’Islande, le Lichtenstein, la Norvège et la Suisse (hors UE).

L’idée généreuse de permettre aux habitants (des cinq pays fondateurs) d’évoluer en Europe sans contrôle aux frontières peut-elle encore s’appliquer dans l’Europe actuelle ? D’autant que frappent maintenant à la porte de la convention, le sud de l’île de Chypre, la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie. Le gros problème, à mon sens, c’est que l’ouverture des frontières avec les “pays de l’Est” a été réalisée avant d’unifier le droit du travail et les politiques sociales des États membres.

Le 15e jour du mois : Ce qui explique le recul actuel de la part de plusieurs gouvernements ?

Fr.B. : En 2007, le Traité de Lisbonne attribua à la convention Schengen une dimension “morale” : elle devient un “espace de liberté, de sécurité et de justice”. C’est d’ailleurs à ce moment que les coopérations policière et judiciaire sont renforcées. Ce même traité prône une politique commune d’asile et d’immigration. Ce qui, de facto, fait relever la politique d’asile de l’Union européenne alors qu’elle était auparavant une prérogative régalienne. Une décision qui alimente et exacerbe les critiques souverainistes.

C’était aussi sans compter le “printemps arabe” et l’afflux massif d’immigrés traversant la Méditerranée. Frontex – dont le siège est à Varsovie – est l’organisme chargé depuis 2004 de contrôler les frontières extérieures de l’Union européenne. Mais chaque État peut rétablir – pendant six mois – un contrôle interne à ses frontières en cas “d’atteinte grave à l’ordre public et la sécurité nationale” et en cas de manquement d’un pays à cette obligation... Face à l’afflux massif des réfugiés venant du Maghreb et d’Afrique noire, face à l’arrivée des victimes des zones de combat en Syrie, en Libye ou en Afghanistan, les gouvernements redoutent de voir se multiplier des campements de non-droit comme celui de Calais qui cause bien des soucis au gouvernement français. Une crainte exacerbée par les derniers attentats, et qui favorise les mesures sécuritaires dans les aéroports et dans les gares notamment. Le printemps arabe sonnera-t-il l’automne de Schengen ?

Le 15e jour du mois : L’Europe sans frontières, était-ce une belle idée ?

WautheletPatrickPatrick Wautelet : La Convention de Schengen est une excellente construction : c’est elle qui a mis fin aux contrôles des frontières à l’intérieur de l’Europe. Les jeunes se souviennent à peine des longues files d’attente à la douane allemande ou française, mais il est évident que cette mesure a considérablement facilité la circulation des personnes et des marchandises.

Par contre, en créant ce nouvel espace commun, l’Union européenne ne s’est pas assez préoccupée des frontières “externes” : elle a laissé ce soin aux États membres – Espagne, Italie, Grèce principalement –, lesquels préféraient également assurer ce contrôle sans avoir à rendre de comptes. Mais la pression exercée par l’afflux d’immigrants modifie les choses en révélant soudainement que les frontières grecques sont aussi celles de l’Allemagne, de l’Autriche et de tous les pays de l’Union ! Or, la situation économique de la Grèce ne lui permet pas de garantir l’étanchéité de ses nombreuses frontières. Ce qui explique que, depuis six mois, on assiste en Hongrie, en Autriche et en Slovénie, à un rétablissement des contrôles face à l’afflux de Syriens et d’Irakiens notamment, réfugiés qui ont débarqué en terre hellénique...

Le 15e jour : Rétablir toutes les frontières paraît-il envisageable ?

P.W. : À mon sens, c’est de la science-fiction ! Nous avons bien trop à perdre pour imaginer un tel scénario. La population européenne vit à présent sur un grand territoire, avec une même monnaie. Ce sera difficile de faire machine arrière. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, prône d’ailleurs la temporisation, car restaurer les contrôles de douanes signifierait aussi une perte de temps pour les entreprises, pour les touristes, etc. Cela modifierait notre nouveau mode de vie. Qui le souhaite ?

Ceci dit, l’UE a pris conscience qu’il faut mieux protéger son territoire. Il faut, parmi les personnes qui désirent venir en Europe, déterminer celles qui auront droit à l’asile ou à la protection subsidiaire. Ce sont deux choses différentes : si le droit à l’asile politique est accordé à toute personne persécutée à titre individuel dans son pays, la protection subsidiaire est octroyée aux personnes qui fuient un conflit armé et à qui l’UE délivre un permis de séjour valable un an (et renouvelable). Des contrôles efficaces sont dès lors nécessaires et l’UE vient de décider de renforcer l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres (Frontex) et d’aider financièrement la Grèce pour mettre en place des contrôles renforcés.

Politiquement, l’affaire est délicate : les pays membres doivent d’une part s’entendre pour donner de l’argent à un partenaire défaillant afin qu’il renforce la sécurité commune et, d’autre part, s’accorder sur la répartition des réfugiés en Europe.

Manifestement, les migrations et le terrorisme nous obligent à repenser nos politiques d’asile et à préciser les conditions d’octroi.


Propos recueillis par Patricia Janssens
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