February 2016 /251

L’économie circulaire, une utopie ?

Séduisante, l'économie circulaire a ses limites

“Boucler la boucle”, “éco-design”, “craddle to craddle”… L’économie circulaire a le vent en poupe. L’idée de réutiliser les matières premières à l’infini est séduisante mais a ses limites. Explications avec le cas particulier des “Déchets d’équipement électriques et électroniques”(DEEE).

Les DEEE reprennent, parmi d’autres, les appareils électroménagers, les équipements informatiques et de télécommunication, les outils électriques. Ces déchets renferment de nombreux matériaux tels que le cuivre, l’acier, l’aluminium, les métaux précieux, les plastiques, le verre, etc. Ils constituent une véritable “mine urbaine” qui peut être exploitée, au même titre que son homologue conventionnel, pour récupérer les matières premières valorisables. En Belgique, les taux de recyclage atteints en 2014 ont oscillé entre 87 et 97% selon le type de DEEE, ces valeurs étant bien supérieures aux objectifs légaux imposés par l’Europe.

Derrière ces chiffres rassurants se cachent pourtant les défis du recyclage et les limites de l’économie circulaire. En effet, si les taux de recyclage de ces DEEE paraissent importants, il faut noter que tous les matériaux qui le constituent ne sont pas récupérés. Ainsi, si les métaux ferreux, l’aluminium, le cuivre ou les métaux précieux sont récupérés avec une relative efficacité, d’autres métaux sont oubliés du processus. C’est par exemple le cas des métaux dits de “haute technologie”, utilisés dans les équipements high tech et les énergies vertes : le gallium dans les LED, l’indium dans les écrans plats, le tantale dans les condensateurs, les terres rares dans les aimants permanents des éoliennes, des véhicules hybrides ou des appareils électroniques.

L’économie circulaire est donc encore loin d’être une réalité. Quelles sont ses limites ?

Premièrement, l’accès au gisement urbain, c’est-à-dire la collecte des déchets électroniques. En effet, si pour une mine traditionnelle le gisement est délimité et fixe, pour la “mine urbaine”, il doit être localisé et capté. Or, en Europe, seulement 40% des DEEE produits sont collectés. En Belgique, il s’agit des appareils déposés dans les parcs à conteneurs ou chez les vendeurs d’appareils électriques et électroniques. Pour ceux qui échappent au système de collecte, le recyclage n’est pas garanti.

Ensuite, la complexité du design des appareils conduit au non-recyclage de certains matériaux. Les biens de consommation sont fabriqués pour satisfaire les besoins technologiques des consommateurs, de quoi être esthétiques, pratiques, parfois moins énergivores, mais ils ne sont pas du tout pensés pour être recyclés. Ils sont complexes, composés d’une multitude de métaux souvent non compatibles d’un point de vue métallurgique : le recyclage d’un matériau ne peut se faire dès lors qu’au détriment d’un autre, lequel sera perdu lors du processus. C’est le cas de l’aluminium et de l’acier qui sont perdus lors de la récupération de l’or et du cuivre pendant le recyclage des GSM.

De plus, l’économie circulaire sous-entend que les matières premières recyclées peuvent être réutilisées pour la fabrication de biens de consommation identiques. Or, en réalité, les matériaux recyclés n’ont pas toujours une qualité suffisante pour re-manufacturer le produit originel. C’est ce qu’on appelle le downcycling, c’est-à-dire que les matériaux récupérés sont utilisés dans des applications qui peuvent se contenter d’une qualité moindre. La valorisation énergétique, c’est-à-dire l’utilisation de la matière organique comme énergie de substitution, en est une forme. Les plastiques sont un bon exemple de downcycling, car ils sont particulièrement difficiles à séparer et donc à recycler.

LambertFannyEnfin, on ne peut parler de recyclage sans mentionner le mot “économie”. Le recyclage reste dicté par le marché mondial des matières premières et est donc lié à la production primaire conventionnelle (la mine). Même si elle est en partie subventionné, la récupération de tous les matériaux n’est pas techniquement faisable ni économiquement rentable. Le faible coût des matières premières, et en particulier des métaux, est un frein au recyclage. Les métaux high tech par exemple sont présents en trop faibles quantités et associés à un prix trop bas pour rendre leur récupération économiquement viable.

Mais si l’économie circulaire présente de telles limites, elle nous ouvre malgré tout la perspective d’un monde plus responsable et plus respectueux. Surtout, elle offre de nombreux défis pour la recherche, la formation et l’innovation. En d’autres mots, l’économie circulaire apparaît à l’heure actuelle comme une utopie que nous, professionnels de la question, tâchons de rendre chaque jour un peu plus tangible.

Fanny Lambert
doctorante FRIA,Gemme (génie minéral, matériaux et environnement)

vidéo sur www.ulg.tv/fannylambert

Campus Plein Sud, du 1er au 30 mars

Le 3 mars à 20h, Fanny Lambert, dans le cadre de Campus Plein Sud, donnera une conférence-débat sur le “Recyclage des déchets électroniques : impacts pour les pays du Sud”, au complexe Opéra, place de la République française 41, 4000 Liège.

Campus Plein Sud est un projet de sensibilisation et d’éducation au développement qui se déroule au sein de différents établissements d’enseignement supérieur en Belgique francophone. L’objectif de la campagne est double : informer sur les réalités complexes du Sud et des interdépendances Nord-Sud, afin de pouvoir construire une société plus solidaire et tisser des liens plus étroits entre universités, hautes écoles, partenaires et autres acteurs de la solidarité Nord-Sud. Le thème retenu cette année est celui de l’économie sociale et solidaire au Nord et au Sud. Plusieurs activités sont prévues à l’ULg.

Informations sur
www.universud.ulg.ac.be/campus-plein-sud-2016/
et
https://www.facebook.com/events/588652114622412/

Photos : ULg - Michel Houet
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