Avril 2016 /253

Entre 4 yeux

Rencontre avec François Gemenne et Caroline Zickgraf.

En 2014, plus de 19 millions de personnes ont dû quitter leurs terres du fait des catastrophes naturelles et nous savons déjà que des populations entières seront touchées, demain, par la montée du niveau des mers. Face à cela, il est temps de réagir.
Rencontre avec François Gemenne, chercheur qualifié FNRS à l’ULg et à Sciences Po Paris, à l’occasion de la sortie de l’Atlas des migrations environnementales, et avec Caroline Zickgraf, chargée de recherches au FNRS-Cedem à l’ULg.

Le 15e jour du mois : Le phénomène migratoire a toujours été. Y a-t-il un élément neuf au XXIe siècle ?

GemenneFrancoisFrançois Gemenne : La migration est en effet une réalité de longue date. Cependant, aux multiples causes qui expliquent ces mouvements de masse, y compris les dégradations de l’environnement, il faut ajouter à présent le changement climatique. À l’évidence, celui-ci ne concerne pas uniquement l’environnement : il a des répercussions graves et violentes sur les humains. Parfois, la catastrophe naturelle explique à elle seule les mouvements de population : ouragans, inondations, etc. Mais beaucoup de motifs économiques, ou politiques, trouvent aussi leurs racines dans les dégradations de l’environnement : une sécheresse entraînera de mauvaises récoltes, lesquelles provoqueront un exode rural… À l’avenir, il sera de plus en plus difficile de séparer les motifs de migration les uns des autres.

Le 15e jour : Face aux dangers climatiques, vous dites que la réponse des gouvernements est politique.

Fr.G. : Les flux migratoires de demain dépendront largement des réponses politiques qui sont formulées aujourd’hui. Par exemple, dans le scénario (quasi certain) d’une hausse du niveau de la mer d’un mètre en 2100, le Vietnam perdra 25 000 km2, soit 10% de sa superficie. Que faire ? Le gouvernement a déjà choisi, à ce propos, de déplacer les populations du delta du Mékong : des villages entiers sont transportés sur les collines. D’autres pays font de même et déplacent parfois des minorités ethniques dans un environnement totalement étranger : derrière les préoccupations environnementales, cherchez les visées politiques. Dans le nord de la Chine, en Mongolie intérieure, le gouvernement déplace des populations nomades mongoles pour les intégrer dans la population Han et tuer aussi dans l’œuf toute ambition autonomiste. L’environnement peut être un alibi pour des enjeux politiques.
C’est d’ailleurs ce que l’Atlas met en exergue. En plus des cartes sur les effets du changement climatique, la multi-causalité de la migration, l’urbanisation croissante ou les stratégies d’adaptation individuelles, l’ouvrage envisage aussi la gouvernance de ces questions et les réponses politiques. À l’ULg, une équipe de huit chercheurs travaillent déjà sur la thématique.

Dina Ionesco, Daria Mokhnacheva, François Gemenne, Atlas des migrations environnementales, Presses de Sciences Po, Paris, mars 2016.

Le 15e jour du mois : Dans le phénomène migratoire, vous vous intéressez à ceux qui restent ?

ZickgrafCarolineCaroline Zickgraf : Effectivement. Mon projet financé par le FNRS s’intitule “IMMOBILity and the Environment”. À côté des personnes qui quittent leur région, il y a celles qui n’ont pas la possibilité de partir ou qui ne veulent pas abandonner leur terre. Qui sont les gens qui restent ? Quels sont les impacts de la migration sur eux ? Si on veut bien comprendre la mobilité liée à l’environnement, il faut saisir aussi l’immobilité. Le projet qui continuera au Vietnam et au Japon commence à Saint-Louis, au Sénégal, parce que la région de l’Afrique de l’Ouest est l’une des plus mobiles au monde et que Saint-Louis est très affecté par les dégradations environnementales.

Le 15e jour : Les pêcheurs sont au cœur du problème ?

C.Z. : L’activité de la pêche, qui fait vivre des milliers de familles sénégalaises, est affectée par le changement climatique. La hausse des températures de l’eau et du niveau des mers, les modifications de la salinité des océans, etc., toutes ces modifications notables ont une répercussion sur la biodiversité et l’abondance des poissons. À Saint-Louis, la pêche artisanale est l’activité économique la plus importante. Mais en raison de la raréfaction des poissons – due aussi à la “surpêche” perpétrée par des bateaux étrangers – de plus en plus de jeunes hommes sont contraints, pour exercer leur métier, de s’exiler en Mauritanie, mieux pourvue en infrastructures multiples et pour la commercialisation des produits. Ils quittent alors – pendant plusieurs mois parfois – leurs parents, femmes et enfants, à qui ils envoient de quoi vivre. Ces transferts d’argent permettent aux familles les plus aisées d’emménager dans des quartiers éloignés de la mer, dont plus sécurisés. Malgré les conditions de vie pénibles en Mauritanie, les hommes acceptent ce sacrifice afin de mettre leur famille à l’abri du besoin.

Le 15e jour : À nouveau tous ne partent pas…

C.Z. : Beaucoup sont très attachés à leur terre et n’envisagent pas de changer leur mode de vie. Par ailleurs. Depuis la crise économique de 2008, les départs vers les Canaries, porte de l’Europe via l’Espagne, ont diminué sensiblement. Ce qui accentue la pression sur la mer et les migrations vers les destinations internes et internationales en l’Afrique de l’Ouest…

Twitter : @CarlyZickgraf


Propos recueillis par Patricia Janssens
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