April 2016 /253

Philippe Boxho

Sur l’importance des analyses génétiques.

En juillet dernier, le ministre de la Justice Koen Geens présentait trois projets d’arrêté royal qui furent approuvés par le conseil des ministres. Leur objectif ? Réduire considérablement les frais de justice. L’un des textes concerne le coût des “tests ADN” réalisés par les laboratoires accrédités. Parmi eux, le laboratoire d’identification génétique de l’Institut médico-légal de l’ULg. Rencontre avec son directeur, le Pr Philippe Boxho, du département des sciences de la Santé publique.

Le 15e jour du mois : Le laboratoire d’identification génétique de l’ULg a 20 ans…

BoxhoPhilippePhilippe Boxho : Effectivement. Ce laboratoire a été créé en 1996 par le Dr Angelo Abati qui avait suivi une formation à Strasbourg. Ses activités ont connu un essor fulgurant. De plus en plus souvent en effet, les magistrats requièrent des analyses scientifiques pour élucider des affaires criminelles, des agressions sexuelles ou encore pour réaliser l’identification de victimes. L’indice le plus banal – un cheveu, un ongle, une goutte de sang – peut se révéler décisif dans une enquête, car il contient une empreinte génétique qui caractérise indubitablement un individu. En 2003, le laboratoire d’identification génétique a obtenu le label ISO 17025 et, depuis 2007, il réalise près de 4000 analyses d’ADN chaque année, à la demande des magistrats.

Le 15e jour : Mais ces analyses ont un coût pour le contribuable…

Ph.B. : Inévitablement, ces tests ont un coût non négligeable pour le budget du ministère de la Justice. Non seulement il faut du personnel pour réaliser ces analyses dans les délais impartis par les requéreurs, mais il faut encore acheter de nombreux produits et appareils spécifiques très onéreux. Chaque année, notre laboratoire dépense ainsi 300 000 euros pour acquérir ce matériel indispensable.

Le ministère a d’emblée imposé un barème de remboursement, lequel a déjà été réduit de 20% en 2007 par Laurette Onkelinx, alors ministre de la Justice. Malgré cela, en raison du grand nombre de demandes, l’activité du laboratoire est restée bénéficiaire. Cinq personnes ont été recrutées et l’équipe s’est déployée au 2e étage du bâtiment de l’Institut médico-légal. La décision de Koen Geens de réduire de 41% les subventions de ces analyses à partir du 1er décembre 2015 met évidemment en péril l’équilibre financier du laboratoire et, plus largement, celui de l’Institut médico-légal. Mais ce n’est pas à l’Université de prendre en charge les analyses ADN réclamées par la Justice…

Le 15e jour : Le ministre prétend que les analyses effectuées en Allemagne sont moins onéreuses. Que répondez-vous à cet argument ?

Ph.B. : Il a raison : les tests réalisés en France, aux Pays-Bas ou en Allemagne coûtent moins cher parce que les laboratoires sont sollicités davantage, ce qui réduit le coût “à la pièce”. Ce critère est essentiel mais, que voulez-vous, la population wallonne est à peine équivalente à celle de Paris… À l’heure actuelle, en Wallonie, toutes les analyses ADN requises sont effectuées à Liège. Le laboratoire Bio.be de Gosselies a dû mettre la clef sous la porte en raison des décisions du Ministre. Il existe encore un laboratoire à Bruxelles et plusieurs laboratoires en Flandre qui essayent de rester debout.

J’ai fait part de ces difficultés aux autorités de l’Université, bien sûr. D’autant que le ministre de la Justice envisage de confier aux magistrats une “enveloppe budgétaire” fixe par an. À eux de gérer ce budget, à eux de se débrouiller pour les expertises. Et l’objectif du ministre est de diminuer encore les frais de 20%. Or la Wallonie, contrairement à la Flandre, a déjà réduit ses demandes. C’est donc une catastrophe annoncée pour l’activité judiciaire en Wallonie. Et si notre laboratoire disparaît, les magistrats n’auront d’autres choix que de s’adresser au laboratoire de l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC), seul laboratoire restant qui est accrédité pour réaliser des expertises en français puis, lorsque le Ministre aura rédigé un texte légal en ce sens, à d’autres laboratoires, sans doute allemands suite à un appel d’offres.

La réflexion sur la Justice est toujours biaisée par des arguments économiques. Alors que les amendes diverses (et variées) rapportent une somme rondelette au budget de l’État, le secteur de la Justice est systématiquement défavorisé. J’ai d’ailleurs posé une question au cabinet du Ministre : en France, les écoutes téléphoniques sont réalisées gratuitement par les opérateurs ; en Belgique, le montant de la facture atteint 15 millions d’euros chaque année. Pourquoi ? Je n’ai pas encore reçu de réponse…

Le 15e jour : Avez-vous fait des propositions ?

Ph.B. : Dans l’urgence, nous avons décidé de maximiser l’utilisation des produits. Cela allongera inévitablement les délais pour certaines affaires, mais ce sera plus économique.

À moyen terme, la création d’une plateforme technique ADN au niveau belge devrait être envisageable. Cela signifierait qu’un expert resterait attaché à chaque Institut médico-légal universitaire mais que les analyses seraient réalisées dans un seul laboratoire, de quoi faire des “économies d’échelle”.

Le 15e jour : Quelles sont les autres missions de l’Institut médico-légal ?

Ph.B. : L’Institut est une structure universitaire qui collabore avec la Justice et est donc au service des citoyens. Il a été mis en place par le Pr Moreau de la faculté de Médecine en 1970, à une époque où les analyses ADN n’étaient pas encore d’actualité. Etant donné la nécessaire rapidité d’intervention, une garde médico-légale est assurée 24 heures sur 24 durant toute l’année.

Sa première mission relève de la thanatologie, soit l’examen des personnes décédées de mort violente (ou de mort suspecte). Et l’on entend par “mort violente” tout décès dû à l’intervention d’un agent extérieur, soit une corde, un sédatif ou un individu. En 2015, nous avons réalisé 615 expertises à la demande du Parquet des provinces de Liège (y compris Eupen) et du Luxembourg : 13% de ces expertises ont donné lieu à des autopsies. Les autres cas relèvent de la “médecine d’expertise” ou “médecine légale clinique” sollicitée lors de constats de viols, de coups, d’accidents, etc. En octobre 2015, j’ai créé le “Service universitaire liégeois d’expertise médicale” afin de rendre plus visible cette activité.

L’activité thanatologique étant par essence toujours déficitaire, c’est le laboratoire d’identification génétique qui équilibrait le budget de l’Institut. S’il ferme ses portes, il pourrait entraîner aussi l’Institut médico-légal de l’ULg. Dans ce cas, il n’y aurait plus de médecine légale universitaire ni en province de Liège ni en province de Luxembourg.

Voir la vidéo sur www.ulg.tv/laboADN

Propos recueillis par Patricia Janssens (4 avril)
Photos : J.-L. Wertz
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