Avril 2016 /253

De la sécurité sociale

La notion de santé est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît au premier regard. Si elle s’impose par son apparente évidence, elle renvoie en fait chacun d’entre nous à des représentations toujours liées à l’expérience que nous avons du bien-être, de la souffrance et de la finitude. Cette perception individuelle que nous avons de la santé s’inscrit dans une expérience collective : l’idée de santé est profondément culturelle, sujette à la variabilité du temps, des lieux, des croyances, de l’organisation sociale.

La question de la santé est donc une question éminemment politique. En Europe, l’hygiène publique s’est déployée au XIXe siècle dans le contexte de la naissance d’un prolétariat industriel sur lequel il était impératif d’exercer un contrôle social, moral et politique. L’hydre tricéphale des maladies sociales – syphilis, tuberculose, alcoolisme – était une machine idéologique qui entraînait l’acculturation progressive du prolétariat aux valeurs de la bourgeoisie.

Les définitions de la santé sont irréductiblement liées au contexte sociétal dans lequel elles s’expriment. Ainsi, au cours du XXe siècle, avec le développement des sciences médicales et de l’individualisme contemporain, l’idée de la santé est associée, de manière tout aussi idéologique, à un état individuel caractérisé par la “non-maladie”. En 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’OMS propose une nouvelle définition, qui fait valoir une vision plus globale : “La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”. En 1986, la première Conférence internationale pour la promotion de la santé, réunie à Ottawa, adopte une “Charte” en vue de contribuer à l’objectif de “la Santé pour tous en l’an 2000”.

La santé est depuis lors appréhendée comme “une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie ; c’est un concept positif mettant l’accent sur les ressources sociales et personnelles, et sur les capacités physiques”. La bonne santé devient “une ressource majeure pour le développement social, économique et individuel et une importante dimension de la qualité de vie. Divers facteurs – politiques, économiques, sociaux, culturels, environnementaux, comportementaux et biologiques – peuvent tous la favoriser ou, au contraire, lui porter atteinte”. La promotion de la santé a précisément pour but de créer, grâce à un effort de sensibilisation à tous les déterminants non-médicaux, les conditions favorables indispensables à l’épanouissement de la santé de tous.

BenrubiMiguelleOn le voit, le modèle défendu actuellement envisage la santé comme le lieu où s’articulent idéalement les dimensions de l’individuel et du collectif.

Soigner, c’est penser dans la multiplicité de ces dimensions qui, toutes ensemble, contribuent à l’amélioration de la santé. Il ne devrait dès lors jamais être question de juger ni d’imposer – ce qui est contre-productif, on le sait –, mais bien d’accompagner le vouloir de chacun à maîtriser et à améliorer sa santé. Cette nouvelle éthique du soin est aux antipodes de l’idéologie moralisatrice et contrôlante développée au XIXe siècle.

Toute proposition de santé publique qui aujourd’hui, au nom de la responsabilité individuelle, en revient à ces motifs de la culpabilité et de l’efficience sociale constitue un dangereux retour en arrière et menace les acquis sociaux et culturels que je viens d’évoquer ici à grands traits.

Ainsi est-il indispensable de réfléchir, par exemple, aux propositions qui sont faites de ne pas rembourser un traitement efficace contre la fibrose pulmonaire à un patient fumeur.

Miguelle Benrubi
médecin généraliste (1985) dans une association de soins intégrés à Liège

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