May 2016 /254

La fusée Soyouz a lancé OUFTI-1 dans l’espace

Le nano-satellite a quitté la Terre

CubeSats6 avril, 1h50 : Liège a son bébé-lune ! OUFTI-1 (Orbital Utility for Telecommunication Innovation) a survécu à l’épreuve de son lancement, comme on a pu très tôt le diagnostiquer en captant au sol de parfaits “bip-bips” de code morse. OUFTI-1 est un nano-satellite de type Cubesat, de 10 cm de côté et de 1 kg, qui tient dans la main. Enfermé au fond d’un long boîtier de déploiement, il se trouvait à bord du lanceur russe Soyouz1 vol VS14, qui a décollé le 25 avril, à 23h02 (heure de Liège), depuis son pas de tir du Centre spatial guyanais (CSG). Il fut le dernier du trio de Cubesats étudiants éjectés sur orbite entre 465 et 665 km. Il a fallu patienter deux heures et 48 minutes de manœuvres compliquées – pendant deux tours de Terre – pour que les trois satellites soient propulsés hors du dispositif d’éjection. Chacun prenait alors son autonomie en déployant ses antennes.

Photo : Vue d'artiste des 3 cubesats largués par Soyouz
© ESA

EN ORBITE POUR 15 ANS

Cet envol s’est fait attendre. Il a fallu s’y prendre à quatre reprises. Les deux premières tentatives – prévues d’abord le 22, puis le 23 avril – ont dû être reportées à cause d’une météo rendue capricieuse par des vents forts en haute altitude. La troisième a été arrêtée par une anomalie technique qui a nécessité le remplacement de la centrale inertielle du lanceur. Le quatrième essai fut le bon : Soyouz s’élançant dans le ciel de Guyane, illuminé par les rayons généreux du soleil couchant.

Après 24 minutes de vol était déposé, à quelque 686 km, le satellite d’observation radar Sentinel-1B. Cet observateur “tous temps” de 2164 kg a rejoint son frère jumeau, le Sentinel-1A en service depuis octobre 2014. Le duo, complété par les Sentinel-2 et -3 équipés de senseurs optiques, est destiné au système Copernicus2 de la Commission européenne. Le Centre spatial de Liège (CSL) de l’ULg a contribué aux algorithmes de construction d’images radars à ouverture synthétique des Sentinel-1. Le satellite Microscope de 303 kg conçu par le Centre national d’études spatiales (CNES) fut le dernier déployé, 1 heure 29 minutes après OUFTI-1, lequel se trouve maintenant sur orbite… pour environ 15 ans.

À Kourou, la délégation liégeoise conduite par le recteur Albert Corhay – les Prs Jacques Verly (Institut Montefiore), Gaëtan Kerschen (département d’aérospatiale et mécanique) et Valéry Broun (HEPL-Isil), les chercheurs Xavier Werner et Sébastien de Dijcker (Institut Montefiore) – et invitée par Arianespace a pu visiter les installations du port spatial européen.

OuftiL’idée du nano-satellite est née, en septembre 2007, d’une conversation entre le Pr Jacques Verly et Luc Halbach, tous deux radio-amateurs. Leur but était de construire un Cubesat utile pour les radiocommunications amateurs numériques D-STAR. Le Pr Gaetan Kerschen s’est joint rapidement à ce projet conçu comme une formidable opportunité pédagogique ; depuis 2004, Liège Espace, groupement de réflexion des acteurs du spatial liégeois, préconisait de construire un petit satellite étudiant, avec le projet Leodium (Lancement en orbite de démonstrations innovantes d’une université multidisciplinaire). En 2013, le nouveau programme éducatif “Fly your Satellite!” (FYS) de l’Agence spatiale européenne (ESA) intégrait la réalisation du nano-satellite OUFTI, à la suite d’un concours européen… Un intérêt qui provoqua l’essor d’une mode Cubesat en Belgique, dans laquelle la Wallonie, singulièrement, a un rôle à jouer.

STRATÉGIE UNIVERSITAIRE

L’ULg, pour le Pr Éric Haubruge, premier vice-recteur, est appelée à jouer un rôle primordial dans l’innovation technologique par le biais de très petits satellites au service des besoins de la société. Il définit les contours de la stratégie universitaire en parfaite synergie avec les acteurs industriels du Pôle Skywin de Wallonie : « Nous menons une réflexion au niveau de nos Facultés afin d’identifier une ligne productrice qui part de la donnée à acquérir et à traiter jusqu’au concept de nano-satellite à développer et à exploiter. Cette démarche doit permettre de nous positionner comme centre d’excellence pour l’espace. » Et de préciser : « Construire des satellites sans savoir à quoi ils peuvent servir, c’est un risque industriel inacceptable. Mieux vaut partir de la donnée avec les multiples services qu’elle peut rendre en agriculture, cartographie, cadastre, sécurité, protection de l’environnement, lutte contre les pollutions, océanographie… » De quoi amorcer, sans tarder, l’après OUFTI-1.


1 Soyouz est un modèle amélioré de la fusée Semyorka qui fut conçu dans les années 50 et qui permit la mise sur orbite du premier Spoutnik, le 4 octobre 1957. Il est produit à Samara, en Russie, au rythme d’un exemplaire par mois. Il s’agissait, le 25 avril, du lancement du 1859e Soyouz, mais le 14e depuis le port spatial de l’Europe. Le suivant devait inaugurer, le 28 avril, le nouveau cosmodrome russe de Vostochny.

2 Copernicus et Galileo sont deux programmes-phares que l’Union européenne met à la disposition du monde entier. Le premier, avec une vingtaine de satellites prévus jusqu’en 2030, est un système opérationnel de surveillance globale pour l’environnement et la sécurité. Le second, en déployant une trentaine de satellites civils de navigation dès 2020, offrira des services de géo-localisation plus performants que ceux du GPS américain.

Immatriculations d'OUFTI-1

Le nano-satellite liégeois, enregistré comme objet spatial de la Belgique, a reçu les immatriculations suivantes :
- 2016-25D pour sa numérotation internationale COSPAR
- 41460 dans le catalogue militaire américain NORAD



L’ULg et le domaine spatial

KourouSur place, le recteur Albert Corhay – par ailleurs président du conseil d’administration du CSL – a pu se rendre compte de l’ampleur des moyens de lancement que les Européens mettent en œuvre afin d’être en première ligne pour l’accès à l’espace. En outre, le Recteur a pu aborder des possibilités de coopération interuniversitaire lors d’une rencontre avec Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France (de mai 2012 à mars 2014) ainsi qu’avec le Recteur de l’université de Guyane à Cayenne.

Photo : De gauche à droite : le recteur Albert Corhay, le Pr Jacques Verly, Xavier Werner, Valéry Broun, Sébastien de Dijcker, le Pr Gaëtan Kerschen et Théo Pirard à l’avant-plan, dans la salle Jupiter

Le 15e jour du mois : Vous avez tenu à vivre les préparatifs de l’envol d’OUFTI-1…

Albert Corhay : C’est une manière d’affirmer mon soutien à l’équipe qui a permis de réaliser le nano-satellite liégeois et qui a ainsi réussi à se hisser au plus haut niveau de la technologie spatiale. Concevoir et développer un satellite de très petite taille, mais de grande complexité, constitue un savoir-faire que peu d’universités détiennent. La ville de Liège, son Université et ses Hautes Écoles, est bien active dans le domaine spatial.

Le 15e jour : OUFTI-1 est-il un bon investissement ?

A.C. : L’Université a investi de l’argent à côté d’organismes institutionnels comme Belspo et l’ESA, lesquels ont soutenu le projet dès le début. Je peux vous dire que c’est un excellent investissement en termes de recherche et de notoriété au niveau international, ce qui a des répercussions positives sur notre enseignement. Ainsi, nous organisons en langue anglaise les masters à orientation “espace” de nos facultés des Sciences et des Sciences appliquées. Demain, nous espérons élargir le public de ces masters, avec plus d’étudiants venant d’Europe et du monde entier. Mais, alors même que je suis économiste et spécialiste financier, je suis incapable d’établir le coût détaillé d’OUFTI-1. Il est particulièrement difficile de chiffrer les bonnes volontés qui y ont contribué, sans compter les heures consacrées à ce projet depuis huit ans et demi. On n’a établi aucun plan d’affaires. Pour la suite, on ne devrait néanmoins pas y échapper.

Le 15e jour : Vous envisagez déjà un OUFTI-2 ?

A.C. : Une réflexion est en cours à la Région wallonne. Il y a une décision importante à prendre pour faire fructifier le savoir-faire acquis avec OUFTI-1. L’idée d’une mission d’applications transversales fait son chemin. On projette de tirer parti du potentiel de plusieurs de nos Facultés aux côtés des acteurs de l'industrie spatiale wallonne.

Page réalisée par Théo Pirard
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