May 2016 /254

Les “Panama Papers“

L’opinion de Jean-Pierre Bours, chargé de cours honoraire ULg et HEC.

Il y a quelque temps, un quotidien allemand recevait d’un informateur anonyme 11,5 millions de documents issus des ordinateurs d’un cabinet d’avocats panaméen. De leur examen, mené conjointement avec un consortium de journalistes, il s’avère que sont en cause 214 000 sociétés-écrans, 21 paradis fiscaux, 128 responsables politiques, des sportifs, des artistes, des maffiosi. Cette affaire multiplie les questions.

D’abord, quelles peuvent avoir été les infractions commises en l’espèce ?

  1. Une bonne partie des fonds déposés proviennent d’infractions diverses, relevant de la haute criminalité (corruption, traite d’êtres humains, etc.) ou de la banale fraude fiscale.
  2. Le dépôt de ces fonds “sales” sur un compte est à son tour constitutif d’une infraction de “blanchiment”.
  3. L’on ne peut constituer une société dite “écran”, où les actionnaires et administrateurs réels se cachent derrière des “hommes de paille”, sans se rendre coupables d’un faux en écriture.
  4. La quatrième infraction est, évidemment, fiscale : outre que les capitaux apportés n’ont en principe pas été imposés – alors qu’ils eussent sans doute dû l’être –, les revenus ultérieurement produits ne le sont pas non plus.

Le problème est que ces infractions n’auraient pu être découvertes si d’autres n’avaient été perpétrées. Car l’“informateur” (ou “lanceur d’alerte”) qui a transmis ces documents aux médias s’est rendu, quant à lui, coupable d’un “vol domestique”, d’une violation de son secret professionnel ou d’un piratage informatique. D’où la question : peut-on admettre que des poursuites judiciaires soient fondées sur la perpétration d’une infraction ? Dans la célèbre affaire KBLux, le juge d’instruction saisi du dossier avait été jusqu’à commettre lui-même des faux en écriture pour dissimuler l’origine “douteuse” des listings bancaires… ce qui avait eu pour conséquence que toute la procédure avait été invalidée par la Cour de cassation.

Dans le cas présent, c’est la presse qui a été saisie des listings, non le pouvoir judiciaire. D’où un triple avantage :

  1. L’identité de l’informateur est mieux préservée, la discrétion des journalistes l’emportant nettement sur le “secret de l’instruction”.
  2. Les médias ont fait un travail remarquable d’investigation au départ des documents fournis. Compte tenu du manque total de moyens dont souffrent les justices (belge et française en tout cas), il y a gros à parier que l’affaire eût été prescrite avant la fin de l’instruction si le pouvoir judiciaire avait dû faire le boulot.
  3. Enfin, le passage par les médias permet d’interposer un tiers entre l’“informateur” (et l’infraction qu’il a commise) et la justice.

BoursJeanPierreReste à savoir si ceci est suffisant pour éviter que la procédure soit déclarée nulle parce que viciée “en amont”. Apparemment oui, si l’on se fonde sur un arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2015. Mais certainement non, si l’on se fonde sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 17 décembre 2015.

Comment en sortir ? D’abord en imposant une obligation de “transparence” à toutes les banques, fussent-elles amarrées dans un paradis fiscal. Ensuite, en dépénalisant (prudemment) l’activité des “lanceurs d’alerte”.

C’est là qu’on est mal parti, puisque le Parlement européen vient d’adopter une directive sur le “secret des affaires”… qui va dans le sens de l’opacité plus que de la transparence.

Jean-Pierre Bours
docteur en droit (1968)
avocat, romancier, chargé de cours honoraire ULg et HEC

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