May 2016 /254

Gaz de schistes

Un bilan (environnemental) de plus en plus inquiétant pour le gaz de schistes

L’exploitation massive des gaz de schistes comme source d’énergie, amorcée aux États-Unis au milieu des années 2000, a été présentée tout un temps par l’administration américaine comme un moyen de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre, et donc de lutter contre le réchauffement climatique, tout en contribuant à protéger la santé humaine et l’environnement. Bien sûr, l’objectif est avant tout de faire un grand pas vers l’indépendance énergétique et de faire baisser le prix du gaz, tout en entravant la capacité des grands pays producteurs de gaz naturel conventionnel – comme la Russie – à imposer des prix élevés sur le marché. Et les émissions de CO2 aux États-Unis se sont effectivement réduites ces dernières années, grâce à la diminution de la production d’électricité à partir de charbon, grande émettrice de CO2 (45% de la productivité américaine en 2010, contre 37% en 2012), au profit de la production à partir de gaz non conventionnels, principalement les gaz de schistes.

Mais le véritable bilan des gaz de schistes semble loin d’être aussi positif. C’était en effet sans compter sur le nombre d’impacts environnementaux négatifs dont nous commençons seulement à estimer l’ampleur. Pour atteindre ces gaz piégés dans la roche-mère imperméable qui leur a donné naissance (entre 1500 et 3000 mètres de profondeur), il faut avoir recours au forage dirigé – forage vertical jusqu’à la roche-mère, prolongé ensuite horizontalement sur 1 à 2 kilomètres pour améliorer le drainage des couches géologiques renfermant les gaz – et à la fracturation hydraulique (fracking) qui consiste à injecter de l’eau (associée à du sable et des lubrifiants) sous haute pression afin de créer des micro-fractures dans la roche et ainsi favoriser la libération et la récupération des gaz. La liste des effets négatifs liés à ces techniques d’extraction ne cesse de s’allonger : immenses volumes d’eau nécessaires au fracking, rejet et traitement des fluides de fracturation, contamination des nappes phréatiques, secousses sismiques, effondrements de terrain, opérations de torchage et de rejet des gaz (gas flaring and venting), etc. Mais les plus grosses craintes actuelles concernent les importantes fuites de gaz dans l’air que ces techniques d’extraction peuvent engendrer, et leur possible influence sur la qualité de l’air et sur le climat. Sans compter que nombre de puits restent ouverts une fois leur exploitation terminée et représentent autant de sources de fuites supplémentaires.

Aujourd’hui, ces craintes se confirment. À partir de mesures effectuées depuis le sol et l’espace, une croissance alarmante de la concentration atmosphérique d’éthane – un composé des gaz de schistes – a été détectée au-dessus de l’Amérique du Nord, en particulier, mais aussi au-dessus de l’Europe. L’éthane est un précurseur d’ozone troposphérique, un polluant majeur de l’air très nocif pour la santé humaine et les écosystèmes. Comme l’éthane est majoritairement émis lors de la production du gaz naturel et que sa durée de vie dans l’atmosphère (deux mois) lui permet de voyager à travers tout l’hémisphère via les vents dominants, il représente un marqueur efficace des émissions et du transport des gaz de schistes dans l’air. Son augmentation est de l’ordre de 5% par an depuis 2009, alors qu’auparavant l’éthane atmosphérique diminuait de 1% par an depuis le milieu des années 80.

Mais le plus préoccupant est que les gaz de schistes se composent en majorité de méthane, un gaz dont la concentration dans l’atmosphère est reparti à la hausse depuis le milieu des années 2000. Comme celui-ci est émis par de nombreuses sources (industries pétrolières, élevages, rizières), il est très difficile d’attribuer précisément à ce gaz mesuré dans l’atmosphère une ou des source(s) spécifique(s). Par contre, là où il y a émission d’éthane liée aux gaz de schistes, il y a forcément émission associée de méthane en proportions relativement constantes : entre 9 à 12 fois plus de méthane émis que d’éthane ! Et c’est bien ce qui inquiète la communauté scientifique, car le méthane, bien que moins abondant dans l’air que le CO2, est après ce dernier le deuxième gaz à effet de serre anthropique en raison de son impact 25 fois plus puissant que celui du CO2. Les premières estimations d’éthane émis par l’industrie des gaz de schistes des États-Unis, produites par des modèles lors de simulations contraintes par les mesures actuelles d’éthane, montrent que ces émissions ont augmenté de près de 75% entre 2009 et 2014 sur le continent nord-américain. Il en va donc de même pour les émissions associées de méthane !

FrancoBrunoIl reste maintenant à savoir en quelle proportion ces émissions d’origine “gaz de schistes” contribuent à la ré-augmentation actuelle du méthane dans l’atmosphère, et quelles peuvent être leurs répercussions sur la qualité de l’air et le climat. La tâche s’avère considérable… mais ô combien pressante, car de nombreux pays – Royaume-Uni, Pologne, Australie, notamment – envisagent d’extraire par fracking les gaz de schistes contenus dans leurs propres sols.

Il est dès lors indispensable de maintenir et de soutenir les activités de monitoring de l’atmosphère terrestre. Or les moyens financiers manquent… et, sans nouveaux budgets, ces activités – celles-là mêmes qui ont permis d’identifier la ré-augmentation de l’éthane dans l’atmosphère et l’implication des gaz de schistes – devront s’arrêter.

Bruno Franco
boursier à l’ULg (programme Marie Curie COFUND, financé par l’Union européenne)
chercheur post-doc au Forschungszentrum Jülich en Allemagne

Franco et al. (2016), “Evaluating ethane and methane emissions associated with the development of oil and natural gas extraction in North America”, Environ. Res. Lett., 11, 044010, doi:10.1088/1748-9326/11/4/044010.

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