May 2016 /254

Le geste du peintre

Rencontre avec David Strivay, directeur du Centre européen d’archéométrie

À l’occasion de la première exposition “En plein air” dans le musée restauré de la Boverie, rencontre avec David Strivay, directeur du Centre européen d’archéométrie de l’ULg.

CEA-1Photo : David Strivay lors d'une analyse d'un portrait du Fayoum (Villa Getty - Los Angeles)

Le Centre européen d’archéométrie (CEA) de l’université de Liège, fondé en 2003, s’est spécialisé dans l’étude du patrimoine culturel mobilier et immobilier. En confrontant les données historiques et archéologiques aux résultats d’analyses scientifiques, cette équipe pluridisciplinaire, composée d’une quarantaine de collaborateurs, est la seule à proposer en Belgique un équipement aussi élaboré et aussi mobile. « Nous avons essayé d’optimiser des techniques qui existaient déjà auparavant en chimie et physique pour le patrimoine. Aujourd’hui, nous avons un laboratoire que nous pouvons mettre dans des caisses, transporter et qui nous permet de travailler directement sur place, que ce soit sur un site archéologique, dans un musée ou chez un particulier. C’est intéressant parce qu’il y a toujours un danger à transporter une œuvre. Or, nous arrivons maintenant à obtenir des informations presque aussi poussées qu’en laboratoire », explique David Strivay, chargé de cours et directeur du CEA.

ÉQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE

CEA-3Photographie – en haute résolution, en lumière blanche, en lumière rasante, en UV ou en infra-rouge  –, radiographie classique, imagerie hyperspectrale, analyse élémentaire et moléculaire : les techniques sont diverses et souvent issues d’autres secteurs de recherche, comme le pôle spatial. « Nous collaborons avec de nombreux services de l’Université qui ne travaillent pas directement sur le patrimoine », poursuit David Strivay. Nourrissant son travail de recherche fondamentale grâce à la recherche appliquée et inversement, le CEA se situe au confluent de nombreuses disciplines. « Nous travaillons toujours en équipe pluridisciplinaire rassemblant un archéologue ou un historien de l’art, un scientifique (physicien, chimiste, géographe, géologue, etc.), un conservateur-restaurateur et des techniciens. Avec comme but d’enrichir notre connaissance sur les objets mais aussi de la partager avec le grand public », précise-t-il.

Photo : La famille Soler de Picasso (musée de la Boverie)

Impliqué dans de nombreux projets de recherche, le CEA collabore aussi bien avec des institutions locales qu’internationales. « Nous avons une convention de recherche avec les musées de la ville de Liège. Nous répondons aux demandes des restaurateurs et des conservateurs et, inversement, eux nous rendent l’accès à certaines œuvres plus facile. Aujourd’hui, nous avons même un laboratoire dédié à nos activités au sein du musée Curtius », annonce David Strivay. Le CEA a notamment travaillé sur un grand nombre d’objets du nouveau musée de La Boverie, entre autres sur les peintures de la Vente de Lucerne, précédemment montrées lors de l’exposition “L’Art dégénéré selon Hitler” à la Cité Miroir en 2014. « C’est à ce moment que nous avons étudié La famille Soler de Picasso. Dans sa thèse, Catherine Defeyt a apporté un éclairage nouveau sur les nombreux changements de composition réalisés par le peintre de Guernica et par son ami Vidal. Avec nos techniques, nous avons pu imager différentes zones et retrouver le geste du peintre, les matériaux qu’il a utilisés et obtenir ainsi des informations inédites sur les versions antérieures de l’œuvre. Nous avons aussi appliqué ces mêmes méthodes à l’étude technique et matérielle des œuvres de Kokoschka, Chagall, Ensor, Gauguin, etc., car il s’agit d’un ensemble assez cohérent non pas au niveau esthétique mais historique », raconte David Strivay.

CEA-2

SPIN-OFF

Le travail du centre couvre par ailleurs toutes les périodes de l’histoire de l’art et de l’archéologie, de la Préhistoire à nos jours. « Comme nous travaillons sur site, nous ne devons pas faire de prélèvement. Pour étudier les peintures rupestres de la grotte de Font-de-Gaume (-14 000), nous y sommes restés une semaine dans la grotte avec nos instruments. Idem quand nous allons en Égypte et en Grèce. Cela permet d’être dans un travail très conservateur mais aussi plus représentatif. Car les micro-prélèvements sur les œuvres sont opérés généralement sur les bords, ce qui ne donne pas une idée représentative de la composition. Prochainement, en collaboration avec Thomas Morard (chargé de cours au département des sciences historiques) nous allons participer à une fouille à Ostie, près de Rome, pour analyser des peintures murales qui datent de l’époque républicaine antique  », se réjouit le chercheur.

Photo : Analyse par fluorescence X des peintures pariétales de la grotte de Font-de-Gaume en Dordogne.

L’équipe est par ailleurs en train de développer une spin-off, société d’expertise qui proposera un service modulaire, allant du constat d’état sur une œuvre – rechercher des informations sur la conservation, le caractère vrai ou faux de l’œuvre, etc. – jusqu’à la restauration complète, en passant par la commercialisation de certains outils techniques développés par le CEA, tel le scanner automatique. De quoi passer au crible d’autres chefs-d’œuvre.


* émission à votre tour d’y voir : www.ulg.tv/Avtv14

article sur www.culture.ulg.ac.be/archeometrie

 

SI VOUS DEVIEZ CITER TROIS DÉCOUVERTES SCIENTIFIQUES MAJEURES :

  1. Les rayons X par Roentgen
  2. Le transistor par le laboratoire Bell
  3. La relativité générale d’Einstein



Julie Luong
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants